Empreinte insidieuse de l’héritage colonial dans l’art et le vécu kinois
Laboratoire Kontempo

Exposition virtuelle
© Christ Mukenge

L’exposition en ligne, à voir sur https://labkontempo.com/fr/, ouverte au public depuis le 17 octobre témoigne de la façon dont sont rendues, de manière la plus souvent inconsciente, dans l’art et les gestes quotidiens, les séquelles du colonialisme présentes dans la pensée du Kinois. Si l’on n’y fait pas cas, n’est-ce pas là la preuve qu’elle y est fortement imprégnée…

Parcourir les trois salles d’exposition virtuelle montées pour l’exposition Laboratoire Kontempo mène à la découverte d’un travail collectif d’artistes d’expressions diverses présenté sur différents supports. Résultat d’un ouvrage réalisé en coulisse avec des théoriciens de l’art, chercheurs et professionnels après analyse et questionnement sur « les traces des structures coloniales dans les interactions humaines » dans Kinshasa. Les considérations, d’ordres culturelle et politique traduites tantôt en vidéo, peinture, photo, performance/ installation, dessin, chorégraphie ou collage qui se dégagent de l’œuvre collective se recoupent autour de la démarche initiée à la base par le duo Christ Mukenge/ Lydia Schellhammer. Elle ne remet rien en cause mais scrute et raconte.

En filigrane, partant de la première à la troisième salle, se développe le discours des artistes : une adresse à l’intention de leurs concitoyens, Kinois mais pas que. Si l’image de Kinshasa est très présente dans la première salle, elle peut être étendue à l’ensemble du pays et même au continent africain. Quant à l’adresse, elle va au-delà jusqu’à pointer du doigt l’Occident, évoquant son regard porté sur l’art ou les arts d’Afrique, tous insidieusement ramenés à la connotation subjective de « l’art africain ». Ainsi, il s’agit nettement d’« Une question de perspective » comme entrée en matière offerte par l’exposition Laboratoire Kontempo. Sont explorées mais aussi décriées les réalisations artistiques intentionnelles dont les visiteurs se font une opinion personnelle dès Au-delà de la pitié, première vidéo du duo Mukenge/ Schellhammer, un mélange d’animation et peinture. La seconde, Ton exotisme est mon pain quotidien, évoque un bon nombre de stéréotypes à la peau dure, notamment sur les rapports d’aide de l’Occident à l’Afrique qui vont jusqu’à influer sur les relations entre individus. Les quatre photomontages de Sinzo Aanza Une esquisse de la ville pour Manzambi de I à IV peuvent passer pour une « proposition » architecturale qui donne notamment vie aux utopies urbaines de Bodys Isek Kingelez. Deux célèbres carrefours, la Place de la Gare ou du 30 juin, c’est selon, ainsi que le Rond-point Victoire, dans Une esquisse de la ville pour Manzambi I et II, ont une nouvelle allure, bien inspirante, à découvrir. Nouveau fonctionnaire, dessin sur papier de Mega Mingiedi accorde une place au fonctionnaire congolais. Son rêve, la réforme de l’administration publique censée le tirer de sa précarité de vie, occupe sa pensée et le mène à moult réflexions.

Nuit de la méconnaissance

La seconde salle propose de « Sortir de la grande nuit ». Et pour cela, Prisca Tankwey nous guide dans sa Boite à Clichés. Une performance/ installation où elle partage son regard mettant exergue des points de vue divers et projections faussés de son Afrique : objet de fantasmes exotiques réducteurs marqués de l’empreinte du passé colonial, des études anthropologiques et clichés qui perdurent. Par méconnaissance de leurs cultures, de la tradition, des Africains contribuent hélas à les reproduire. Certains ont visiblement grand mal à se départir de ce manteau d’ex-colonisé à travers lequel ils se présentent. Peter Miyalu est dès lors d’avis qu’il faut procéder par une Mutlation, d’où le rasage, métaphore de la suggestion faite aux Congolais : décoloniser les esprits de manière volontaire. L’héritage colonial perceptible dans la pensée collective décelée au quotidien mène à considérer la tradition sous un regard biaisé dicté par le fantôme de la colonisation qui l’habite encore. D’un autre côté, avec Ekuluzu (croix en lingala), Paulvi Ngimbi souligne l’emprise actuelle, de ce qu’il tient pour le symbole de la religion, la sainteté et la sacralité, mais aussi de la richesse, sur la société kinoise, congolaise en général. Utilisée autrefois par les missionnaires pour asseoir la colonisation, elle est intégrée dans la croyance populaire parfois plus superstitieuse qu’ancrée dans la foi chrétienne et passe pour un nouveau « fétiche » à ses yeux. Lorsque le regard se pose sur Barbie Chicken, la première impression c’est que la vidéo d’Elisabeth Bakambamba, semble tomber comme un cheveu sur la soupe. Susceptible de choquer certaines sensibilités, son interprétation prête à confusion et semble manifestement sortir du contexte. La performance-danse au rythme de Baby Girl, titre controversé du groupe danois Aqua, paraît sortir du cadre du sujet abordé par Laboratoire Kontempo. Difficile d’insérer le propos de la performeuse, son haro sur l’industrie cosmétique et pharmaceutique ainsi que sur le marketing dans l’exposition kinoise. Un discours sur le regard porté sur soi ? Peut-être un appel à ne pas opter pour le mimétisme, la chirurgie plastique qui propose de « transformer n’importe qui en qui il veut être », comme elle le décrie ? Le décapage et le make-up font mieux l’affaire à Kinshasa, mais l’alerte pourrait valoir son pesant d’or, car demain peut nous réserver bien de surprises ! Comme Elisabeth Bakambamba transforme son poulet en blonde, baptisée Barbie Chicken au Laboratoire Kontempo, la proposition de l’industrie cosmétique et pharmaceutique ne serait-elle pas qu’illusoire...

