La miche de pain à base de blé est la principale source de subsistance de la population au Yémen, et la denrée la plus consommée sur le marché local, dans la mesure où l‘essentiel de l'alimentation des Yéménites est basée sur le blé qui les maintient en vie, les deux tiers de la population manquant d’un minimum de sécurité alimentaire, alors que la faim connait une expansion selon le Programme alimentaire mondial.
Umm Najeeb (35 ans), une femme au foyer de la ville de Taëz (sud du Yémen) issue d'une famille à revenu intermédiaire, se plaint de la réduction du volume des produits de boulangerie, alors que sa famille consomme du pain moulu, ou pain plat, pour un montant d'un à un dollar et demi par jour; ce qui dépasse ses capacités financières et de celles de nombreuses familles yéménites dans le contexte de la guerre qui dure depuis huit ans.La miche de pain à base de blé est la principale source de subsistance de la population au Yémen, et la denrée la plus consommée sur le marché local, dans la mesure où l‘essentiel de l'alimentation des Yéménites est basée sur le blé qui les maintient en vie, les deux tiers de la population manquant d’un minimum de sécurité alimentaire, alors que la faim connait une expansion selon le Programme alimentaire mondial.
Parallèlement à l'accroissement accéléré de la population avec un taux de 3% par an, la demande intérieure de blé à base de farine blanche a augmenté, car le Yémen a besoin de quatre millions de tonnes par an, selon une étude publiée par le Centre d'information économique, tandis que l'importation annuelle de blé a atteint 3,8 millions de tonnes.
Localement, bien que les céréales vivrières occupent la majeure partie la superficie agricole avec un taux de 57%, la récolte de blé ne dépasse pas 7% de la production nationale au Yémen.
À cet égard, une étude publiée dans une Revue égyptienne a mis en avant la réalité de la sécurité alimentaire au Yémen depuis dix ans, montrant que la production intérieure de blé a connu une baisse significative dans un contexte de prix élevés des dérivés du pétrole et des intrants agricoles, et la dépendance d’une majorité des Yéménites à l'aide de secours en blé blanc du Programme alimentaire mondial, dont le volume a également diminué en raison du manque de financement; ce qui laisse présager une famine et un déficit alimentaire croissants.
Dans les pays en développement, la farine composée est l'un des principaux moyens de réduction de la dépendance au blé importé et d’incitation à l'utilisation de céréales locales, qui sont généralement consommées par des éleveurs ignorant leur valeur nutritive pour la consommation humaine
Selon une étude publiée par le Centre d'information économique (une organisation locale), le Yémen dispose actuellement de trois à quatre mois de stocks, mais cela ne suffit pas pour faire face aux risques de la crise mondiale du blé et gérer ses attentes au niveau local avec un plan d'urgence et une stratégie alternative.
La technologie de la farine composée
La farine composée est un mélange de farine et d'amidons avec d'autres ingrédients, destiné à remplacer complètement ou partiellement la farine de blé dans les produits de boulangerie et de pâtisserie.La farine composée est généralement un mélange de deux ou trois composants constitué de farine végétale avec ou sans farine de blé blanche, dans la mesure où le sorgho, le maïs, le millet et l'orge sont les principales alternatives pouvant être utilisées dans la farine composée. Les protéines de légumineuses peuvent également être utilisées pour augmenter la valeur nutritionnelle des produits de boulangerie et obtenir un produit équilibré en acides aminés, étant donné que les protéines de légumineuses sont riches en lysine, absente dans le blé; ce qui en fait un complément alimentaire idéal.
Selon une étude menée en 2012 et publiée dans la Revue syrienne de recherches, l’apport en calories dont bénéficie un.e citoyen.ne yéménite est le plus faible au Moyen-Orient et Afrique du Nord, avec une moyenne ne dépassant pas les 2020 calories par jour, comparé à 3350 calories par jour pour un.e Egyptien.ne, et 3070 calories pour un.e Marocain.e; ce qui fait du pain à base de farine composée l'une des solutions pour améliorer l'apport nutritionnel avec un moindre coût.
