Hanane Walid est psychologue et conseillère. Elle vit à Ramallah, en Palestine, et travaille dans une clinique d'un centre médical complet où elle reçoit ses patients et leur offre un soutien psychologique. Son travail est précis et délicat, elle passe ses journées à écouter attentivement des enfants et des adultes parler de leurs soucis, de leurs problèmes et de leurs émotions les plus sensibles, en leur fournissant un espace sûr où ils peuvent s'exprimer, jouer et adopter certains comportements.
Salam, un enfant à la fois innocent et mature, arrive à la clinique. Il se plaint de sa mère qui le traite de menteur quand il prétend faussement avoir fini ses devoirs. Avant cette séance de déballage, il demande à Hanane de jouer ensemble à "Serpents et échelles". Il lance le dé et parle de l'amour qu'il a pour la couleur verte, tandis que Hanane l'écoute, patiente et judicieuse, et petit à petit, l'enfant s'ouvre devant elle et commence à s'exprimer sans peur, ni hésitation, ni timidité. La pandémie de Covid a eu sur les Palestiniens, tout comme les autres peuples du monde, de graves effets psychologiques et sociaux. Pendant le confinement prolongé qui a commencé en mars 2020, la priorité ayant été donnée au traitement physique des personnes infectées au détriment des soins psychologiques, beaucoup ont connu la peur, l'inquiétude et l'isolement, et ont souffert de nombreux stigmates psychologiques.
Pendant cette période chaotique, des initiatives individuelles exceptionnelles préconisant les soins psychologiques et exigeant qu'ils ne soient pas négligés, ont vu le jour. En tête de ces initiatives se trouve celle de la psychologue Hanane Walid, suivie plus tard de celle du psychologue Salah Melachya. Hanane avait perdu le contact face à face avec ses patients, et l'imprévisibilité du futur compliquait la situation jour après jour.
Hanane se porte volontaire
Encouragée par ses amis, la psychologue Hanane Walid a lancé son initiative bénévole de conseils psychologiques sur Facebook. "J'avais posté plusieurs fois sur ma page que j'étais disposée à m'engager volontairement, soit au sein d'une équipe, soit individuellement", dit-elle.Alors que Hanane fournit d'habitude ses séances de thérapie à des enfants et des adolescents âgés entre 4 et 18 ans, tout en présentant aussi des conseils à leurs parents, son initiative a invité des cas différents, comme celui de Noha. Hanane explique que "la proclamation de l'état d'urgence était très soudaine. J'ai dû cesser de travailler et de rencontrer mes patients, comme tout le monde, et il fallait donc trouver un moyen de communiquer avec eux pour prendre de leurs nouvelles. On n'était sûrs de rien. Combien de temps le confinement allait-il durer après l'éradication du virus? On n'en savait rien. Il m'était impératif de suivre mes patients, surtout que le confinement avait un fort impact psychologique sur eux. Par exemple, les enfants anxieux le devenaient encore plus, et des comportements comme le refus, l'inquiétude ou la dépression, que les parents ne savaient pas comment gérer, émergeaient chez plusieurs enfants".
C'est ainsi que son initiative a vu le jour. La situation a plus tard pris une nouvelle tournure avec l'infection de quelques enfants par le virus, et c'est ensuite qu'elle a commencé à accepter des patients adultes. "Je voulais aider… Ça s'est développé petit à petit", explique-t-elle. Cependant, son chemin était semé de nombreux obstacles.
Des équipes de soutien psychologique désordonnées
"J'attendais que ça s'organise mieux" indique Hanane, "que les autorités compétentes forment des équipes d'intervention et de soutien psychologique, mais l'état d'urgence a tout changé et la désorganisation et l'incertitude à l'égard de l'avenir ont prévalu dans le pays"."D'habitude, sous l'état d'urgence, les interventions sont directes, mais cela était devenu impossible à cause du Covid. La priorité était donnée aux patients qui présentaient des symptômes physiques, et on ne pouvait pas intervenir en tant que psychologues. Il fallait patienter. Plus tard, j'ai commencé à communiquer avec des patients rétablis ou sur le point de se rétablir du virus, tout en suivant des cas atteints d'un sentiment de honte lié à leur infection par le virus."
Elle ajoute que "la situation est vraiment déplorable, surtout pour ceux qui ont contracté le virus en premier. Ceux-ci ont été atteints d'un fort sentiment de peur, ce qui a rendu difficile leur retour au travail. Personne n'a voulu les accueillir, même après leur guérison. Il était très important de communiquer avec eux pour pouvoir éliminer ce sentiment de honte."