Visite Atelier chez Sinzo Aanza

Appropriation et désapprentissage

Laboratoire Kontempo s’achève « En filigrane » avec Lele (habit ou vêtement), une photographie de Sephora Mianda. L’artiste pose dans une robe sur fond blanc, les motifs sont en écriture négro-africaine Mandombe, du collage papier sur du tissu wax. Les paradigmes de l’africanité sont dès lors questionnés, d’autant que le fameux pagne, wax hollandais, tenu pour le symbole de l’Afrique, est importé d’Europe. Ainsi, Lele, au-delà de se poser en un exemple patent de l’effet d’appropriation, se veut aussi un appel à la valorisation des tissus locaux. Dans Zetu (Les Nôtres), ses deux vidéos expérimentales, Godelive Kasangati pousse à s’interroger sur les influences des langues importées sur le vécu quotidien : savoir ce qui maintient la prépondérance des langues étrangères sur les nôtres. Dans Abstraction, sa seconde vidéo dans Laboratoire Kontempo, Elisabeth Bakambamba aborde la question identitaire dans sa chorégraphie. Contextualisé, il évoquerait en filigrane la perception que l’on a de l’identité attribuée à la naissance : nom, prénom, les caractéristiques identitaires à l’instar du sexe, l’origine culturelle et sociale, quel regard l’autre y pose ? Dans les séquences de sa chorégraphie, Harmonie Eley renvoie à l’univers ludique de l’enfance typique kinoise où règnent insouciance, gaieté, bonne humeur et amusement. Une suggestion à se libérer du poids du passé, le faire à la façon des enfants, désapprendre pour s’ouvrir allègrement à de nouvelles connaissances.

Ingénieux, le Kinois, de façon quasi spontanée, a le chic pour trouver sa manière personnelle de rendre, question sans doute de mieux l’assimiler, tout concept nouveau. Au bout de cet exercice où il en a appréhendé la substance, l’essence, il la traduit dans une acception plus familière, la renomme. L’art contemporain n’y a pas échappé. « Kontempo » est le terme qui semble lui avoir donné un meilleur écho. Il sonne plus Kinois et paraît plus pratique à intégrer dans le langage commun. Par ailleurs, il appert que, de toutes les pratiques artistiques, l’art Kontempo est plus à même d’« émouvoir », attirer ou capter l’attention du Kinois lambda. Une performance par exemple, vole bien la vedette à une toile qu’importe la beauté du paysage ou portrait peint. C’est dira-t-on, l’art qui passe le mieux, ou peut-être devrais-je dire, est plus susceptible d’amener le public à interagir avec les artistes : questionner mais aussi se questionner. Laboratoire Kontempo a capitalisé cet atout en abordant la question des reliquats de la colonisation.

Dilués à ce jour au point d’être imperceptibles pour plusieurs, ces reliquats perdurent. Leur omniprésence est établie dans l’usage fréquent et habituel de certaines expressions « consacrées » devenues communes, comme l’a dit le curateur Jean Kamba. Il s’agit, entre autres de « Nga naza mundele ! (Moi je suis un homme blanc !) », lorsqu’un Kinois veut se targuer de sa ponctualité, par exemple ; ou de s’entendre « féliciter » : « Yo oza mundelee ! (Toi tu es un homme blanc hein !) », pour avoir tenu parole, etc. À mon avis, Laboratoire Kontempo a joué sa partition tant est que sa démarche visait à réveiller nos consciences sur des anormalités devenues monnaie courante sans que personne ne s’en émeuve plus. Coup de chapeau aux artistes pour l’exposition qui a ouvert la discussion à tout public, les traces de la colonisation quoique devenues assez floues à présent ont vraiment la peau dure. Dire que nous contribuons à leur survie !
 
  • Visite d'Atelier chez Papa Mfumu'eto le 1er © Cedrick Tshimbalanga