Jan. 2018

Le conflit intergénérationnel  4 min "La jeune génération est née les yeux ouverts."

Une grand-mère avec son petit-fils à Tizmant, Égypte ©Goethe-Institut Kairo/Sandra Wolf

« Ingrats », « irresponsables », « cupides », « fainéants »… Voilà comment les Égyptiens plus âgés voient la nouvelle génération. À cela nous répondons : « étroits d’esprit », « démodés », « bornés », « ennuyeux ». Il en ressort souvent une vie familiale difficile dont toute la société se fait l’écho.
 

Les conflits intergénérationnels n’ont rien de nouveau. Tout le monde en a vécu avec ses parents, ses proches ou ses enseignantes. Il est tout à fait normal de ne pas partager les opinions de personnes plus âgées. Mais quand les différences se multiplient et la bienveillance s’estompe, alors il peut devenir problématique de vivre en famille. Les disputes entre parents et enfants sont omniprésentes. Dans la rue, au supermarché, chez les voisins –  cris et insultes fusent de tous côtés, à tel point qu’une famille égyptienne qui ne vocifère pas une fois par jour et coule des jours heureux est devenue chose rare.

 

L’apport du XXIe siècle

Représentez-vous trois années, chacune renvoyant à une génération : celle des grands-parents, des parents et des enfants. Prenons par exemple ces années-là : 1957, 1987 et 2017. Parmi les milliers de points de comparaison possibles, nous nous limiterons au plus déterminant : les media. En 1957, l’information passait par les journaux locaux et la radio. Rares étaient les personnes à pouvoir s’offrir un poste télé noir et blanc. En 1987, les téléviseurs couleur faisaient fureur quand les ordinateurs étaient loin d’être dans tous les foyers. En 2017, une innovation étrangère aux deux autres âges a fait son entrée : Internet. Et avec l’arrivée du « World Wide Web » en 1991, une autre notion fait une entrée fracassante : la « mondialisation ».

 

« On se méfie de ce qu’on ne connaît pas »


Avec Internet, c’est le monde entier qui est à notre porte ou plutôt sur nos écrans. Or, pour nos grands-parents et parents égyptiens, le « monde entier » ne dépassait pas les limites de la ville natale. Ma génération apprend au moins une langue étrangère à l’école (laquelle est parfois une école internationale), regarde plus volontiers des films américains à la télé, écoute des groupes mondialement connus, préfère des vêtements de marque, demande le dernier smartphone d’Apple comme cadeau d’anniversaire, irait étudier à l’étranger et s’interroge sur des choses comme le « communisme », l’« athéisme » ou l’« homosexualité ».
 
Des parents avec leur enfant dans un restaurant McDonalds à Alexandrie, en Égypte.
Parents avec son fils dans un McDonalds en Alexandrie, Égypte | ©Goethe-Institut Kairo/Sandra Wolf
Ces pauvres parents – pour qui les jeans, MacDonald’s et Michael Jackson étaient le summum de la modernité – sont vite dépassés. Et conformément au vieil adage selon lequel « on se méfie de ce qu’on ne connaît pas », l’ancienne génération paraît désemparée face au rythme et au matérialisme du XXIe siècle. Elle essaie alors d’élever ses enfants conformément au vieux style de vie qu’elle juge « bon ». Mais, à la grande déception de leurs parents, les enfants refusent de vivre à une autre époque que la leur. De là naît le conflit parents-enfants au cours des premières années, conflit qui grandira tellement à l’adolescence que, dans nombre de cas, les deux générations s’éloigneront inéluctablement l’une de l’autre.
 

Culture égyptienne et Hollywood, ça fait deux !

Les Égyptiens adorent la télévision. Que ce soient des films américains ou des séries turques, la télé a une grande influence sur la société en général et les jeunes générations en particulier. Prenez deux jeunes Égyptiens de 18 ans, une fille et un garçon. Le garçon voit à la télé des jeunes de son âge boire de l’alcool, bavarder avec des filles, s’opposer à ses parents, quitter le domicile familial à 18 ans, se faire une opinion par lui-même et partir à la découverte du monde. La fille, elle, voit d’autres filles se promener en minishorts, flirter avec des garçons en public, partir entre amies à l’étranger sans chaperon, chercher un job alimentaire pendant les études, décider de son avenir toute seule – puis tous deux éteignent la télé et sont confrontés à la réalité de la société égyptienne.

Les jeunes égyptiennes ne cherchent pas juste à se rebeller contre leurs parents (ce qui, arrivé un âge, est tout à fait normal), mais contre des normes sociales multiséculaires. Face à quoi, les parents se plaignent et en appellent au temps où ils étaient eux-mêmes jeunes pour conclure immanquablement qu’ils n’ont jamais été « aussi difficiles ». Se je vous le demande : si quelqu’un se comporte singulièrement juste parce qu’il ne peut pas autrement, est-ce encore un choix ?
 

Le monde change et l’éducation doit changer avec


Dans les cultures orientales – dont la culture égyptienne –, la valeur cardinale, pour des raisons religieuses, est le respect pour ses parents. Or, les Égyptien.ne.s ont tendance à confondre respect et obéissance aveugle.

