Les incendies qui ont touché la région de Kabylie, en Algérie, durant l’été 2021 ont provoqué de nombreuses pertes humaines et ravagé des centaines d’hectares de forêts. Ils ont également donné lieu à un large élan de solidarité qui s’est manifesté à travers de nombreuses actions aussi bien en Algérie qu’au sein de la diaspora.
L’été 2021 restera dans les annales avec des départs d’incendies dans presque tous les pays du pourtour méditerranéen (Espagne, France, Italie, Portugal, Grèce, Tunisie, Algérie, Maroc, etc.). Aussi bien sur la rive nord que sur la rive sud de la Méditerranée, les mêmes images de désolation : forêts dévastées, brasiers gigantesques, habitations ravagées et bêtes calcinées.En 2021, le Centre commun de recherche (CCR) de la commission européenne a cartographié des incendies dans 39 pays, avec 1 113 464 ha brûlés.
Sur la rive sud de la Méditerranée, l’Algérie est particulièrement touchée avec 134 237 ha de forêts brûlés. Plus de 90 incendies sont dénombrés le 12 août en Kabylie, dont plus d’un tiers dans la seule wilaya (préfecture) de Tizi-Ouzou. Dans cette région, des incendies se sont propagés très rapidement à partir du 9 août et se sont poursuivis durant une dizaine de jours.
Par ailleurs, non seulement des milliers de hectares de forêt ont été ravagés par les feux, ces derniers ont également touché aux habitations et, surtout, causé de très nombreuses victimes humaines. Alors que plus de 90 victimes sont dénombrées au 14 août, on ne dispose d’aucun bilan officiel car aucun décompte n’a été communiqué par les autorités.
Élan de solidarité
Au-delà des causes humaines ou naturelles de ces incendies – l’origine criminelle ayant été évoquée par les autorités, le réchauffement climatique par certains spécialistes comme Zineb Mechieche –, les images et les vidéos des incendies et des dégâts humains et matériels qui ont massivement circulé sur les réseaux sociaux ont donné lieu à une grande campagne de solidarité en faveur de la région de Kabylie, aussi bien en Kabylie elle-même que dans les autres régions d’Algérie. Des centaines de camions, transportant des vêtements, des denrées alimentaires, des médicaments et des appareils électriques (groupes électrogènes, tronçonneuses, etc.) ont afflué de toutes les régions du pays, à tel point que les dons ont submergé certaines localités affectées par les feux, qui ont fini par orienter les dons vers d’autres localités de la même région.En outre, des cagnottes en ligne ont été lancées par les Algériens de la diaspora pour récolter de l’argent et l’envoyer afin d’aider les localités sinistrées. Ce fut le cas notamment en France et au Canada où réside une importante diaspora algérienne, kabyle en particulier.
Par ailleurs, beaucoup d’actions ont été également menées, notamment des ateliers d’assistance psychologique aux enfants des villages fortement touchés, parfois endeuillés, par ces incendies.
Pour H. L., président de l’association Ixulaf n taftilt Ait-Aissi, à Tizi Ouzou, « bien que meurtriers et dévastateurs, les incendies de l’été 2021 ont donné espoir aux citoyens afin de se réapproprier une identité pluriculturelle. Une année après le confinement dû à la Covid-19, on a vu réapparaitre dans les villages et inter-village la solidarité amazighe chère à nos ancêtres. Dans un contexte économique déjà difficile, on a vu des femmes et des hommes offrir des biens personnels à la limite du sacrifice. »
Selon lui, l’urgence et la dimension de la catastrophe « ont poussé les villageois à puiser dans l’ancien schéma d’organisation qui structure les villages et à essayer de l’adapter au contexte actuel. » En effet, des siècles durant, les villages kabyles ont gardé une organisation qui leur est propre, basée sur l'entraide et la solidarité en temps de crise. Ce sont souvent les comités de villages qui se concertent et décident des actions communes à mener en pareilles situations, comme les évacuations et l’assistance d’urgence, surtout quand il s'agit de villages reculés, difficiles d'accès rapidement par les services concernés de l'État (sapeurs-pompiers, soignants, etc.).
