Yémen

Mar. 2019

Movements des femmes  5 min Faire le maximum avec l’espace disponible

Image de mains tenant de la farine.
Les mères affamées du Yémen -- Hagar Yahia, une Yéménite, montre la quantité de farine qu’elle utilise pour une miche de pain, 15 février 2018, Abyan, Yémen. Les bons jours, quand elle ou son mari trouve du travail, il leur arrive d’avoir des légumes. ©Nariman El-Mofty/AP; CC BY 2.0 via flickr.com

Dans l’histoire récente, le Yémen n’a jamais connu de mouvement féministe structuré et pérenne, mais des mouvements ponctuels aux différentes priorités, par exemple contre les violations des droits humains ou le tribalisme patriarcal. 

Durant mon enfance passée à Sana’a dans les années 1990, je n’avais jamais entendu parler d’égalité des sexes. D’un côté, ma mère me disait que les femmes devaient se battre pour leurs droits. De l’autre, les concepts comme celui de l’« égalité des sexes » étaient mal vus à l’extérieur. Je me rappelle qu’au lycée, notre professeur disait que l’« égalité » entre les sexes était une notion occidentale visant à détruire la communauté arabe et musulmane. Je me rappelle aussi que ma voisine, très religieuse, me forçait à l’accompagner à un séminaire non mixte sur le Coran dans la mosquée du coin. Nous y écoutions une cheikha (une guide religieuse) qui nous expliquait que l’« égalité entre les sexes » et le « féminisme » étaient une attaque contre l’islam et qu’Allah avait voulu que les hommes et les femmes ne soient pas égaux et assument des responsabilités différentes.
 
À l’université, néanmoins, j’ai eu un autre son de cloche. La presse indépendante et les manifestations en faveur des droits des femmes, à l’initiative d’organisations pro démocratiques de la société civile, m’ont ouvert les yeux et fait connaître des figures féministes yéménites : la verve et l’activisme de Radhya Shamsheer, Amat al-Alim Alsoswa, Raufa Hassan ou encore Amal Basha ont joué un rôle décisif dans la formation de ma conscience féministe. Elles critiquaient le mariage des enfants, les violences faites aux femmes, les lois discriminatoires et la sous-représentation des femmes en politique.
 
Il n’en demeure pas moins que le mot « féminisme » a toujours fait peur et polémique. En 1999, par exemple, la féministe Raufa Hassan est la cible d’une attaque religieuse, la forçant à fuir le pays. La réaction antiféministe de la part des conservateurs politiques ou religieux a poussé la plupart des féministes à adopter une approche plus pragmatique et à user de notions moins polémiques, en optant pour l’empowerment ou l’autonomisation des femmes. Seule une poignée de femmes intrépides ont continué à se qualifier de féministes. Elles poursuivaient la lutte par acquit de conscience.
 
Dans l’histoire récente, le Yémen n’a jamais connu de mouvement féministe structuré et pérenne, mais des mouvements ponctuels aux différentes priorités, par exemple contre les violations des droits humains ou le tribalisme patriarcal. La cause féministe a été marquée par trois événements majeurs : 1) l’unification du Yémen en 1990 ; 2) l’insurrection yéménite en 2011 ; 3) la guerre qui a éclaté en 2015.
 
Lors de la réunification des deux États du Yémen en 1990, une réforme de la loi de la famille a été votée. Celle-ci passait pour une avancée chez les femmes du Nord et un recul chez celles du Sud, ces dernières jouissant déjà de plus de droits, avec notamment l’égalité des droits dans les affaires familiales.
 
Puis, dans le sillage du soulèvement de 2011, les femmes ont beaucoup œuvré pour une plus grande participation politique et ont fini par obtenir que le Parlement soit constitué d’au moins 30 % de femmes. Les femmes ont également participé à la commission chargée de l’élaboration d’une constitution, une première dans l’histoire du pays.
 

L’état des droits des femmes au jour d’aujourd’hui

 
Et pourtant, aujourd’hui, toutes ces avancées sont attaquées. Tandis que la guerre fait rage depuis quatre ans, le système politique s’est totalement effondré et les femmes sont passées des institutions politiques à la diplomatie et les plaidoiries.
 