Les interventions de Hanane auprès de ces patients étaient réussies, mais plus tard, avec l'augmentation des nombres de cas de Covid, on craignit le pire, les soins médicaux physiques prirent le dessus sur les interventions psychologiques, et elle perdait contact avec des cas qu'elles suivaient chaque fois qu'un membre de leurs familles était infecté du virus. "Partout, la priorité était accordée aux soins physiques, mais je suis restée en stand-by malgré tout".
"Je suis volontaire depuis le début du confinement et jusqu'à ce jour. L'imprédictibilité de la situation fait que certains ont du mal à reprendre une vie normale, comme par exemple les adolescents qui préfèrent continuer à communiquer de loin. Mon initiative est donc toujours active". L'une des pratiques de Hanane est d'encourager les enfants à poursuivre leur scolarité. Elle explique que "sans le dire ouvertement, les enfants pensent que le monde affronte un grand danger, et qu'il leur est donc plus facile de rester chez eux. Ils sentent aussi une certaine solitude, ils ont la certitude que personne ne les sauvera en cas de danger". Elle ajoute que "chaque cas présentant des symptômes psychologiques dû à la pandémie est particulier".
Noha décrit l'effet que les séances en ligne avec Hanane ont eu sur elle: "Si vous regardez des photos de moi, vous constaterez que je suis devenue quelqu'un d'autre. Dans nos séances de déballage hebdomadaires, Hanane m'a fournie un espace sûr où je peux m'exprimer et tout lâcher. Elle a toujours respecté mes sentiments et m'a aussi donné des conseils pour savoir bien m'occuper de ma fille au cas où la situation se compliquerait. Elle ne considère pas ses patients comme des simples sources d'argents. Aujourd'hui, je sens que mes interactions avec ma famille sont plus aisées, que je gère mieux mes propres sentiments".
Un autre soldat méconnu : Salah Melachya
Alors que la plupart des psychologues étaient réticents à fournir leur soutien professionnel pendant la pandémie, le psychologue et conseiller Salah Melachya a décidé d'aider Hanane.Salah, qui a étudié la psychologie sociétale à l'Université de Bir Zeit, travaille dans plusieurs organisations et est volontaire dans d'autres. D'après lui, les racines de son activité bénévole dans le domaine de la psychologie remontent aux attaques sur Gaza, en 2014, quand les hôpitaux de Cisjordanie accueillaient des patients gazaouis.
Pendant la pandémie, Salah, originaire du village de Jaba' du gouvernorat de Jénine, a travaillé en tant que volontaire dans le nord de la Cisjordanie. "J'essayais d'aider les gens confinés chez eux à garder leur calme et à s'occuper de leur santé mentale" explique-t-il, "surtout qu'on a su que les querelles étaient devenus plus fréquentes au sein des familles palestiniennes, entre les enfants et leurs parents, entre les couples…".
Il a établi un plan où les services de soutien psychologique comprenaient plusieurs domaines, mais ceux-ci étant, d'après lui, trop chaotiques, il a dû demander l'aide du Centre d'Orientation Palestinien et d'experts en psychologie. Son activité s'est ensuite étendue au-delà de Jénine et jusqu'à Naplouse, au centre de la Cisjordanie.
Dans son lieu de travail, le Centre d'Orientation Palestinien, Salah présentait son soutien en répondant par téléphone aux questions des patients. Il a également donné à toute personne ayant besoin de consultation ou de soutien psychologiques accès à son numéro de téléphone en le publiant sur les réseaux sociaux. "L'idée était que les consultations psychologiques conduiraient éventuellement à des séances individuelles", dit-il.
Salah détaille le concept de consultation téléphonique: "C'est le résultat d'une formation que j'ai reçue d'experts en psychologie, un rassemblement de l'expérience que je possède en services de soins à distance et de celles de psychologues qui ont travaillé en temps de guerre en Cisjordanie ou à Gaza. J'ai compilé du contenu pédagogique que j'ai ensuite classifié et structuré pour qu'on puisse l'utiliser de différentes manières. C'est un contenu concret et efficace qui sert particulièrement à répondre aux questions des adultes".
