Carbon Technostructures : L’impact écologique de nos actions numériques

Plotter mécanique révélant le titre de la recherche « Carbon Technostructures » sur une couche de vapeur d'eau

Plotter mécanique révélant le titre de la recherche « Carbon Technostructures » sur une couche de vapeur d'eau | © Guillaume Slizewicz

La transformation numérique réclame une quantité croissante d’énergie et de ressources afin de traiter des flux de données toujours plus importants et plus complexes[1]. Carbon Technostructures, une recherche collective menée par Guillaume Slizewicz et Gijs de Heij, explore les dynamiques de l’usage du numérique et de son double invisible[2] : l’infrastructure énergétique dont celui-ci dépend. Alors que les conséquences pernicieuses du numérique sur la nature sont devenues évidentes tout en restant invisibles dans notre pratique quotidienne, leur projet cherche à rendre visible les conséquences écologiques tangibles de nos actions numériques au travers d’une plateforme en ligne et d’une installation.
 

DÉPENDANCE À L’ÉNERGIE ET VISUALISATION

Carbon weight calculation of a webpage

Calcul du poids carbone d'une page web | © Guillaume Slizewicz

Prenant l’exemple du centre d’art Le Pavillon[3], son site web, ses espaces d’exposition, ses équipes et son équipement technique, Carbon Technostructures attire l’attention sur l’empreinte carbone des espaces culturels. Le projet invite le public à prendre conscience de notre consommation d’énergie. En mettant l’accent non pas sur la responsabilité individuelle mais sur la relation de dépendance énergétique qu’implique le basculement vers le numérique, les auteurs proposent une interface permettant d’estimer la consommation engendrée par nos interactions en ligne et les sources énergétiques sur lesquelles elles reposent.

L’initiative Carbon Aware[4], qui rend visible ce qui a vocation à rester invisible, déploie une approche pédagogique de la question des objectifs de neutralité carbone et montre ainsi comment des interactions numériques en apparence simple peuvent déclencher un enchainement complexe de sources d’énergie et d’éléments composants le réseau. Pour visualiser leur provenance et leur empreinte carbone, ils ont développé un site web léger[5], dont la structure typographique et l’économie d’images permettent aux informations de parler pour elles-mêmes, à contre-courant des représentations romantiques du cloud[6].
 

TRACER SUR LE CLOUD


Cette étude se prolonge par une installation au sein même d’un espace culturel. Celle-ci représente en temps réel l’empreinte carbone à la manière d’un sismographe, attirant l’attention des visiteurs sur l’ironie sémantique de la légèreté et de l'immatérialité auquel le cloud est associé. Sur une structure en panneaux de verre, des dessins éphémères réalisés sur de la vapeur par un traceur mécanique mêlent rationalité des données et métaphore, pour exprimer l’ambiguïté du numérique qui structure notre réalité tout en restant insaisissable.
 

RECOMPOSER UNE INTELLIGIBILITÉ TECHNIQUE

S’il est souvent présenté comme un moyen de réduire les répercussions de la croissance sur la biosphère, le numérique a un impact environnemental réel qui va au-delà des appareils et des réseaux que nous utilisons et englobe aussi les émissions[7] du système technocapitaliste. Carbon Technostructures offre la possibilité d’une réflexion collective sur le statut des nouvelles technologies et sur le narratif imposé par l’hégémonie néolibérale. Sans prétendre à l’exemplarité, le projet est une introduction à la transformation numérique, comme une tentative pour recomposer une intelligibilité technique.


(Texte traduit de l'anglais)
 

NOTES

[1] Fabrice Flipo, La Face cachée du numérique, Paris, L’Échappée, 2013
[2] Fanny Lopez, À bout de Flux, Divergences Éditions, 2022
[3] Le Pavillon (Namur, Belgique) est un centre d’exposition, d’expérimentation et d’innovation consacré à la culture numérique.
[4] L’initiative Carbon Aware, phase initiale de Carbon Technostructures, est un projet portant sur l’estimation de l’impact carbone des technologies numériques. Il s’articule en deux volets : refonte de site web et visualisation des sources d’énergie.
[5] Un site web léger est un site conçu de façon à être fonctionnel, sans éléments superflus. Cette approche permet d’en réduire la consommation d’énergie tout le rendant plus performant, plus éthique et plus accessible.
[6] Le cloud est à la fois une machine et un système technocapitaliste qui se matérialise dans des disques durs, des câbles de fibre optique qui parcourent le fond des océans, du ciment, du métal, du bitume, des data centers et des ordinateurs.
[7] La production et le renouvellement des appareils numérique, le transport de l’énergie électrique et les infrastructures de distribution.

 

À propos de l'auteur :

Hugo Roger est un directeur artistique et curateur basé à Bruxelles. Son travail d’écriture et de curation examine les notions de représentation, d’héritage et de dialogue, à l’intersection de l’individuel et du collectif, afin d’initier des espaces de transmission durables et la réécriture de scénarios futurs. Actuellement, il explore les pratiques qui bouleversent les récits historiques et coloniaux, au travers de la recherche d’archives, du storytelling et de la fiction spéculative.

En 2024, il a obtenu un diplôme post-universitaire en études curatoriales à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Gand (KASK). Il a travaillé pour le .tiff au FOMU d’Anvers, est assistant-curateur de la même exposition au Brakke Grond à Amsterdam, et a co-curaté les expositions collectives « Jumping Fences » à Het Paviljoen et « Grains of Sand Like Mountains » au Kunsthal Gent. Il a été sélectionné comme co-curateur et médiateur pour le pavillon belge à la 60e Exposition Internationale d’Art—La Biennale di Venezia dans le cadre du Young Curators Programme. Auparavant, il a été directeur artistique du studio Page Works à Bruxelles. Il a également travaillé comme designer graphique pour Philippe Apeloig à New York, où il a aussi collaboré avec Studio Lin, Small Editions, Nicole Kaack et SUN Publishing.