 

©Goethe-Institut Kairo/Sandra Wolf
Yasmin Mohamed Gaber, 17 ans
« Tu es encore trop jeune pour savoir ce qui est bon pour toi. Alors écoute-moi », tel est l’antienne des parents égyptiens. Mais il y a une chose de taille qu’ils négligent : la jeune génération est née les yeux ouverts. Nous savons déjà bien plus sur le monde qu’eux à notre âge. Peut-être étions-nous parfaitement innocents et naïfs au tout début de notre vie, mais pas plus longtemps. Une autre particularité du XXIe siècle. Que ce soit une bonne chose ou non, là n’est pas la question. Ce qui compte c’est qu’à, mettons, 16 ans, nous ne cherchions pas tant à savoir qu’à faire l’expérience. Mais nos chers parents veulent que nous restions à la maison et que nous n’apprenions que pour l’école ! Où devrions-nous faire de nouvelles expériences ? Et c’est exactement la raison pour laquelle la plupart des jeunes égyptiens se sentent complètement paumés en fin d’étude ou après le bac : la maison ou l’école ne leur a rien appris de pratique sur le « monde extérieur ».
 

Éducation alternative


Plutôt que de les encourager à rester à la maison pour bûcher le Thamaweya, les parents devraient les inciter à voir du monde. Ils devraient leur laisser se tromper et arrêter de les sermonner à tout bout de champ. « Nos parents nous aiment que si nous faisons ce qu’ils jugent bon », « j’ai souvent peur de mes parents », voilà ce que ressentent nombre d’enfants égyptiens, parce que leurs parents ne savent pas répondre à leurs erreurs autrement qu’en étant agressifs, que ce soit par des mots ou des coups. Les parents aiment leurs enfants même quand ils se comportent mal, mais ils oublient de témoigner de l’amour, même filial. Les enfants finissent par prendre leur distance et chercher conseil ou soutien auprès d’autres adultes, comme les enseignant.e.s. Les parents s’apitoient que leurs enfants ne leur racontent plus rien, et plutôt que de résoudre le problème en discutant calmement, ils deviennent soupçonneux et incidemment plus agressifs, enclenchant un cercle vicieux qui devient bientôt spirale infernale.

Les parents – pas juste égyptiens – disent souvent que ma génération est accro aux smartphones, etc. Au lieu de répéter jusqu’à plus soif : « débarrasse-moi de cette saleté une bonne fois pour toutes ! », l’école ou les associations devraient proposer des programmes pour apprendre aux jeunes à employer le temps qu’ils passent en ligne autrement qu’en postant des selfies ou suivant des stars. Internet ne façonne pas uniquement notre journée mais notre histoire et notre vie politique. Il suffit de voir le Printemps arabe. L’enjeu est trop important pour qu’on ne cherche qu’à s’en débarrasser !
 
©Goethe-Institut Cairo/Sandra Wolf
Anas Mohamed Ahmed Nakhla, 19 ans

Au lieu d’interdire aux jeunes de faire des excursions sans chaperon ou de partir à l’étranger, il faut les éduquer dès l’enfance à grandir comme des êtres dignes de confiance.

Entre autres complaintes, on entend souvent celle de l’« ingratitude ». Les parents pourraient ainsi charger l’aîné de s’occuper des enfants plus jeunes ou de l’animal de compagnie, pour qu’il voit comme il est difficile d’être responsable d’un autre être vivant.

Quand la « convoitise » se manifeste sous la forme d’une demande insatiable de nouveaux appareils superflus, de vêtements ou tout simplement de grosses sommes d’argent, alors il existe une solution simple : trouvez à votre enfant un job d’été pour lui inculquer la valeur de l’argent.

L’idée que seuls les médecins et les ingénieurs réussiraient dans la vie doit disparaître une bonne fois pour toutes de la société égyptienne. Le stress auquel sont soumis les lycéens pour entrer en école de médecine ou d’ingénieurs est proprement inhumain. Le XXIe siècle a ceci de bon que la réussite est à portée de tout un.e chacun.e avec un peu d’effort et de créativité.

Un autre point qu’il faut changer en Égypte : l’attitude des adultes face au sexe. Nos grands-parents n’en parlaient pas à nos parents, et ainsi nos parents ne veulent pas nous en parler avant le mariage. Ce n’est plus possible à l’heure où la question est omniprésente : dans les media, entre ami.e.s, dans la rue sous la forme du harcèlement sexuel ou du viol. Tous les jeunes doivent saisir leurs droits et leurs responsabilités en matière de sexualité, les parents et l’école ont le devoir de les leur apprendre.

Ce ne sont pas les exemples d’éducations alternatives qui manquent. Si on pouvait les résumer en une seule phrase, ce serait avec ce dicton arabe : « n’obligez pas vos enfants à suivre vos pas, car ils sont faits pour une autre époque que la vôtre. »
 

Et nous alors ?

Ce que les jeunes ont de plus important à offrir à leurs parents est, à mon sens, l’empathie. Beaucoup de choses deviennent claires si on veut bien se glisser dans les chaussures de nos parents. Moi aussi, je m’inquiéterais si ma fille ne rentrait pas à minuit et ne répondait pas au téléphone. Cela m’agacerait que mon fils perde son iPhone pour la seconde fois. Et ça me ferait bien entendu de la peine de voir mes enfants qui le domicile.

 

©Goethe-Institut Cairo/Sandra Wolf
Sara Amru Ali, 18 ans
Devenir adulte est tout sauf facile, tout autant qu’être parent. Il faut bien concéder par ailleurs que le XXIe siècle a de quoi donner le tournis.

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