De l’occupation de Sana’a par les Houthis en septembre 2014 à l’intervention militaire de l’Arabie saoudite en 2015, le processus politique s’est interrompu. La militarisation s’est traduite par l’étouffement des voix féministes et leur exclusion à la prise de décision. Compte tenu du chaos qui règne actuellement au Yémen, discuter des droits politiques des femmes passe pour une lubie.
 
Le Yémen connaît une des pires crises humanitaires au monde. La famine menace des millions de vies ; mais ce sont les femmes et les filles en âge de procréer qui paient le tribut le plus lourd. Le mariage des enfants est reparti à la hausse et les violences faites aux femmes a bondi de 63 %. Avec des douzaines de femmes détenues dans les prisons des rebelles houthis, victimes de tortures et d’abus, le conflit a détruit les garanties tribales contre l’enlèvement et l’emprisonnement des femmes. À Taiz, les balles houthis visent les femmes activistes. Dans de nombreuses villes, les femmes pleurent la disparition des hommes de leur famille et peinent à nourrir leurs enfants.
 
Il est navrant de constater que le Yémen était plus avancé que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis en matière de droits des femmes dans la période d’avant-guerre, en dépit de toutes les injustices institutionnelles – et cet avancement est aujourd’hui perdu. Tandis que la guerre fait rage au Yémen, les femmes d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis ont connu quelques avancées, avec notamment la levée de l’interdiction de conduire en Arabie saoudite et l’accroissement de la représentation politique des femmes dans les Émirats arabes unis, alors que les femmes yéménites vivent un recul de leurs droits et libertés. Il faut avoir cette comparaison en tête quand on parle des bombardements du Yémen par ses voisins.
 
La presse indépendante et les organisations de la société civile comme instances d’autonomisation des femmes ont disparu. Journalistes, activistes et travailleurs humanitaires sont harcelés, attaqués, voire éliminés par les forces armées. Le champ des actions civiles s’est drastiquement réduit. Les porte-parole pour les droits des femmes ont été réduits au silence.
 

La riposte des femmes

 
Mais les femmes n’en ripostent pas moins. Sur le terrain, avec quelque 12 000 hommes arrêtés et plus de 3 000 disparus, les mères, les sœurs et les filles ont commencé à se rassembler devant les prisons ou les commissariats de police des principales villes du Yémen pour demander la libération de leurs fils, de leurs pères et de leurs frères. Elles se sont elles-mêmes organisées en collectif sous le nom d’« Association des mères de victimes d’enlèvement ». Au niveau politique, l’ONU-Femmes a soutenu l’établissement d’un pacte des femmes yéménites pour la paix et la sécurité, appelant à l’inclusion des femmes dans les discussions politiques et le processus de paix.
 
En outre, l’activisme politique des femmes yéménites a été soutenu ces huit dernières années par trois Envoyés spéciaux au Yémen : Jamal Benomar, Ismail Ould Cheikh Ahmed et, actuellement, Martin Griffiths. D’après la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU – sur l’engagement entier et la participation égale des femmes dans les processus de résolution des conflits – Griffiths a garanti la présence des femmes dans les négociations pour la paix au Koweït, à Genève et à Stockholm via des groupes de conseil.
 

L’avenir des femmes

 
Même si l’histoire récente du Yémen n’a pas connu de puissant mouvement féministe, les femmes sont devenues un élément central de la refondation démocratique du Yémen depuis le soulèvement de 2011. Leur activisme tout au long du conflit dans des circonstances plus que difficiles en faveur de la paix a permis de donner un coup de projecteur sur les violations flagrantes des droits humains. L’avenir du Yémen et celui des femmes yéménites sont intimement liés. L’activisme des femmes ne connaîtra pas de trêve tant que la paix ne sera pas revenue. Dans l’espace qu’il leur est laissé, les femmes yéménites cherchent à accomplir quelque chose qui doit susciter la solidarité du monde entier.

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