Dans le cadre des restrictions et des politiques actuelles de confinement mises en place par la plupart des pays dans le monde en raison de la pandémie de coronavirus, y compris la Libye, bien sûr, le dilemme de la violence domestique ou conjugale a émergé dans ce pays plus qu'il ne l'était auparavant, car de nombreuses femmes sont exposées au risque d'abus, de coups et de punitions et, dans de nombreux cas, cela équivalait même à un meurtre et à un carnage prémédité.
Aujourd'hui, la Libye impose un ensemble de mesures pour limiter la propagation de ce virus à l'intérieur d'un pays déchiré par les conflits et les guerres civiles, au sein duquel n'aurait manqué qu'un virus dangereux et mortel pour contribuer à exacerber les problématiques existantes. Ces mesures se sont traduites par l'imposition d'un couvre-feu conditionnel de 24 heures pendant dix jours consécutifs; ce qui a provoqué une amplification de la panique dans les rues et les marchés. Les gens étaient obsédés par la peur de manquer de nourriture, de médicaments et de nécessités quotidiennes. Cependant, cette obsession de la peur s'est rapidement installée au sein des foyers et s'est propagée parmi les familles libyennes en ces temps difficiles.Trois meurtres en une semaine!
Au mois de mars, 3 meurtres ont été signalés en Libye, emportant trois femmes de différentes villes et régions, dont deux sont mortes aux mains de leurs maris et la troisième aux mains de son père et de son épouse. Ces crimes s'inscrivent dans un contexte purement coutumier qui s'approprie le droit des femmes à la vie et à l'autodétermination à tous les âges et à tous les niveaux sociaux. La première victim, Hadiya Abd al-Malik al-Darsi, 38 ans, est mère de trois enfants et porte un quatrième enfant dans son ventre. Son mari l'a massacrée dans sa maison du village de Zawiyat al-Arqoub (nord-est de la Libye), et on ignore encore ce qui l'a poussé à commettre cela. Dans ce contexte, sa famille et ses proches ont tenté de justifier ses actions en affirmant qu'il est une personne possédée (objet de magie) et qu'il est sous l'influence d'une force invisible qui contrôle ses comportements; ce qui le met dans la case patient mental ou psychologique, lui assurant ainsi l'impunité et l'affranchissant de la responsabilité dans cette affaire.La deuxième victime était la jeune Aya al-Fitouri, qui avait 24 ans, et à seulement quatre mois de son mariage. Son mari l'avait battue et violentée pendant plusieurs mois jusqu'à l'incident qui l'a emportée par une balle de Kalachnikov dans sa poitrine suite à une discussion animée entre eux deux. Cet incident s'est produit dans la région de Saraj à Tripoli. Le mari a nié le meurtre et affirmé que la victime s'était suicide; ce qui a été remis en question par les équipes médico-légales et le rapport qu'elles ont publié, et qui établissait que la victime avait depuis longtemps été battue et violentéée, confirmant que le mari en était le principal auteur. L'enquête est toujours en cours.
Quant à la troisième victime, sa situation était totalement différente de celle des deux précédentes. Il s'agit d'une fillette de 10 ans, Bara'a Imran, de la ville de Muslata, tuée par son père de 35 ans après l'avoir brutalement battue et laissée à l'air libre sans abri, sans nourriture ni eau plusieurs jours durant jusqu’à ce que son corps devienne frêle, incapable de supporter la faim et la souffrance. La direction de la sécurité de la ville, en coopération avec les équipes d'enquête criminelle, ont arrêté son père, qui a affirmé qu'elle était tombée d'un lieu élevé. Après l'enquête, il s’est avéré que l'enfant a été soumise à toutes sortes de tortures et de violences domestiques par son père et son épouse qui a avoué, dans le cadre de l'enquête en cours, qu'elle avait commis cet acte avec l'aide du père.
En Libye, les femmes vivent dans des conditions exceptionnelles à la difference de tout le monde. Entre les affres de la guerre sur le terrain et les problèmes de santé du coronavirus, il y a des guerres latentes quotidiennes et continues dont personne ne parle: la guerre de la violence domestique silencieuse, une douleur que tout le monde ignore. Cependant, ce n'est pas la première fois que des informations faisant état de violences conjugales et de meurtres prémédités par des familles et des conjoints de victimes sont signalées. Il y a eu des cas avant même la pandémie de coronavirus qui est un catalyseur de l'augmentation des cas de violence en Libye. L'année dernière, une victime de 19 ans, Farah Al-Khader, a été tuée par son mari et son frère après qu’elle lui ait demandé de visiter le domicile de sa famille dont elle était privée depuis de nombreuses années en raison de problèmes entre la famille et le mari et aussi afin d'assister au mariage de son frère. Cela a déclenché une querelles intense entre les deux conjoints, suite à quoi le mari l'a tuée. Au début de cette année, Msawra Al-Saiti a également été tuée dans la ville d'Ajdabiya, succombant aux coups violents de son mari. Ce type de crime est devenu très répandu dans les villes et villages libyens et cela n’a pas été cerné par les organisations ou parties gouvernementales ou non gouvernementales. Il est souvent tu et ignoré, sinon des arguments et des motifs sont présentés pour justifier l'acte de l'auteur loin de la logique et de la raison.
Nous avons contacté le ministère libyen des Affaires sociales à Tripoli qui, malheureusement, ne disposait pas de chiffres que nous aurions partagés avec vous. Même le bureau chargé de recevoir les plaintes au sein du Ministère lui-même ne disposait d'aucune donnée ou statistique pour cette année ou, au moins, l'année dernière.
