L'anémie falciforme est l'un des troubles héréditaires des globules rouges, lorsque ces globules responsables du transport de l'oxygène vers tous les organes et tissus du corps changent de forme. Elle est répandue en Libye à cause des mariages consanguins.
Oussama avait six mois lorsque des symptômes alarmants de la maladie ont commencé à apparaître sur lui. Une forte fièvre et des douleurs intenses le font sans cesse pleurer toute la journée, se tenant continuellement la tête et les pieds et se tordant de douleur. Les médecins n'ont pas trouvé d'explication à ce qui se passait après avoir procédé par élimination des probabilités.Au fil du temps, les symptômes se sont aggravés, son estomac, ses doigts et ses orteils ont enflé, et il a commencé à passer ses nuits entre sanglots et soupirs.Les symptômes mystérieux et les crises de douleur qui l'ont tourmenté se sont poursuivis pendant un an et demi, une période durant laquelle les médecins sont restés confus, jusqu'à ce qu’un indice médical se manifeste et déchiffre l’énigme de l'affaire, l'un d’entre eux ayant prêté attention au teint jaunâtre des yeux du petit et aux résultats de ses analyses de sang, qui indiquaient une anémie sévère et un pourcentage élevé du composé bilirubine, résultant de la décomposition des érythrocytes.
Oussama a été présenté à une hématologue de l'hôpital pour enfants de Tripoli, qui a demandé des tests supplémentaires et a posé quelques questions sur les antécédents familiaux et la parenté entre le couple. Après avoir examiné les résultats, elle a annoncé aux parents d'Oussama le diagnostic final : leur fils souffre d'anémie falciforme.
Douleurs intenses
L'anémie falciforme est l'un des troubles héréditaires des globules rouges, lorsque ces globules responsables du transport de l'oxygène vers tous les organes et tissus du corps changent de forme. Les cellules normales sont de forme ronde avec des côtés concaves, mais dans le cas de l'enfant Oussama, elles sont en forme de croissant ou de faucille ; d'où le nom de cette maladie.Les globules rouges d'Oussama ont du mal à traverser les vaisseaux sanguins, et ils ne transportent pas non plus adéquatement l'oxygène vers d'autres cellules du corps. Lorsqu’il est exposé à la déshydratation, à l'épuisement, au temps trop froid ou trop chaud, l'oxygène diminue davantage et l'enfant subit une crise de douleurs intenses.
Alors que les cellules sanguines normales vivent de 90 à 120 jours, les cellules drépanocytaires ne vivent que dix à vingt jours, puis se décomposent, provoquant une pauvreté du sang ou ce qu'on a communément appelé l'anémie [1].
Complications graves
La forme anormale en faucille des globules rouges provoque leur obstruction à l'intérieur des vaisseaux sanguins ; ce qui peut entraîner des complications très graves telles que des lésions organiques, des accidents vasculaires cérébraux et la cécité. [2]En décembre 2012, alors qu'Oussama avait six ans, son état s'est soudainement détérioré, avec un nouvel accès de douleur accompagné d'un terrible mal de tête et d'une température élevée de 41 degrés °C. Les douleurs ne l’ont pas du tout épargné et aucun des analgésiques prescrits par les médecins n’a fonctionné pour lui. Puis sa tension artérielle a sérieusement augmenté, et il a développé une insuffisance cardiaque et rénale à tel point que son urine est de venue de couleur marron ; ce qui a nécessité son admission aux soins intensifs.
Il s'est avéré qu'Oussama était en proie à l'une des complications de la drépanocytose, connue sous le nom de séquestration hépatique, où les globules rouges sont coincés à l'intérieur du foie, hypertrophiés et ses enzymes perturbées de manière effrénée. L’enfant est resté sous la surveillance étroite des médecins qui lui ont transfusé du sang en continu ; ce qui lui a sauvé la vie et l'a sorti des soins intensifs après une semaine critique vécue par sa famille comme une éternité.
Une seule lettre peut gâcher l'hémoglobine
Les cellules souches de la moelle osseuse produisent des érythrocytes, et les cellules matures se retrouvent dans la circulation sanguine après s'être débarrassées de leur noyau, cédant la place à 200 à 300 molécules d'hémoglobine responsables de la liaison à l'oxygène [3].La molécule d'hémoglobine est composée de quatre chaînes protéiques, deux sont appelées alpha globine et les deux autres bêta globine. Les chaînes bêta sont celles qui nous intéressent maintenant dans notre compréhension de la drépanocytose.
La chaîne globine bêta est constituée de 146 acides aminés (les acides aminés sont le principal élément constitutif de la synthèse des protéines) dont l'ordre et les types sont pré-conservés dans nos gènes et sont connectés les uns aux autres tels des perles de chapelet.
