L’eau étant la vie et le moteur du développement, la Tunisie a déployé de gros efforts depuis l’indépendance en 1956 dans le domaine de mobilisation des eaux pour satisfaire la demande en en eau potable et d’irrigation, et dans la protection de l’environnement par l'assainissement. En effet, le taux d'alimentation en eau potable est le plus élevé d'Afrique du Nord, de même que le branchement des ménages aux réseaux de d’assainissement. Etant un pays dont l’économie est si dépendante de l’agriculture – et donc de l’eau – et confronté aux défis posés par l’aggravation du changement climatique, ses gros efforts sont-ils suffisants ?
En Tunisie, la responsabilité de l’alimentation en eau potable incombe à la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE), dans les zones urbaines, et à la Direction Générale du Génie Rural et de l’Exploitation des Eaux (DGGREE) dans les zones intérieures appelées auparavant zones « rurales ». Aussi, consciente de la nécessité de protéger l’environnement, la Tunisie a créé assez tôt des institutions compétentes bien avant la création du Ministère de l’environnement lui-même, et a promulgué différentes lois et normes qui règlementent tous les rejets d’eau usée ou des déchets dans l’environnement.En 2016, le taux de desserte en eau potable à l’échelle nationale a été de 97,7%, plaçant la Tunisie en première place comparée aux pays de la région Nord Afrique. Cependant la moyenne dans les zones intérieures du pays a été de 92,2% en 2014. Une forte disparité existe avec des zones complètement assoiffées comme le Gouvernorat de Kasserine où plus de 12.000 personnes sont sans accès à l’eau. Pendant les périodes de sècheresses, l’approvisionnement en eau devient problématique même en milieu urbain.
Pour l’assainissement, la Tunisie a adopté une politique qui vise à développer le secteur afin d’améliorer le cadre de vie de toute la population et surtout permettre la réutilisation des sous-produits de l’épuration des eaux (les boues sèches en tant que fertilisant agricole ou pour la production de l’électricité ou simplement comme gaz pour la cuisson). Grâce aux subventions de l’Etat, des nettes améliorations ont été observées au niveau de l’assainissement urbain, pendant que celui des zones intérieures n’a pas suivi. Globalement, le branchement des ménages au réseau public d’assainissement a augmenté de 73,8% en 2004 à 89,86% en 2015 (également au-dessus du taux évalué pour la région).
Etat des ressources en eau et de l’environnement
En réalité, la Tunisie est un pays pauvre en ressources conventionnelles, telle que l’eau. Etant située en grande partie en zone aride, la disponibilité de l’eau par an et par habitant est depuis plus de 30 ans inférieure à la limite de la pénurie d’eau absolue (500 m3/an/habitant).Actuellement 92% du potentiel des eaux de surface ont été mobilisées fragilisant les écosystèmes, premiers usagers de la ressource. A titre indicatif, six grands barrages ont été construits sur les six principaux cours d’eau autour du lac Ichkeul, le privant ainsi des ressources qui l’alimentaient autrefois pour assurer son équilibre et réduisant notablement les populations d'oiseaux migrateurs qui en dépendaient.
Aussi durant plus de 25 années, 1000 Millions de dinars ont été assignés à des travaux de conservation des eaux et du sol comme la déviation des eaux et création de zone d’épandage. Ces travaux avaient pour objectifs d’augmenter la production agricole par le maintien de la fertilité du sol, la réduction des pertes en sol et réduire ainsi l’érosion et les risques d’accumulation de sédiments dans les barrages. Néanmoins, à ce jour, 3,5 Millions d’ha sont menacés par l’érosion et chaque année, on perd environ 25 Millions de m3 d’eau due à la sédimentation des barrages. Rappelons que le sol comme réservoir d’eau est d‘une importance capitale pour l’agriculture pluviale et donc pour l’économie tunisienne puisque sur les 36 Milliards de m3 d’eau que reçoit la Tunisie en moyenne par an, seul 4,2 Km3 constituent le potentiel renouvelable alors que 11,5 Km3 provenant de la pluie sont retenus par les sols, les forêts et les parcours.
Plus de 4/5 de l'eau (82%) mobilisée est alloué pour l'agriculture irriguée qui ne couvre que 4% des terres agricoles. Aussi, 80% des besoins en eau du secteur irrigué provient des nappes souterraines, où l’on assiste à une surexploitation alarmante par la prolifération des forages illicites engendrant une détérioration de la qualité de l’eau des nappes (par l’intrusion marine, par exemple) et donc la salinisation des sols.