Études sur la farine composée
Un certain nombre de chercheurs de l'industrie alimentaire ont utilisé de la farine composée pour fabriquer des types courants de pain sucré, tester le produit final pour connaître les nutriments et tester sa compatibilité avec le goût du consommateur, les produits de boulangerie à base de farine composée étant quelque peu différents, en termes de propriétés organoleptiques, de ceux à base de farine blanche.Une étude sur le pain plat (l'un des types de pain communs) au Yémen, qui est composé de farine de blé et de mil à chandelle et fabriqué au Centre de recherche alimentaire et de technologie post-récolte à Aden, menée localement par quatre chercheurs affiliés au Centre et publiée par la Revue de recherches agricoles, a délibérément remplacé la farine de mil dans des proportions variables allant jusqu'à 30% contre 70% de farine de blé blanche, au cours de laquelle des échantillons ont été soumis à un certain nombre de tests chimiques, pour mesurer l'humidité, les nutriments et minéraux les plus importants, en plus de mesurer les qualités sensorielles (couleur, forme, goût et facilité de mastication) du produit par rapport au pain commun à base exclusivement de farine de blé blanche. On a utilisé l‘une des variétés de blé local cultivée dans l‘Hadramaout (variété Shibam-8), la récolte de mil utilisée dans l'étude étant résistante à la sécheresse et sa culture au Yémen est répandue dans les hautes terres du nord et de l'ouest et dans les zones côtières du sud du Yémen, et son taux d'autosuffisance ayant atteint 94% en 2018, selon une étude publiée par l’ESCWA.
Des résultats prometteurs
Les participants à l'étude ont préparé du pain à partir de farine de blé et de farine composée de mil à chandelle, qui se caractérise par un apport en calories plus élevé que le blé exclusivement blanc, en plus de se distinguer par des sels et des minéraux tels que le phosphore, le potassium, le fer et le zinc. L'étude a conclu que le pain composé est supérieur en valeur nutritive à son homologue à base de blé blanc, sauf en protéines, dont il contenait 12% contre 15% pour la farine de blé, mais le pourcentage reste élevé et conforme à ce qu’a déterminé l'autorité yéménite des spécifications, selon l'étude.Le pain à base de farine composée est supérieur en valeur nutritive de par le taux élevée de potassium, qui est passé à 246 mg/ 100 g en remplaçant 30% de farine de millet par rapport à 165 mg/ 100 g dans le pain de blé pur. Le potassium est un minéral important nécessaire pour protéger le système nerveux des maladies et maintenir l'élasticité musculaire. Il contribue également à l'équilibre et à la stabilité du sang.
Le phosphore minéral, qui est important pour la croissance des cellules, des tissus et la formation des os et des dents lorsqu'il est associé au calcium, a augmenté de 35% dans le pain à base de farine composée, et le fer a dépassé jusqu'à quatre fois son taux dans le pain de blé pur; ce qui signifie que le consommateur obtient 55% de fer de chaque 100 grammes, la quantité recommandée à l’échelle internationale.
L'étude indique un manque de minéral de fer chez les Yéménites; ce qui fait du pain à base de farine composée de millet et de blé une solution idéale pour valoriser ce minéral important, en particulier chez les franges pauvres de la population, ainsi que le zinc, qui joue un rôle important dans l'activation de l'insuline et le contrôle de la glycémie, à côté du cuivre, qui entre dans la synthèse de nombreuses enzymes, et est donc nécessaire pour la santé cardiaque et les globules rouges, dont les taux sont passé respectivement à 85% et 47%.
Les auteurs de l'étude ont constaté une teneur élevée en fibres dans le pain à base de farine composée, le taux était de 2,3% contre 0,4 % dans le pain de blé. Les fibres sont l'un des nutriments les plus importants pour la prévention du cancer du côlon et le maintien d'un faible taux de cholestérol dans le sang.