De son côté, Aomar Ait Slimani, membre du comité du village Ait Ouabane, affirme que « les opérations de solidarités se sont passées rapidement et dans la précipitation ; ce qui a engendré beaucoup de pertes en terme de denrées alimentaires, médicaments, vêtements, etc. puisque ces biens ne répondaient pas aux besoins réels des sinistrés. Plusieurs villages qui n'étaient pas dans le besoin et qui ne sont pourtant pas réellement touchés par les feux ont profité de la générosité des donateurs. »
Pointant du doigt les insuffisances d’un tel élan de solidarité, Aomar affirme qu’à l’exception de quelques jeunes qui ont essayé d’établir une liste de contacts afin d’inventorier les besoins, « c'était presque impossible de créer une coordination pour gérer une crise d’une telle ampleur »
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Aujourd’hui, un ans après ces événements tragiques, l’on se demande si quelque chose a été fait pour assurer la durabilité de cet élan de solidarité et envisager la suite. Quid du reboisement de la région par exemple ?Boualem Tabouche, président de l'Association nationale jeunesse volontaire citoyenne, affirme que « le mouvement associatif ainsi que les conservations des forêts et les directions des principaux parcs nationaux en Kabylie – Djurdjura et Gouraya – sont très actifs. Il y a une grande volonté pour faire renaitre l'écosystème au niveau de cette région. Cependant, chaque région a ses particularités en matière d'arbres fruitiers. L'olivier par exemple ne peut réussir à partir d'une certaine altitude. De plus, les arbres fruitiers n'ont pas tous la même période de plantation. »
Il faut rappeler que les professionnels forestiers insistent sur le fait que toute campagne de reboisement doit intervenir avec les bonnes espèces et souches pour éviter toute pollution génétique. D’autres spécialistes se demandent si l’on doit replanter les forêts dévastées par les feux, ou les laisser se régénérer naturellement.
Pour Lounès Meziani, guide de montagne et militant écologiste, « la meilleure période de plantation d'arbres comme les pins, cèdres, etc. est d’octobre jusqu’à décembre afin de permettre aux plants de s'adapter à la dureté de la saison hivernale et ainsi continuer à pousser toute l'année. Pour les arbres fruitiers, on peut aller jusqu'à fin janvier, voire la mi-février pour certaines espèces. Pour le reboisement d'espaces brûlés, en Kabylie, nous avons surtout du chêne, du frêne et de l’orme qui peuvent repousser naturellement, mais les oliviers et les figuiers ont besoin d’un coup de pouce humain.»
S’agissant des campagnes de reboisement, Lounès Meziani affirme que « des milliers d'arbres plantés en janvier et février passés sont abandonnés et beaucoup sont morts à cause de la sècheresse. Il faut dire que les bénévoles ne retournent souvent pas vers ces plants pour les arroser et de nombreux plants, quand ils sont encore en vie, sont dévorés par les animaux d’élevage, notamment les vaches, les moutons et les chèvres. C’est pourquoi il est recommandé de planter dans des lieux sécurisés. »
De son côté, Amar Naït Messaoud, ingénieur des forêts, affirme que le terme « reboisement » s’applique, dans le cas de la Kabylie, à la reconstitution d’une forêt disparue suite à un incendie. Pour lui, « la règle générale est de se donner un temps d’observation qui peut aller de deux ans à trois ans. Car, dans les écosystèmes forestiers, particulièrement en zone subhumide (comme la grande partie de la Kabylie), les potentialités de régénération sont très importantes. Entretemps, il y a lieu de procéder aux opérations d’assainissement (coupe et évacuation du bois carbonisé) et de profiter pour, éventuellement, désenclaver par un réseau de piste le massif considéré. »
Et c’est « dans le cas où cette régénération n’arrive pas à se produire (au bout de trois ans), on prend la décision de reboiser. », ajoute-t-il. Quant aux risques de pollution génétique, ils peuvent facilement être évités par « le recours aux pépinières locales qui ont des plants certifiés. »
Par ailleurs, Amar Naït Messaoud souligne que ce ne sont pas les forêts au sens propre du terme qui ont brûlé, mais plutôt les maquis qui, selon lui, « se régénèrent d’eux-mêmes, et l’idéal serait d’en faire des forêts. »
En effet, les défis restent gigantesques vu l’ampleur des dégâts matériels et humains subis par la région de Kabylie. En plus de la question du reboisement, une prise en charge à différents niveaux (économique, environnementale, psychologique, etc.) est nécessaire afin de surmonter cette épreuve et permettre à la population d’envisager l’avenir plus sereinement.
Des centaines de familles ont vu leurs habitations et leurs moyens de subsistance détruits par les incendies ; ce qui les met dans une situation très précaire. D’autres pleurent encore la perte des membres de leurs familles et espèrent pouvoir tourner la page d’un épisode très douloureux.
Juillet 2022