À ce jour, aucune décision claire n'a été rendue contre les auteurs. Il y a une sorte de soudoiement des familles des victimes et la recherche d'une excuse pour les coupables comme une espèce de fatalisme. Les auteurs sont graciés parce qu'ils sont possédés et déraisonnables dans leur comportement ou parce qu'ils sont des soldats et des gardiens de l‘honneur de leurs épouses. De même, en fermant délibérément l’oeil sur ces crimes, les médias, la presse et même les références d'autorité sociale en Libye les reconnaissancent et les soutiennent indirectement.
Le chemin du non-retour
Dans une conversation téléphonique hâtive avec Nadia Othman, une femme battue qui vit toujours avec son agresseur (son mari) à l'intérieur de la maison et ayant à peine réussi à voler quelques minutes pour me parler, la dame, une femme au foyer, la quarantaine, et mère d'une fille, a résumé sa situation en trois phrases brèves et claires: son incapacité financière et sociale à rechercher l'indépendance et à demander le divorce de son mari car, évidemment, il n'accepterait pas facilement de divorcer et de lui donner tous ses droits légaux après le divorce. Il lui sera donc difficile d'avancer dans sa vie en cas de séparation entre eux. Puis elle a essayé de trouver des justifications pour sa patience à ne pas avoir d'enfants pendant cette période, et elle remercie et loue Dieu parce qu'il n'a pas épousé une autre femme. Plus tard, Nadia a demandé: « Quelle famille sera satisfaite du retour de leur fille divorcée et accompagnée d'une adolescente, ce qui doublera le fardeau pour eux? » Enfin, Nadia a essayé de hâter son appel qu'elle avait fait depuis le toit de sa maison et a dit:«Dans le passé, la récurrence des coups et violences était nettement moindre qu'aujourd'hui car c'est un technicien qui travaille huit heures par jour; ce qui le rend épuisé les jours de travail. Quant à aujourd'hui, il se délecte matin et soir à me faire souffrir psychologiquement et physiquement comme si j'étais la raison du couvre-feu et de l'interdiction de sortir de la maison...». Fin de lappel.
Tout comme Nadia, de nombreuses femmes estiment qu'il est difficile, voire impossible, de retourner à leur vie d'avant le mariage car elles n'ont pas de garanties légale ou sociale. Selon la militante des droits humains et conseillère juridique Khadija Al-Bouaishi, dans une déclaration qu’elle a adressée via la plateforme du mouvement Tanweer, l'État libyen ne fournit pas de refuges pour les femmes battues et ne leur garantit pas des maisons sûres qui ne peuvent pas être ciblées ou atteintes, ce qui aggravera la violence à l’égard des femmes. En outre, l’appui psychologique et social fourni par les organisations de la société civile n'est plus suffisant. La situation s'est plutôt aggravée en raison de la cohabitation de ces femmes, 24 heures par jour, avec les auteurs des violences exercées sur elles à domicile dans le cadre des procédures de confinement et de couvre-feu en Libye.
À ce propos, Khadija Al-Bouishi appuie la création d'un mécanisme de tous les ministères pour éliminer cette injustice et cette violence à l'égard des femmes, car la question ne dépend pas uniquement de la réception des plaintes sur les numéros verts et par la police des femmes. Un mécanisme complet est censé être mis à disposition par le ministère de l'Intérieur et le ministère des Affaires sociales ainsi que le ministère du Travail pour fournir des maisons sûres et des opportunités d'emploi. Un accompagnement psychologique et social complet pour que ces femmes puissent se produire et s'intégrer dans la société en toute liberté..
Le cercle fermé de la violence
Dans ce contexte, la professeure Madiha Al-Naas, chercheure et professeure de sciences du genre à l'Université d'Exeter, au Royaume-Uni, attribue aujourd'hui les causes de la violence domestique au fait que des millions de personnes sont obligées de rester à l'intérieur de leurs maisons pendant des journées successives. Passer de longues heures à la maison, et la présence de la victime et l'auteur de la violence ensemble conduit à une augmentation de la provocation et des querelles, et donc l'agresseur recherchera toujours ce qu'elle a appelé « punching bag » (sac de boxe) pour décharger la colère et la détresse qu'il déchargeait auparavant dans un travail externe et dynamique.Elle poursuit en disant que les raisons de l'augmentation de la violence qui a atteint des niveaux dangereux résident dans l‘absence de communication de la victime avec le monde extérieur comme les visites familiales, les trajets professionnels, le marché ou les coiffeurs, etc. Malgré la multiplicité de la violence, à commencer par celle verbale et physique, voire même fonctionnelle et sexuelle, tous les types de violence ont un impact négatif sur la santé mentale des femmes. Et si elle est employée, cela affectera grandement sa capacité à produire, créer et développer; ce qui, à long terme, aura également une incidence sur la société. Dans le cas où la femme ne travaille pas, elle est finalement une mère, une sœur et une épouse, et donc cela fera naîtra en elle un état d'instabilité psychologique qui impactera la manière d'éduquer et d'élever ses enfants et tout le monde autour d'elle. Enfin, cette violence exacerbée contre une femme peut la conduire à tenter de se suicider et elle peut réussir dans sa tentative.
«Tout pays où les services de base pour les victimes et les survivantes de violences sont absents est un pays qui, en ce moment particulier, est plus vulnérable à la violence que les autres. »
Elle ajoute: «Les pays où les guerres et les conflits sont répandus comme la Libye sont des foyers de la violence sociale et contribuent même à l'exacerber. Par conséquent, les femmes libyennes sont plus vulnérables pour ce type de violence que d'autres qui vivent dans des régions stables et sûres; ce qui rend leur situation plus fragile, en particulier avec l'absence de toute forme de secours réel et efficace, dans le passé et présentement. »".
Mai 2020