Les défis rencontrés en bénévolat
Alors que le gouvernement palestinien avait concentré ses efforts sur la fourniture de lits, d'oxygène et de soins hospitaliers, le ministère de l'Education a, de sa part, tenté de recruter des travailleurs sociaux pour présenter du soutien psychologique à distance. Cela constituait "un point faible" d'après Hanane qui trouve que les médecins palestiniens n'ont pas reçu la formation nécessaire pour faire face à la pandémie. Elle pense que la formation en soutien psychologique a été fournie tardivement aux équipes du ministère de la Santé, et que le ministère de l'Education "en essayant de combler le fossé académique chez les élèves, a négligé le côté psychologique en annulant les classes de sport et d'art et toutes les activités parascolaires".Au cours de leur travail bénévole, Hanane et Salah ont rencontré de grands défis, le plus notable étant l'absence d'un vrai système d'opération. "Pendant le confinement, notre travail en tant que psychologues était chaotique, et avec l'assouplissement progressif de l'état d'urgence, le nombre de cas reçus par les centres et cliniques de santé mentale s'est considérablement élevé".
Pendant le confinement, Hanane a offert des conseils et du soutien psychologique à environ 20 personnes, mais les précautions contre Covid prenaient toujours le dessus sur celles concernant la santé mentale. Elle explique en ces mots: "Les patients partageaient leurs émotions, parlaient de l'aide dont ils avaient besoin, de leurs craintes, du sentiment de culpabilité, de la peur, de l'obsession de la mort. Il était donc important de contenir leurs sentiments et de les orienter vers de nouvelles activités curatives. D'autre part, j'essayais d'aider les enfants qui souffraient de cauchemars en leur proposant des jeux, des exercices de respiration, et en encourageant les adultes à jouer davantage avec eux".
Ce genre de cas s'est multiplié avec le retour de l'enseignement face à face et la décision prise par les écoles d'orienter ses élèves vers des centres de soins psychologiques et comportementaux. "J'ai commencé à recevoir chaque semaine environ 10 élèves présentant des troubles de comportement", raconte-t-elle. Le sentiment général d'incertitude à l'égard de l'avenir, l'absence de vaccin et les périodes de confinement répétées ont fait augmenter l'anxiété, les troubles psychologiques, mais aussi les ruptures familiales, particulièrement dans les villes. "Même si la situation s'est maintenant largement détendue", dit Salah, "certains cas qui présentent de grandes difficultés à communiquer ont toujours besoin de soins psychologiques. Les Palestiniens souffrent toujours du choc subit à cause de la pandémie".
Une initiative à durée illimitée
Jusqu'aujourd'hui, Hanane poursuit individuellement son initiative. "C'est un mauvais signe", affirme-t-elle, "Il est préférable pour un psychologue d'avoir le soutien d'un conseiller ou d'un superviseur qui le guide pendant son travail. De plus, le travail en groupe a beaucoup d'avantages"."Aucune organisation n'a voulu m'inclure au sein d'elle. Ça m'a beaucoup gêné, j'aurais vraiment aimé joindre une équipe de psychologues. En plus, personne ne s'est joint à mon initiative. Ils avaient peut-être peur, ou étaient incertains, et puis il y avait des opinions divergentes, certains pensaient qu'il fallait d'abord fournir les soins physiques et les médicaments avant de penser au soutien psychologique. Pourtant, jusqu'à ce jour, ce genre de soutien n'a toujours pas été présenté de manière structurée".
Questionnée autour de sa propre évaluation de son initiative, Hanane sourit un peu puis dit: "Je me suis peut-être trop empressée. J'aurais peut-être dû attendre un peu plus longtemps avant de la lancer, mais je voulais fournir mon soutien le plus tôt possible. Je suis contente de ce que j'ai vécu pendant la pandémie, ça m'a fait connaître la nature de l'homme en temps de crise".
Hanane et Salah se sont portés volontaires en l'absence d'équipes de psychologues multidisciplinaires en Palestine.
"Nous avons besoin d'équipes de volontaires et d'organisations actives dans chaque gouvernorat. Il faut organiser officiellement tous ces efforts chaotiques et récompenser les volontaires", dit Salah avant d'ajouter, déçu, qu'aucun organisme officiel n'a apprécié les efforts de ceux qui se sont portés volontaires pour fournir des soins psychologiques pendant la pandémie. "Personne ne les a remerciés".
A la fin de la séance de déballage qui a eu place dans la clinique de Hanane, le petit Salam rentre chez lui confiant de pouvoir finir ses devoirs et de rendre sa mère fière de lui. C'est un enfant, un écolier qui ne connait pas encore la complexité du monde qui l'entoure, mais l'initiative de Hanane est capable de lui frayer la voie, comme à d'autres, pour comprendre le monde et l'accepter.
Avril 2022