Khadija vient de Taghazout, le paradis du surf au sud du Maroc. Elle est pourtant la seule jeune femme du village à surfer. Mais les choses sont en train de bouger.
Beaucoup d’animation ce matin sur la falaise qui surplombe l’Atlantique au sud du Maroc. Des camping-cars, des camionnettes, des voitures avec galeries de toit et plein de surfeurs et surfeuses arrivés ici pour descendre aussitôt vers la plage.Mais il faut d’abord faire le guet, pour voir où se trouvent les meilleures vagues. La jeune Khadija et le jeune Redouane se tiennent donc au bord de la falaise et regardent l’étendue de mer bleu foncé jusqu’à l’horizon, observent le mouvement des vagues.

D’ici, explique Redouane, 29 ans, de taille moyenne au corps athlétique et cheveux courts, on peut mieux lire les vagues. C’est toujours la première chose à faire quand on arrive sur un spot, dit-il. | © Med Lebsat

La plage Tamri à midi. La plupart mangent un sandwich. | © Med Lebsat
Khadija porte encore son pantalon blanc, un sweat à capuche et un hijab en coton. Elle retournera plus tard à la voiture pour sortir un poncho de surf de son sac à dos. Il s’agit d’un peignoir ample et fermé avec des manches courtes et une capuche. Elle laisse la portière de la voiture ouverte, se tient un peu courbée entre portière et carrosserie et se change en enfilant sa capuche.
Quelques instants plus tard, la voilà vêtue d’une combinaison en néoprène, avec par-dessus un simple t-shirt gris et un hijab de natation en polyester. C’est comme un bonnet de bain, qui couvre le cou en plus de la tête. Elle en a besoin, un foulard classique finirait trempé. Aujourd’hui, on ne voit aucune femme ou jeune fille surfant avec un hijab de natation.

Khadija a 19 ans et vient d’entamer sa dernière année de lycée. Elle regarde les étrangers dans les yeux brièvement, sourit parfois avec réserve, presque timidement. Elle parle le tamazight, la langue des Amazighs, ou Berbères, comme on désigne les ethnies autochtones du Maghreb. Après le baccalauréat, elle dit vouloir suivre une formation de réceptionniste à Agadir. C’est ce qu’elle souhaite comme emploi principal. Comme emploi secondaire : monitrice de surf. | © Med Lebsat
Les hommes se rendent alors à la mosquée en gandoura, le vêtement traditionnel, tandis que les femmes prient à la maison.
Ses parents ont pourtant permis à leur fille d’aller pour la première fois dans l’eau sur une planche de surf quand elle avait 11 ans. Et ce, alors que la famille est très traditionnelle, et que le surf revient assez cher. La location d’une planche et de l’équipement coûte l’équivalent de 15 euros par jour, ce qui est énorme pour le niveau de vie local. Acheter son équipement coûterait encore beaucoup plus cher.
La location d’une planche et de l’équipement coûte l’équivalent de 15 euros par jour
Mais Khadija a de la chance : dès ses débuts, elle a pu emprunter gratuitement son équipement à la Tadenga Surf Academy, située à dix minutes à pied de la maison de ses parents. Elle y a également reçu des cours gratuits - comme d’autres enfants et adolescents du village. «C’est notre façon de soutenir la communauté», nous explique un collaborateur de l’Academy, dans un langage marketing bien rodé.Khadija : sa première fois sur une planche de surf, c’était il y a 8 ans
Khadija a pris son premier cours à l’âge de 11 ans, sur cette même plage. A l’époque, elle était l’une des deux seules filles d’un groupe de douze enfants. Son professeur : Redouane Regragui. Lui-même est monté pour la première fois sur une planche à l’âge de huit ans. Il est devenu entre-temps surfeur professionnel et a été deux fois champion du Maroc en shortboard et en longboard.
« Au début, Khadija avait peur de la mer », dit-il. Comme presque tous les enfants ici, elle ne savait pas nager. Redouane lui a appris. | © Med Lebsat
Entre-temps, dit-elle, les familles marocaines sont devenues plus libérales qu’il y a dix ans. Certaines jeunes filles peuvent à présent réaliser leurs rêves. Les choses sont en train de bouger. Toutefois, dans les villages de montagne, de nombreuses filles doivent encore quitter l’école précocement et se marier aussi vite que possible.

Maryam el Gardoum dans un café, à environ 500 mètres d’un spot de surf populaire, un « point break » : Devil’s Rock. | © Med Lebsat
Si elle portait le hijab, explique-t-elle, elle devrait aussi respecter les autres règles : elle ne pourrait plus toucher ses amis masculins, par exemple, ni même les serrer amicalement dans ses bras.
Mais qui sait, peut-être qu’un jour elle portera le hijab, ajoute-t-elle. « Au fond de moi, j’ai le sentiment que je le ferai un jour ».
Khadija, en revanche, se sent très à l’aise avec le hijab, elle peut le porter aussi pour faire du surf. Quelques familles de ses amies ne les autorisent pas à faire du surf car elles pensent que celles-ci devraient s'habiller comme les étrangères. « Mais ce n’est pas du tout le cas ».
Le prophète Mohammed souhaitait que les enfants apprennent à nager
D’ailleurs, comme le rappelle Maryam el Gardoum, le prophète Mohammed avait déjà conseillé aux parents d’apprendre à leurs enfants à nager, tout comme à monter à cheval. Et il n’avait pas parlé de fils, mais d’enfants. Poursuivons la logique : si les enfants peuvent nager, ils peuvent aussi surfer. Et pourtant, s’agace el Gadoum, il y a des parents givrés qui laissent seulement surfer les garçons. Elle paraît fâchée quand elle en parle, comme si ce genre de discussions l’irritait. « Il s’agit d’enfants, donc de garçons et de filles ! ».Ce matin-là, Redouane et Khadija descendent le chemin escarpé et accidenté des falaises vers la plage, leurs longboards sous le bras.

Redouane indique la direction de la mer et explique le comportement des vagues, Khadija écoute attentivement. Aujourd’hui, il surfe sur une shortboard, Khadi sur une longboard. | © Med Lebsat
Puis ils se mettent à l’eau. Ils s’allongent sur leurs planches et pagayent jusqu’à l’endroit qu’ils avaient repéré d’en haut. Pour finir, Redouane et Khadija s’assoient sur le tail, la partie arrière de leurs planches, et attendent les vagues.
Deuxième vague : cette fois sans coup de pouce. Khadija se pousse vers le haut avec les bras comme pour faire des pompes, pose les deux pieds sur la planche et s’accroupit d’abord sans problème, puis se redresse lentement. Elle glisse sur la vague pendant quelques secondes, avant de s’affaler dans la mer.
À peu près à la hauteur de Khadija et Redouane, une vague emporte quelqu’un. À quelques mètres de la rive, la personne émerge. Sa tête est enveloppée d’un tissu rouge. La prochaine vague arrive, la personne plonge, puis refait surface, prend la planche et fait quelques pas en direction de la plage.
« Je pensais que c’était une femme en hijab », dira plus tard Khadija en sortant pesamment de l’eau.
« Mais c’était juste un homme blanc qui ne voulait pas prendre de coup de soleil ».
En début d’après-midi, Khadija et Redouane remontent la falaise jusqu’au parking. Pendant que Redouane prie sur un tapis devant un camping-car, à côté de deux autres hommes, Khadija se cache à nouveau derrière la portière de la voiture, passe son poncho de surf par-dessus sa tête et se change.