Khadija vient de Taghazout, le paradis du surf au sud du Maroc. Elle est pourtant la seule jeune femme du village à surfer. Mais les choses sont en train de bouger.
Beaucoup d’animation ce matin sur la falaise qui surplombe l’Atlantique au sud du Maroc. Des camping-cars, des camionnettes, des voitures avec galeries de toit et plein de surfeurs et surfeuses arrivés ici pour descendre aussitôt vers la plage.
Mais il faut d’abord faire le guet, pour voir où se trouvent les meilleures vagues. La jeune Khadija et le jeune Redouane se tiennent donc au bord de la falaise et regardent l’étendue de mer bleu foncé jusqu’à l’horizon, observent le mouvement des vagues.
Si il fait trop froid pour se baigner, on compte plus de 200 surfeurs sur la plage Tamri ce samedi de fin novembre, car c’est ici qu’on trouve aujourd’hui les meilleures vagues, qui attirent touristes étrangers et locaux en proportions égales.
Une plage de sable fin paradisiaque, longue d’environ un kilomètre et demi et large de près de cent mètres et située à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Agadir et à une trentaine de kilomètres au nord des villages de pêcheurs voisins, Taghazout et Tamraght. C’est de ces villages que sont venus aujourd’hui la plupart des surfeurs, car les touristes peuvent aussi s’y loger. Khadija et Redouane sont d’ici, elle est originaire de Taghazout, lui de Tamraght.
Khadija porte encore son pantalon blanc, un sweat à capuche et un hijab en coton. Elle retournera plus tard à la voiture pour sortir un poncho de surf de son sac à dos. Il s’agit d’un peignoir ample et fermé avec des manches courtes et une capuche. Elle laisse la portière de la voiture ouverte, se tient un peu courbée entre portière et carrosserie et se change en enfilant sa capuche.
Quelques instants plus tard, la voilà vêtue d’une combinaison en néoprène, avec par-dessus un simple t-shirt gris et un hijab de natation en polyester. C’est comme un bonnet de bain, qui couvre le cou en plus de la tête. Elle en a besoin, un foulard classique finirait trempé. Aujourd’hui, on ne voit aucune femme ou jeune fille surfant avec un hijab de natation.
C’est une chose rare au Maroc, où peu de femmes et de filles surfent, en particulier ici, dans le sud. On compte davantage de surfeuses dans le nord du pays, notamment sur les plages de Casablanca ou de la capitale Rabat. La Fédération Royale Marocaine de Surf compte actuellement 177 femmes et 1516 hommes inscrits aux compétitions.
Malgré les nombreux touristes surfeurs venus du monde entier, ce petit village de pêcheurs d’environ 5000 habitants est un lieu où les traditions restent importantes. Cinq fois par jour, les haut-parleurs des mosquées font résonner l’appel du muezzin qui invite les gens à la prière.
Les hommes se rendent alors à la mosquée en gandoura, le vêtement traditionnel, tandis que les femmes prient à la maison.
De petites épiceries sont nichées dans presque chaque coin de rue, il n’y a pas de supermarchés. La rue principale traverse le village. Du côté qui s’étend jusqu’à la mer, de petits cafés, restaurants et boutiques de surf se succèdent. De l’autre côté du village, des chemins et des ruelles grimpent une colline abrupte. C’est là que se trouvent les habitations des locaux et les auberges pour touristes surfeurs. Khadija y vit également. Son père, comme la plupart des hommes ici, est pêcheur; sa mère est femme au foyer.
Ses parents ont pourtant permis à leur fille d’aller pour la première fois dans l’eau sur une planche de surf quand elle avait 11 ans. Et ce, alors que la famille est très traditionnelle, et que le surf revient assez cher. La location d’une planche et de l’équipement coûte l’équivalent de 15 euros par jour, ce qui est énorme pour le niveau de vie local. Acheter son équipement coûterait encore beaucoup plus cher.
La location d’une planche et de l’équipement coûte l’équivalent de 15 euros par jour
Mais Khadija a de la chance : dès ses débuts, elle a pu emprunter gratuitement son équipement à la Tadenga Surf Academy, située à dix minutes à pied de la maison de ses parents. Elle y a également reçu des cours gratuits - comme d’autres enfants et adolescents du village. «C’est notre façon de soutenir la communauté», nous explique un collaborateur de l’Academy, dans un langage marketing bien rodé.
L’Academy, située dans un bâtiment recouvert de bois exotique et doté d’une terrasse avec vue sur la mer, se trouve sur le terrain d’une chaîne d’hôtels de renommée internationale. La clôture, les barrières, les places de parking payantes, les agents de sécurité qui vous scrutent de haut en bas d’un air critique, ne laissent pas forcément présager beaucoup d’efforts pour aider les autochtones et leur « communauté ». L’Academy est avant tout une école de surf commerciale, avec location et salle de fitness incluses, où Khadija s’entraîne encore aujourd’hui plusieurs fois par semaine.