La faiblesse de la couverture d’assainissement dans les zones intérieures du pays est à l’origine d’une pollution des milieux de rejet (Oueds, etc.) par les rejets des eaux usées. Aussi, seul 50% des stations d’épuration fournissent une eau traitée conforme aux normes de rejet provoquant ainsi la pollution de l’environnement et même de la mer qui est le lieu de rejet final des eaux domestiques.
Il est important de signaler que le stress hydrique en Tunisie est exprimé en ignorant deux composantes majeures : La première est relative au fait que l’on ne vit pas que de l’eau mobilisée par les barrages ou les nappes souterraines mais aussi de l’eau de pluie que le sol retient pour la production des cultures pluviales et pour le pâturage. La deuxième composante concerne la demande en eau globale de la Tunisie qui est assurée à travers les importations de différents produits agroalimentaires (blé, sucre, etc.) et autres qui ne sont pas produits dans le pays. Cette eau importée à travers les échanges commerciaux représente en Tunisie le 1/3 de la demande globale en eau du pays. En plus la demande globale en eau du pays est 65% de plus que la moyenne mondiale ce qui dénote d’un gaspillage important à différents niveaux du processus de production. L’Institut National de Consommation indique que le gaspillage alimentaire coute à chaque Tunisien 68 dinars/mois, soit 18% des dépenses alimentaires
Le changement climatique, une contrainte supplémentaire
La fragilité de la situation hydrique de la Tunisie et la dépendance de son économie de l’eau de pluie est aggravée par les effets directs et indirects du changement climatique sur les secteurs d’activités fortement dépendant de l’eau et sur les écosystèmes déjà fragilisés par les pollutions anthropiques diverses. Les projections climatiques simulées par l’Institut National d la Météorologie indiquent qu’en considérant un scénario moyen, on verra une augmentation de la température de plus de 1 degré d'ici 2050 et de plus de 2 degrés d'ici 2100, tandis que les précipitations pourraient diminuer de 20% d'ici 2100. Les phénomènes extrêmes comme les inondations, les sècheresses et les vagues de chaleur devraient devenir plus fréquents.La disponibilité de l’eau st ainsi fortement menacée. En effet l’augmentation de la température a comme conséquence une augmentation de l’évaporation des retenues d’eau, l’assèchement des sols et l’augmentation de la demande en eau de tous les secteurs. La baisse des pluies et l’augmentation des sècheresses ont une conséquence drastique sur la recharge des nappes, la disponibilité de l’eau potable et l’irrigation mais aussi de l’agriculture pluviale.
Cette situation a engendré l’exploitation illicite et illégale du domaine public hydraulique et même l’utilisation des eaux usées brutes pour les besoins de l’irrigation, la naissance d’un marché de l’eau potable et l’accroissement des conflits sur les usages de l’eau. Une nette dégradation de la qualité de l’eau a été observée pendant les périodes de sècheresses ayant des conséquences sanitaires dangereuses. Le recours au dessalement de l’eau de mer pour sécuriser l’alimentation en eau potable (4 stations de dessalement sont en cours de construction) à lui seul reste insuffisante et considéré une source de pollution marine dont les conséquences sont peu maitrisées.
La voie à suivre
L’adaptation de la planification au changement climatique impose la révision du modèle de gouvernance et la rénovation de l’infrastructure actuelle en amont de la production de toute eau nouvelle. L’accès à l’eau potable étant un droit constitutionnel, la priorité est à la sécurisation de ce droit à l’ensemble des citoyens.
La vente de l’eau à un tarif qui ne permet pas de couvrir les charges de sa production est un handicap de taille à la gouvernance. Tout en gardant à l’esprit que l’eau est un élément vital à l’humanité, il faudra trouver les mécanismes techniques et financiers innovants pour la protéger, réduire le gaspillage alimentaire, installer des compteurs d’eau inviolables pour suivre et contrôler tous les prélèvements. Opter pour un tarif de l’eau plus élevé n’empêche pas le Gouvernement de garantir une subvention pour les populations les plus vulnérables. Il est également important de concevoir une politique agricole optimisant et valorisant chaque goutte d’eau utilisée dans le secteur irrigué mais aussi envisager les solutions pour l’agriculture pluviale hautement tributaire du climat.
La sécurité hydrique du pays relève de la sécurité de l’Etat. De ce fait, il est important de placer la gouvernance de l’ensemble des ressources en eau à un niveau supérieur (Présidence du Gouvernement ou même Présidence de la République) que celui du Ministère de l’Agriculture qui, étant le premier gros consommateur d’eau, ne peut à lui seul garantir la gestion optimale de la ressource.
Décembre 2019