La construction, en vert
Moins, c’est plus
Depuis quelques années, les techniques de construction sophistiquées et l’isolation des murs sont considérées comme la panacée pour réduire les émissions de CO2 dans le secteur de la construction. Pourtant, il suffit de peu de choses pour construire des maisons présentant un bilan carbone favorable. En effet, dans le domaine de la construction comme dans d’autres, l’adage ‘Moins, c’est plus’ se vérifie.
De Martina Vetter
Sortie du charbon, véhicules électriques, vols court-courriers : l’accent est généralement mis sur les secteurs de la mobilité et de l’énergie lorsqu’il est question de climat. Or, l’on perd par là de vue une importante source d’émissions : le secteur de la construction est responsable de près de 40 % des émissions de CO2 dans le monde et de près d’un tiers d’entre elles en Allemagne. La construction est non seulement en elle-même une catastrophe pour le climat (la production de matériaux de construction tels que le ciment ou l’acier consomme des ressources naturelles et de l’énergie), mais l’exploitation des bâtiments consomme également beaucoup d’électricité et dégage des émissions de CO2.
En Allemagne, la réponse de l’industrie du bâtiment à ce problème a jusqu’à présent été principalement l’isolation. L’enveloppe des bâtiments modernes est constituée de plusieurs couches de matériaux différents afin de réduire au maximum les besoins en chauffage ou en climatisation. En outre, les maisons intelligentes sont censées garantir que les bâtiments sont aussi efficaces que possible sur le plan énergétique. Toutefois, des experts tels que Florian Nagler, professeur à l’université technique de Munich, doutent aujourd’hui que cette approche soit la bonne.
Le projet modèle qui suscite des doutes
Professeur d’architecture, M. Nagler a planché avec son équipe sur un projet modèle de construction respectueuse du climat. Achevé en 2015, le bâtiment scolaire du Schmuttertal Gymnasium à Diedorf, en Bavière, a été conçu comme bâtiment à énergie positive. Cela signifie que le bâtiment produit plus d’énergie qu’il n’en consomme. Mais il y a un hic : la technologie de construction de la structure en bois était si complexe qu’il a fallu trois ans avant que tout fonctionne et interagisse vraiment.
De quoi faire réfléchir Nagler : « Dans un bâtiment construit par une équipe de spécialistes très motivés, si tout ne fonctionne pas comme prévu et selon les calculs réalisés au départ, le problème sera récurrent. » Il s’est demandé si l’augmentation des techniques de construction et l’utilisation d’un mélange de matériaux de plus en plus élaboré étaient vraiment la bonne réponse au changement climatique.
Nagler et ses collègues ont voulu tirer cela au clair et ont lancé un projet de recherche avec leurs étudiants. Trois maisons modèles devaient être construites avec les matériaux de construction couramment utilisés en Allemagne : briques, béton et bois. L’objectif n’était pas uniquement de construire des bâtiments de manière à respecter les exigences de la loi allemande sur l’énergie des bâtiments (GEG), même sans installations techniques compliquées. Encore fallait-il que le bâtiment ne consomme que 55 % de l’énergie requise par une maison efficace 100, la norme minimale dans la construction allemande.
Pendant la préparation du projet, les chercheurs ont effectué des calculs pour déterminer la taille optimale de la pièce, sa hauteur, l’emplacement et la taille des fenêtres, l’épaisseur des murs extérieurs et des plafonds. L’objectif était de protéger les maisons contre les fluctuations de température grâce à une méthode de construction robuste, et partant, d’éviter de devoir les climatiser en été et de limiter les besoins en chauffage en hiver.
Économiser l’énergie sans technologie complexe
M. Nagler et son équipe ont pris pour modèle le projet des architectes Baumschlager Eberle, qui ont construit en 2011 un immeuble de bureaux à Lustenau, en Autriche, fonctionnant sans chauffage ni climatisation. La température dans le bâtiment oscille toute l’année entre 22 et 26 degrés. Les murs extérieurs de 76 cm d’épaisseur en sont en grande partie responsables. Les seules sources de chaleur dans le bâtiment en briques sont les personnes qui travaillent à l’intérieur et la chaleur résiduelle des ordinateurs et autres équipements.
Nagler et son équipe ont donc également accordé une attention particulière à la maçonnerie. Il a fallu, en fonction des matériaux, construire des murs extérieurs d’épaisseurs variables pour les maisons, qui étaient identiques en termes de plan et de cubature : 50 cm pour la maison construite en béton isolant, 42,5 cm pour celle en briques et 30 cm pour la construction en bois. Pour que toutes les maisons aient une masse de stockage thermique suffisante, les dalles de sol et les plafonds ont été coulés en béton.
La construction des trois maisons, comprenant chacune huit appartements, a pris fin au début de l’année 2021, donnant le coup d’envoi à la troisième phase du projet : les bâtiments vont désormais être évalués deux ans durant afin de déterminer s’ils fonctionnent réellement comme prévu. Cette étape est importante pour Nagler, car de nombreux projets modèles n’ont pas permis de réaliser les économies d’énergie calculées. En effet, les utilisateurs des bâtiments se comportent souvent différemment de ce qui était prévu : ils relèvent les stores parce qu’ils veulent regarder dehors ou ouvrent les fenêtres au lieu de laisser faire la ventilation automatique. À Bad Aibling, les maisons pilotes sont donc conçues très sommairement : elles ont pour seules installations techniques de simples radiateurs muraux, un système de ventilation par feuillure de fenêtre et un petit ventilateur d’extraction dans les salles de bains.
Depuis leur achèvement début 2021, les trois maisons de Bad Aibling sont soumises à une évaluation visant à déterminer si les économies d’énergie prévues se concrétisent réellement.
| Photo (détail): © Sebastian Schels / PK Odessa
L’équipe de recherche de M. Nagler a également tenu à prendre en compte l’énergie nécessaire à la maintenance pendant la durée de vie prévue de 100 ans. Selon M. Nagler, cette « énergie grise » doit absolument être intégrée dans le bilan énergétique de tous les bâtiments. La durabilité est également au cœur du projet de maisons pilotes sous une autre de ses facettes : si ces maisons sont un jour démolies, les matériaux pourront être réutilisés sans problème car ils n’ont pas fait l’objet de mélanges avec d’autres matériaux.
M. Nagler a d’ores et déjà entrepris de nouvelles recherches. Les prochaines maisons tests du projet de recherche « einfach bauen » abriteront des logements étudiants. Il en est convaincu, « nous devons montrer qu’une réduction est possible et donner le bon exemple ». Il n’est plus seul à poursuivre cet objectif : la société à projets de la cité portuaire d’Hambourg veut également montrer l’exemple en construisant le futur siège de l’entreprise dans un bâtiment zéro émission. Il doit garantir une neutralité carbone tout au long de son cycle de vie, de sa construction et de son exploitation à sa démolition.
Le projet de bâtiment zéro émission dans la cité portuaire d’Hambourg doit garantir une neutralité carbone sur l’ensemble de son cycle de vie, de la construction au démantèlement en passant par l’exploitation.
| Photo (détail): © Heinle, Wischer und Partner, freie Architekten