Hasards dans le sport
Comment l’Inde découvre ses talents sportifs
Dans certaines disciplines sportives, en Inde, le soutien aux jeunes talents n’est pas encore développé de manière optimale. Le hasard joue souvent un rôle dans la découverte de nouveaux talents. Mais pas toujours non plus.
Jyoti Kumari, 15 ans, a roulé sept jours à vélo pour rentrer chez elle dans l’État du Bihar, dans le nord de l’Inde. Pendant le confinement entraîné par la COVID-19, elle a parcouru près de 1 200 kilomètres avec son père blessé sur le porte-bagages. Les transports publics ne fonctionnaient plus, et tous les deux étaient coincés près de la capitale New Delhi. Jyoti a alors persuadé son père de dépenser l’argent qui lui restait pour acheter un vélo. Le début d’une nouvelle carrière sportive ?
Le voyage de Jyoti n’est pas passé inaperçu. Des journalistes ont découvert cette jeune fille à vélo portant un dupatta rouge et l’ont couverte de promesses : si elle réussit l’examen d’entrée, elle sera admise à l’académie de la Fédération indienne de cyclisme.
Carrière dans l’armée: d’anciennes icônes du sport et leurs hasards
De grandes étoiles du sport en Inde ont été découvertes par hasard, dans le passé particulièrement. Paan Singh Tomar est peut-être l’une des plus célèbres. Et cela n’est pas seulement dû à ses sprints gracieux. Le long métrage en hindi sur son histoire, avec Irfan Khan dans le rôle principal, a également contribué de manière significative à sa renommée.
Tomar s’est engagé dans l’armée alors qu’il était encore jeune. La légende veut qu’il a dû faire de nombreux tours de piste supplémentaires sur le champ de parade après une dispute avec son instructeur. Pendant qu’il courait, les officiers l’auraient remarqué. Il était si bon qu’il a représenté l’Inde aux Jeux asiatiques de 1958 à Tokyo. Dans les années 1950 et 1960, il a été sept fois champion national de la course d’obstacles. Son record national aux 3 000 mètres haies n’a pas été battu pendant dix ans.
Pieds nus sur le sable chaud
Le « Sikh volant », alias Milkha Singh, est une autre icône du sport presque oubliée et découverte par accident. Son histoire a également été portée à l’écran. Enfant, Singh aurait parcouru de longues distances pieds nus sur du sable chaud pour se rendre à l’école et aurait ainsi acquis une endurance extrême. Il avait quinze frères et sœurs, dont huit sont morts durant les troubles causés par la partition de l’Inde britannique en 1947, peu avant l’indépendance du pays. Même ses parents n’ont pas survécu aux conflits sanglants. Juste avant que son père ne soit assassiné par une foule en colère, il enjoignit son fils de s’enfuir pour se mettre à l’abri.
Comme Paan Singh Tomar, Singh, qui était devenu orphelin, s’est enrôlé dans l’armée indienne. C’est là qu’il a commencé à faire du sport professionnel. Avant de s’engager, il ne savait pas ce qu’était la course à pied et ne connaissait pas non plus les Jeux olympiques. Singh a été choisi pour un entraînement spécial d’athlétisme, ce qui a fait de lui un coureur et plus tard une légende. Jusqu’en 2010, il était le seul athlète indien à avoir remporté une médaille d’or en athlétisme individuel aux Jeux du Commonwealth. Aux Jeux olympiques de Rome en 1960, la médaille d’or lui a échappé de peu lors de la finale du 400 mètres.
Les footballeurs et les athlètes sont plus faciles à découvrir
Aujourd’hui, des décennies plus tard, des athlètes indiens trouvent encore le chemin menant à la gloire, à l’honneur et au sommet de façon fortuite. Parmi eux, mentionnons le coureur d’obstacles Avinash Sable, qui après avoir rejoint l’armée indienne, a participé à la course de fond de celle-ci en 2015. Présentant un surplus de poids, Sable a perdu 20 kilos en trois mois, suivi un entraînement intense et s’est qualifié pour les championnats du monde d’athlétisme de 2019 avec un record national.
Ou encore la footballeuse Ngangom Bala Devi. Sportive, Devi avait intégré la police de Manipur et jouait dans leur ligue féminine, mais pas en tant que joueuse professionnelle. Contre toute attente, en janvier 2020, elle a obtenu un contrat de dix-huit mois avec le club écossais Rangers FC, transformant ainsi sa passion en un emploi à plein temps. L’attaquante de 30 ans est aujourd’hui l’une des rares footballeuses professionnelles indiennes.
