Jean Paul Kayumba Cyitatire

​Jean Paul Kayumba Cyitatire, un jeune homme qui se rêve philosophe et anthropologue culturel de sa société. Que raconte-t-il de la famille?

Quand j’entends le mot famille, j’entends le point de départ de toute vie, tant l’individu que le groupe social tout entier, je dire que cela va même au-delà, cela a quelque chose de philosophique.

Sur le plan émotionnel, famille réveille en moi la joie (celle d’avoir une origine pour moi), le désir ou le souhait d’en avoir une à l’image d’une famille que je connais et, en même temps une certaine tension ou angoisse car le concept réveille des souvenirs et des absences.

J’ai grandi dans une famille où papa n’était plus, une situation devenue commune à beaucoup depuis 1994. Maman nous a couvert, un peu comme une poule couvant ses poussins face à une menace imminente. Après la disparition de papa, une tante m’a pris sous sa garde pour que j’aie une bonne scolarité dans une école de la capitale, je rentrais pour les vacances.

Jusqu’à 8 ans, j’ai connu le bonheur d’avoir un papa qui, certes travaillait à Kigali et ne rentrait chez lui que pour le weekend, mais c’était un homme que je trouvais géant, très beau, un papa qui ramenait la joie à la maison, un papa qui nous ramenait des choses de la capitale à chaque fois qu’il revenait à la maison. Pour moi, cet homme incarnait la puissance et apprendre qu’il a été tué n’a jamais pris sens entièrement, en mon esprit. C’est un sujet qui me trouble encore même si je vis avec cette nouvelle réalité depuis plus de 26 ans maintenant.

Maman nous a gardé sous ses ailes, elle n’aimait guère que nous allions trainer avec d’autres gamins, même si nous habitons dans la ville de Rwamagana, juste à côté de la route, nous avons dû rester dans l’espace familial, sauf pour aller à l’école ou à l’église. L’église a pris beaucoup de place dans la vie de maman veuve, elle s’est beaucoup investi dans la prière mais aussi dans la vie de son église, notamment par le bais de la chorale et je pense que c’était aussi pour recréer du lien autour d’elle.

Moi, j’étais catholique convaincu, j’ai même fait le petit séminaire et maman était protestante, il n’y a jamais eu de clash entre nous, la religion accompagne notre vie mais ne pourrait nous séparer. Mes deux jeunes sœurs avaient rejoint maman dans son église mais lorsqu’elles ont décidé de se marier, qu’elles ont souhaité le faire au sein de l’église catholique, cela n’a jamais causé de problème à maman, pour nous ce qui prime c’est Dieu et non les chemins qu’on emprunte pour s’en rapprocher.

Les grandes décisions au sein de la famille, même s’il n’y en a pas beaucoup, nous rassemble tous, maman, mes deux jeunes sœurs, moi et mon demi-frère qui est très proche de nous, bien souvent, il s’y ajoute le frère de maman qui a investi une place importante dans la vie de la famille depuis la mort de papa.

Lorsqu’il a fallu rechercher le corps de papa, l’exhumer de là où il avait été abandonné pour le re-inhumer, la famille a dû se regrouper et c’était ce noyau là qui était en première ligne. C’était le même noyau qui géré en premier tous ce qui concernait les mariages de mes sœurs, événements à haute teneur dans notre famille sans papa.

Maman n’a eu de cesse de nous avoir à l’œil et de nous répéter que nous devions grandir comme des enfants dignes, elle nous disait « pour rien au monde, je ne voudrais que l’on dise de vous les enfants d’une femme seule [1] », elle ne nous a jamais montré ni son chagrin ni ses difficultés à nous faire vivre seule. Elle était jeune quand elle s’est retrouvée veuve, elle n’a jamais laissé personne s’inviter dans sa vie, elle aurait pourtant eu beaucoup de raisons de vouloir refaire sa vie de femme mais elle s’est exclusivement consacrée à sa vie de mère.

Fonder une famille n’est pas encore dans mon actualité du jour mais j’ai des personnes, des familles qui m’inspirent et qui, le moment venu, seront des modèles pour moi. L’amour et l’attention qu’une famille proche porte à ses enfants, à ceux qui viennent à elle, sa capacité à discuter, à élever les enfants dans une ambiance d’ouverture d’esprit et d’indépendance... je me dis que c’est le type de famille que je voudrais pouvoir fonder. Bien évidemment, la femme que j’aimerai et épouserai, je lui offrirai ce que j’ai de plus précieux au monde, c’est ma famille ! Elle viendra au sein d’une famille, la mienne et celles que j’ai pu gagner par amitié, ainsi nos enfants grandiront entourés de leur amour à tous.

Mes enfants, je leur ouvrirai le monde, je leur expliquerai mes valeurs, mes aspirations, mes souhaits mais je le laisserai choisir pour eux-mêmes, je me contenterai de les guider et leur ferai confiance.

[1] En kinyarwanda « abana b’umugore », des enfants à qui il a manqué l’autorité parentale qui ont grandi sans discipliné, c’est un jugement social contre laquelle la femme seule se bat, c’est une question d’honneur pour elle et pour la mémoire du mari défunt.