La nutritionniste Dr Amal Al-Mujahid affirme: « Il n'y a pas de comparaison entre la valeur nutritionnelle de la farine de blé blanc, qui a subi un broyage et a perdu l'enveloppe et le germe de blé riches en nutriments, et le reste des céréales telles que l'orge, le millet et le maïs de toutes sortes, mais le consommateur doit être sensibilisé sur l'importance des céréales locales. »
Les résultats de l'évaluation sensorielle, après avoir recueilli les résultats de l'évaluation des paramètres sensoriels du pain (du goût, de la forme, de la couleur et de la facilité de mastication du pain à base de farine composée) ont conclu qu'il n'y avait pas de différences sensorielles lors de l‘introduction de 5% de la farine de mil, et le taux d'acceptation a atteint 90% pour le pain à base de farine composée lors du remplacement de 30% de la farine de mil contre 89% pour le pain de blé pur, ce qui fait que le pain à base de farine composée entre dans la catégorie « très acceptable » pour le consommateur.
Le Dr Mohammed Al-Musalla, l'un des auteurs de l'étude, qui a mené un certain nombre d'études dans le domaine de la technologie de la farine composée, notamment le mélange de blé avec du sorgho, raconte: "L'étude a conclu à la possibilité d'ajouter 25% de farine de maïs pour obtenir un pain moulu très acceptable, et comme pour le maïs levantin, l'étude a conclu à la possibilité d'en introduire 20%, un taux acceptable pour le consommateur, afin d‘obtenir un type de pain moulu (pain français)".
Pour connaître le degré d‘acceptation des produits de boulangerie à base de farine composée par les consommateurs, le Dr Khaled Nasser, du Département des sciences de l'alimentation et de la nutrition de l'Université de Sanaa, a mené une étude récente publiée dans la Revue égyptienne sur l'effet de la farine composée (maïs fin, maïs Shamiya, farine fumée, farine de lentilles) sur les caractéristiques organoleptiques des produits de boulangerie les plus populaires au Yémen (al-kadam, pain plat, roti). L'étude a conclu à la supériorité de la farine composée dans le pain (al-kadam) et à l'absence de différences significatives dans le pain plat et le pain roti. L‘étude a confirmé la possibilité d'une substitution partielle des types locaux de céréales sans que cela n‘affecte les qualités organoleptiques souhaitées par le consommateur, en tenant compte des proportions de substitution de farine de blé riche en gélatine responsable de la texture et de la facilité de formation de la pâte.
Le professeur Ismail Muharram, ancien président du Conseil de la recherche agricole, a déclaré: «La farine composée est une importante transformation dans les pays en développement pour réduire la dépendance au blé importé et encourager l'utilisation de céréales locales, qui sont généralement consommées par des éleveurs ignorant leur valeur nutritive pour la consommation humaine. »
Les expériences de substitution dans la farine n'étaient pas seulement au niveau des céréales et des légumineuses, mais selon la confirmation de Muharram, une équipe de chercheurs a utilisé les grains d'une plante sauvage appelée Sistani « Prosopis » – une plante qui pousse dans la plaine côtière de l‘Hadramaout et Marib, et consommée par les animaux. Les chercheurs ont réussi à en intrdouire 15% dans du pain, et 2% pour faire des gâteaux délicieux et nutritifs, riches en fibres et protéines, et des biscuits en en introduisant 30%. Les produits ont reçu une note très acceptable.
La volonté de fabriquer de la farine composée
Muharram ajoute: « Nous avons commencé avec une approche de plan depuis le début des années 2000 pour adopter la culture de la farine composée après avoir mené un certain nombre de recherches et d'études. Un certain nombre de moulins dédiés au broyage des graines de l'usine de prosops "Sistani" ont été initialement fournis à un certain nombre de propriétaires de fours après avoir reçu une formation sur les rapports de mélange, et il était prévu de réduire progressivement la dépendance au blé jusqu'à ce que nous atteignions 40%. Cependant, avec le début des troubles politiques en 2010, le plan n'a pas été achevé et nous sommes retournés au premier carré. Mais nous espérons que la crise actuelle sera le début pour un regain d‘intérêt des décideurs envers la sécurité alimentaire. »*Ce rapport a été publié dans le cadre de la participation de l'auteure à l'atelier de journalisme scientifique et dans le cadre du projet "Journalisme et science au Moyen-Orient et en Afrique du Nord", un projet du Goethe-Institut financé par le ministère allemand des Affaires étrangères. Il a été publié pour la première fois sur khayut.com.
Décembre 2022