Dans la drépanocytose, une erreur se produit dans la disposition de ces acides en raison d'une mutation dans le gène responsable de la synthèse de la protéine globine bêta ; cette mutation consiste en une substitution d’une lettre, le 6e codon GAG devenant GTG, de sorte que l'acide aminé « la valine » devient un substitut de « la glutamine ».
La substitution de cet acide aminé provoque la perturbation des molécules d'hémoglobine et leur liaison à l'intérieur de l'érythrocyte, formant de grandes structures rigides ressemblant à des cordes : ce qui donne à l'érythrocyte sa forme de faucille et lui fait perdre l’élasticité qu'il avait auparavant [4].
Sans le savoir
Chaque humain possède 46 chromosomes (23 paires) à l'intérieur du noyau de ses cellules, contenant toutes les informations et traits génétiques, dont 22 paires de chromosomes somatiques et une paire de chromosomes sexuels qui déterminent son sexe.Le gène de la globine bêta est situé dans la 11e paire de chromosomes somatiques, et par conséquent chaque nouveau-né hérite de deux copies du gène de la globine bêta, une de son père et une de sa mère. Si une copie du gène contient la mutation de la drépanocytose, le nouveau-né est considéré comme porteur de la maladie et ne présente pas de symptômes. Si les deux copies contiennent la mutation, le nouveau-né est considéré comme atteint d'anémie falciforme, et ce schéma est appelé hérédité récessive [1,3].
Dans le cas d'Oussama, ses deux parents étaient porteurs de la maladie, sans le savoir, et avec ce génotype, 25% de leurs enfants souffriront d'anémie falciforme. La probabilité que deux parents porteurs se rencontrent dans la consanguinité augmente, du fait que la mutation récessive de la drépanocytose continue d'être héritée par générations successives.
Dr Hawida al-Haji dit qu'elle a été témoin de dizaines de cas d'anémie falciforme, la plupart pour des jeunes dont les parents sont apparentés.
« Le choc, puis le sentiment de culpabilité au fil du temps, c'est le cas tous les parents porteurs de la maladie, après que je leur ai fait part des résultats de l'analyse de l'hémoglobine. », poursuit Al-Haji.
Les villes du sud sont les plus touchées
En fait, il n'y a pas de statistiques officielles ou de chiffres de l'État libyen sur la prévalence de la drépanocytose, mais certaines indicateurs et études scientifiques indiquent une incidence élevée de cette maladie, en particulier dans le sud de la Libye.Al-Haji confirme également que la plupart des patients atteints d'anémie falciforme qui viennent la voir viennent des villes du sud, de Tawarga à l'est de Tripoli et d' Al-Ajaylat à l'ouest de celle-ci.
La prévalence de la mutation de la drépanocytose dans les villes du sud [4,5,6,7,8] varie de 4% à 53%, tandis qu'à Tawarga, elle est de 12,5%. En vue de plus d'explications, j'ai rencontré le professeur de génétique moléculaire Dr Mohammed Marwan, qui a publié plusieurs recherches scientifiques sur les troubles sanguins génétiques, dans son bureau de la Faculté des sciences de l'Université de Tripoli.
À propos de la raison de la propagation importante de la maladie dans le sud et à Tawarga, Marwan dit: « Cela est dû à l'origine de la mutation de la drépanocytose, qui est censée être une mutation sélective pour prévenir le paludisme, car les cellules drépanocytaires offrent une protection naturelle contre le parasite du paludisme, et les enfants porteurs de la mutation drépanocytaire vivent avec le paludisme dans des proportions plus élevées que les enfants normaux ; ce qui explique l'augmentation de cette mutation dans les pays où la maladie est répandue, en particulier en Afrique subsaharienne. »
C'est pourquoi il croit que l'anémie est fréquente chez les personnes à la peau foncée. « Le paludisme était endémique jusqu'à récemment dans le sud libyen, de sorte que la propagation de la mutation drépanocytaire est importante parmi les Fezzans (habitants de la région du Fezzan), et la ville côtière de Tawarga était historiquement un centre important pour le commerce des esclaves », a-t-il dit.
Il est intéressant de noter que la ville de Mourzouq dans le sud avait une incidence de 10% de la maladie, tandis que le pourcentage de porteurs de la mutation drépanocytaire dépassait 53%. Selon une étude publiée en 2015[5] , les scientifiques qui y ont participé ont attribué la raison au taux élevé de consanguinité, qui a atteint 72% parmi les membres des vingt familles étudiées, et aussi à la grande taille des familles, qui atteint en moyenne 6 à 10 enfants par famille ; ce qui est un autre facteur important qui augmente la fréquence de l'apparition de la drépanocytose.