Khadija : sa première fois sur une planche de surf, c’était il y a 8 ans
Khadija a pris son premier cours à l’âge de 11 ans, sur cette même plage. A l’époque, elle était l’une des deux seules filles d’un groupe de douze enfants. Son professeur : Redouane Regragui. Lui-même est monté pour la première fois sur une planche à l’âge de huit ans. Il est devenu entre-temps surfeur professionnel et a été deux fois champion du Maroc en shortboard et en longboard.
C’est dans la salle de sport de l’Academy que Khadija a également rencontré Maryam el Gardoum, il y a quelques années. Elles surfent ensemble de temps à autres. El Gardoum, 26 ans, a été cinq fois championne du Maroc et gère, dans le village voisin de Tamraght, la seule école de surf du Maroc dirigée par une femme. El Gardoum a été l’une des premières surfeuses professionnelles connues du Maroc : une pionnière du surf.
Entre-temps, dit-elle, les familles marocaines sont devenues plus libérales qu’il y a dix ans. Certaines jeunes filles peuvent à présent réaliser leurs rêves. Les choses sont en train de bouger. Toutefois, dans les villages de montagne, de nombreuses filles doivent encore quitter l’école précocement et se marier aussi vite que possible.
Maryam el Gardoum, cheveux longs et détachés, blanchis par le soleil, ne porte pas de hijab, bien qu’elle soit croyante. Bien qu’elle vienne d’une famille religieuse. « Je fais les choses que je dois faire : prier et jeûner ».
Si elle portait le hijab, explique-t-elle, elle devrait aussi respecter les autres règles : elle ne pourrait plus toucher ses amis masculins, par exemple, ni même les serrer amicalement dans ses bras.
Mais qui sait, peut-être qu’un jour elle portera le hijab, ajoute-t-elle. « Au fond de moi, j’ai le sentiment que je le ferai un jour ».
Khadija, en revanche, se sent très à l’aise avec le hijab, elle peut le porter aussi pour faire du surf. Quelques familles de ses amies ne les autorisent pas à faire du surf car elles pensent que celles-ci devraient s'habiller comme les étrangères. « Mais ce n’est pas du tout le cas ».
Le prophète Mohammed souhaitait que les enfants apprennent à nager
D’ailleurs, comme le rappelle Maryam el Gardoum, le prophète Mohammed avait déjà conseillé aux parents d’apprendre à leurs enfants à nager, tout comme à monter à cheval. Et il n’avait pas parlé de fils, mais d’enfants. Poursuivons la logique : si les enfants peuvent nager, ils peuvent aussi surfer. Et pourtant, s’agace el Gadoum, il y a des parents givrés qui laissent seulement surfer les garçons. Elle paraît fâchée quand elle en parle, comme si ce genre de discussions l’irritait. « Il s’agit d’enfants, donc de garçons et de filles ! ».
Ce matin-là, Redouane et Khadija descendent le chemin escarpé et accidenté des falaises vers la plage, leurs longboards sous le bras.
Une fois en bas, ils fixent la leash (le câble qui retient la planche) à leur cheville avec un Velcro, tandis que Redouane explique encore une fois à Khadija ce à quoi elle doit faire attention.
Puis ils se mettent à l’eau. Ils s’allongent sur leurs planches et pagayent jusqu’à l’endroit qu’ils avaient repéré d’en haut. Pour finir, Redouane et Khadija s’assoient sur le tail, la partie arrière de leurs planches, et attendent les vagues.
Voici la première vague : Khadija tourne rapidement sa planche et part en pagayant, Redouane à sa suite. Il lui donne un coup de pouce par derrière pour aller plus vite. Aussi vite que la vague elle-même. Le pop-up, le fait de se redresser, ne fonctionne pas, Khadija tombe dans la vague.
Deuxième vague : cette fois sans coup de pouce. Khadija se pousse vers le haut avec les bras comme pour faire des pompes, pose les deux pieds sur la planche et s’accroupit d’abord sans problème, puis se redresse lentement. Elle glisse sur la vague pendant quelques secondes, avant de s’affaler dans la mer.
Lorsque Redouane prend la première vague, on comprend tout de suite qu’il s’agit d’un pro. Il prend régulièrement de l’élan, saute à plus d’un demi-mètre dans les airs et continue malgré tout à surfer la vague. Il fait des virages à 180 degrés. Change constamment de direction. Surfe les vagues le plus souvent jusqu’à la plage. Un acrobate sur la planche.
À peu près à la hauteur de Khadija et Redouane, une vague emporte quelqu’un. À quelques mètres de la rive, la personne émerge. Sa tête est enveloppée d’un tissu rouge. La prochaine vague arrive, la personne plonge, puis refait surface, prend la planche et fait quelques pas en direction de la plage.
« Je pensais que c’était une femme en hijab », dira plus tard Khadija en sortant pesamment de l’eau.
« Mais c’était juste un homme blanc qui ne voulait pas prendre de coup de soleil ».
En début d’après-midi, Khadija et Redouane remontent la falaise jusqu’au parking. Pendant que Redouane prie sur un tapis devant un camping-car, à côté de deux autres hommes, Khadija se cache à nouveau derrière la portière de la voiture, passe son poncho de surf par-dessus sa tête et se change.