Découvrir et soutenir dès le plus jeune âge
« Bala Devi a commencé tôt à jouer au football », explique le journaliste sportif Amit Kamath. Pour avoir du succès aujourd’hui, les athlètes professionnels doivent débuter jeunes. Selon lui, le temps des grands hasards est presque terminé. « Le système de soutien sportif en Inde n’est pas le meilleur du monde, mais il ne repose plus sur le hasard », explique-t-il. La génération actuelle d’athlètes, qu’ils soient tireurs sportifs, haltérophiles, boxeurs ou joueurs de cricket, commence jeune. Beaucoup d’entre eux sont découverts et soutenus à l’âge recherché.
La sprinteuse Hima Das appartient à cette jeune génération. Fille d’un riziculteur du nord-est de l’Inde, elle a été découverte en train de jouer au football pieds nus. Hima jouait toujours avec ses frères et ses amis, et le fait que cela était mal vu ne la dérangeait pas. Elle continuait à jouer. Dans son école, il n’y avait ni cours d’éducation physique ni professeur de sport, comme dans de nombreuses écoles publiques. Seuls des tournois étaient organisés à l’occasion, et l’équipe de l’école de Hima a participé à l’un d’entre eux. Un entraîneur a remarqué qu’elle courait toujours devant les autres et plus vite qu’eux.
La famille de Hima n’avait pas assez d’argent pour l’inscrire à une école de sport, elle n’en avait même pas assez pour lui offrir des chaussures de course. Mais les entraîneurs l’ont soutenue, financièrement et dans sa discipline, de sorte qu’elle est devenue une athlète. Ce n’est qu’après avoir remporté sa première médaille qu’elle a reçu une aide de l’État. En 2017, c’est la percée : Hima devient championne indienne du 200 mètres. En 2018, elle établit le record national indien du 400 mètres (50,79 secondes). Aujourd’hui, la jeune femme de 20 ans s’entraîne principalement à l’étranger.
La découverte de nouveaux talents est souvent le fruit du hasard
Le fait que l’Inde n’ait pas encore remporté de médaille olympique en athlétisme n’est pas surprenant pour le commentateur sportif Novy Kapadia. La découverte de talents repose sur le hasard et la chance. Comme pour la triple championne indienne du lancer du javelot, Annu Rani, toujours selon Kapadia. L’athlète de 28 ans est la première Indienne à avoir atteint la distance de 60 mètres au lancer du javelot. Elle a d’abord été entraînée par son frère, qui avait remarqué la force de son lancer en jouant au cricket. Son père, réticent au départ, l’a quand même encouragée à developper son talent. Comme elle n’avait pas de javelot, Annu Rani s’entraînait au départ avec un bâton de bambou.
Annu Rani a atteint le sommet : cette fille d’un agriculteur de l’Uttar Pradesh, dans le nord de l’Inde, est devenue la première lanceuse de javelot indienne à s’être qualifiée pour la finale des championnats du monde d’athlétisme de 2017. En octobre 2019, elle a atteint la finale aux championnats du monde d’athlétisme de l’IAAF. Son prochain objectif est de réussir aux Jeux olympiques de Tokyo.
Comment trouver des talents dans des disciplines coûteuses ?
Contrairement à l’athlétisme, où aucun équipement coûteux n’est nécessaire au début, il est beaucoup plus difficile de découvrir de nouveaux talents par hasard dans d’autres disciplines sportives. C’est ce que confirme Namita Bal, de Pune, qui entraîne l’équipe indienne junior de la Fed Cup en tennis. « Nous avons besoin d’un bien meilleur système de dépistage », dit-elle. Les sports comme le tennis sont chers et leur accès est très limité. Ceux qui débutent ont besoin non seulement du soutien financier nécessaire, mais aussi de bons physiothérapeutes et entraîneurs, et de persévérance pour ne pas abandonner. La jeune femme de 27 ans était elle-même une joueuse active avant de changer de camp.
« Les programmes gouvernementaux dans les écoles pourraient aider à trouver des talents. Et pas seulement dans le domaine du tennis », dit Bal. Toute personne qui décide de s’investir pleinement dans le tennis à l’âge de 14 ans n’aura pas la tâche facile. « Surtout dans un pays comme l’Inde, où des centaines de joueurs sont déjà plus avancés. Je recommande de commencer à l’âge de huit ou neuf ans, en pratiquant deux ou trois autres sports par semaine », poursuit Bal.
De bonnes perspectives pour une carrière tardive
Avec ses 15 ans, Jyoti Kumari serait encore assez jeune pour une carrière d’athlète, mais passera-t-elle le test d’aptitude pour l’académie de sport ? L’invitation a été lancée, mais elle demeure sans réponse pour le moment. Jyoti veut d’abord se concentrer sur l’école. Elle bénéficie toutefois déjà d’une aide financière : les autorités locales ont construit des toilettes pour sa famille. Des rumeurs circulent aussi selon lesquelles son histoire sera portée à l’écran. Ainsi, pour Jyoti aussi, le hasard pourrait contribuer à la création d’une légende.