Parce que mieux vaut prévenir que guérir…
Dr Marwan souligne la nécessité de mener plus d'études et d'enquêtes au niveau national pour connaître les taux de propagation de cette maladie dans la société, soulignant la nécessité de promulguer une législation obligeant les proches à procéder à un examen génétique avant le mariage, à l'instar d'autres pays où les taux de maladies génétiques sont élevés.Al-Haji avait également un avis similaire, car elle considérait que la réglementation du mariage endogame était nécessaire à la lumière de sa propagation dans la société libyenne à un rythme élevé, d'autant plus que la question n'est pas seulement liée à la drépanocytose, mais aussi à plusieurs autres maladies génétiques, dont certaines peuvent être mortelles, soulignant que la sensibilisation de la société aux dangers de la consanguinité joue un grand rôle pour épargner aux familles la récurrence de telles tragédies.
Thérapie génique… espérance en l'avenir
Jusqu'à présent, il n'y a pas de remède contre la drépanocytose, et le patient ne vit pas plus de quatre ou cinq décennies au plus, et le seul traitement actuellement disponible est la greffe de la moelle osseuse. Et comme les greffes peuvent avoir des effets secondaires graves, elles ne sont généralement utilisées que chez les enfants atteints de drépanocytose sévère. Pour que l'opération réussisse, la moelle osseuse doit être complètement identique, et généralement le meilleur donneur est un frère ou une sœur [2]. Une greffe de moelle provenant d'un donneur externe peut augmenter la probabilité que le corps rejette la nouvelle moelle.Mais en février dernier, le New England Journal of Medicine [9] a publié les résultats des première et deuxième phases d'essais cliniques menés aux États-Unis sur une thérapie génique à dose unique appelée globine bleue qui est capable de corriger la forme des cellules sanguines falciformes, empêchant les crises de douleur sévères de se produire.
Les scientifiques ont extrait les cellules souches responsables de la fabrication des érythrocytes du sang des patients, les ont génétiquement modifiées en y introduisant une copie saine du gène de la globine bêta, puis ont tué les cellules restantes de la moelle par chimiothérapie pour faire place à des cellules génétiquement modifiées qui sont ensuite injectées pour prendre position dans la moelle osseuse et commencer à produire de nouveaux érythrocytes sains exempts de la mutation drépanocytaire.
Les patients ont été suivis après l'injection pendant 3 ans, et les résultats ont été très impressionnants pour prévenir toute crise de douleur, et les patients ont commencé à vivre leur vie de manière tout à fait normale [10].
Aujourd'hui, Oussama est un élève de première année du secondaire qui essaie de mener une vie normale comme tous ses pairs, malgré la barrière serrée de mesures protectives qui l'encercle ; il reçoit son éducation dans une école privée, dans une salle de classe climatisée, et évite d'y assister lorsque l'un de ses camarades tombe malade pour ne pas être infecté. Il évite également la fatigue physique et veille à boire beaucoup d'eau tout au long de la journée. Mais toute cette prudence ne l'empêchait pas de subir de temps en temps une crise de douleur, suite à laquelle il est hospitalisé.
Dr Hawida al-Haji fait par de son optimisme quant à la prochaine révolution de la thérapie génique, qui peut représenter un espoir pour des cas comme Oussama : « Il y a plusieurs études menées dans le monde sur la thérapie génique pour la drépanocytose, et je m'attends à ce que dans 5 ou 6 ans au plus tard, nous ayons rendez-vous avec la première thérapie génique qui sera autorisée à être utilisée avec des patients ».
Références:
1. Sickle Cell Disease (Genes & Disease)
2. Complications and Treatments of Sickle Cell Disease
3. ?What is Sickle Cell Trait
4. The Incidence of Hemoglobin S in Taourga Region, Libya
5. Prevalence of HbS Gene in Marzouk Region of Southern Libya
6. Prevalence of hemoglobin S in Wadi Eshati Region - South Libya
7. دراسة مبدئية عن مدى انتشار خضاب الدم المنجلي في المترددين على مستشفى القطرون العام.
8. دراسة مبدئية عن مدى انتشار خضاب الدم المنجلي في المترددين على مستشفى أوباري العام.
9. Biologic and Clinical Efficacy of LentiGlobin for Sickle Cell Disease
10. Experimental Gene Therapy Reverses Sickle Cell Disease for Years
Ce rapport est publié dans le cadre de la participation de l'auteur à un atelier sur le journalisme scientifique dans le cadre du projet « Médias et sciences dans la région MENA », un projet du Goethe-Institut, financé par le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères. Il a été publié pour la première fois sur bnlibya.com.
Janvier 2023