Bahía Blanca  Histoires d'arrivées et de départs de ports

Lucía Bianco au Port d’Ingeniero White à Bahía Blanca, Argentine
Lucía Bianco au Port d’Ingeniero White à Bahía Blanca, Argentine © Gabriela Mayer

La poétesse argentine Lucía Bianco est directrice du Musée du Port d'Ingeniero White, une localité proche de la ville de Bahía Blanca. Dans ses vers et dans sa fonction au musée, Lucía parcourt des histoires de rivières et de mer.

« Ma relation à la mer est intimement liée à des ancêtres venus d'Italie et d'Espagne, comme beaucoup de gens en Argentine. En plus de leurs métiers, ils aimaient aller à la pêche. J’ai ainsi appris à pêcher dès mon plus jeune âge avec des voisins qui tissent des filets, des amis qui pêchent, et une famille qui va jeter les filets », dit-elle, assise à quelques mètres de l'eau au port d'Ingeniero White.

 « Je suis née en 1979 à Punta Alta », une localité proche de Bahía Blanca, où se trouve une base navale. « J'ai grandi en jouant dans les musées, car ma mère est géologue. Elle et mon père étaient des collectionneurs et ils ont créé le premier Musée municipal des Sciences naturelles à Punta Alta. Darwin (cette région a inspiré sa théorie de l'évolution), la géologie faisait partie des histoires que j’écoutais avant de dormir ».

Le soleil caresse la promenade du port, avec ses établissements gastronomiques et l'image du saint patron des pêcheurs, San Silverio. Avoir grandi à Punta Alta lui a permis de « passer des après-midi sur une plage, non pas de sable, mais de boue, de crabes et de mouettes. D’où on pouvait voir passer les bateaux de White ».

Ce « fleuve difficile à comprendre » a incité Lucía à écrire son dernier recueil de poésie, « Paléo-fleuve (N Directions) » : « Il y a dix mille ans, il y avait un fleuve (Le Colorado) qui n'existe plus et pourtant, il y a des choses qui sont toujours là et qui me déterminent, moi, petit sujet». Lucía se promène dans le port et constate qu'il n'y a presque plus de pêcheurs artisanaux. Il n'y a que le témoignage silencieux de vieux canots qui attendent d'être réparés après une tempête.

Un autre de ses livres de poèmes s'intitule « Preinsectario ». Lucía explique que dans la ria de Bahía Blanca, il est crucial d'avoir un «odorat en alerte, parce qu’avec les marées, le port subit de très grandes variations. S'il y a des reflux, s'il y a un vent du sud, s'il y a un vent du nord, les odeurs changent. Il y a des jours où on sent les algues, la vase. D'autres jours, on sent l'odeur des céréales, parce il y a des ports d'exportation. Et d'autres jours, ça sent quelque chose de lié au port de pétrochimie».

En même temps, « le cri des mouettes », qui survolent l'océan dans des tons gris et bruns prédomine. « Je ne peux vraiment pas m'imaginer vivre dans un autre endroit que celui-ci », déclare la première femme directrice du Musée du Port d’Ingeniero White, alors que le vent agite les drapeaux des navires amarrés. « Ce genre d'horizons, d’odeurs, ce que l'éloignement suggère visuellement... » Bianco vit dans un quartier ouvrier de Bahía Blanca, une ville qui constitue la porte d'entrée à la Patagonie argentine. Au-delà des différences d’origines entre Punta Alta et Ingeniero White (des localités situées dans le sud de la province de Buenos Aires, à une trentaine de kilomètres l'une de l'autre), Lucía trouve qu’il y a des similitudes, comme « les quartiers d'immigrés italiens, grecs et croates». Cette histoire d'immigrés vibre avec celle de beaucoup d'autres personnes. Ce n'est pas une histoire particulière, bien au contraire. Cette expérience l'a menée à un poème, « Paleo- río » (Paléo- rivière), qui dit :

« ... Qui n'a pas comme arrière-grand-père un des menuisiers
qui ont construit la cale sèche, par exemple ?
Ou un paysan, une couturière, un boulanger.
Ou un arrière-grand-père né en Yougoslavie, un anarchiste, un syndicaliste
ou les trois à la fois.
Qui n'a pas quelque chose qu'il a oublié, mais qu'il reconnaît au fond de lui
quand il touche une porte en bois centenaire et qu'il a soudain
envie de pleurer
tant elle est douce ».

Ce bois centenaire pourrait bien appartenir au Musée du Port d’Ingeniero White, situé dans un ancien entrepôt des Douanes construit par une entreprise anglaise en 1907.

L'après-midi tombe sur le quartier des maisons en tôle et en bois. Le chocolat de l'Asociación de Amigas (l’Association des Amies) charme les visiteurs du Musée et ceux du Centro Murga Vía Libre (Centre de la Troupe de la Voie libre). Chaque dimanche, différents collectifs ou plusieurs cuisinières du quartier préparent leurs plats et de la musique populaire est jouée en direct. Cette fois, sous les bannières, les tables sont partagées et on applaudit avec enthousiasme. Une dame avoue tout bas: « Je n'avais jamais vu de troupe auparavant».

Le Musée du Port a été créé en 1987 et Bianco, diplômée de l'École des Arts visuels de Bahía Blanca, le dirige depuis 2019. Auparavant, elle travaillait dans le domaine de la cuisine, elle faisait des recherches sur ce « domaine de connaissances spécifiques qui a été dévalorisé pendant des années ». Le port ne bouge pas si personne ne cuisine. C'est cette pensée qui anime le Musée ».

Pour ce qui est de la Salle nommée « Salle de Bain », la dernière à avoir été aménagée, « nous avons abordé des sujets tabous au fil du temps, comme les changements du corps de la femme, la violence, les dissidences dans le port ». La collection pittoresque d'objets des salles colorées a été constituée grâce à des dons. Cette collection et les archives orales, photographiques et documentaires du Musée donnent une riche image de la vie populaire de la localité.

Bianco est fière de ses archives orales, qui comptent plus d'un millier de voix de travailleurs, cuisinières et pêcheurs artisanaux. « Lorsque nous aménageons une salle, la première chose à faire, en plus de rassembler des documents et d'examiner les archives, est de réaliser des entretiens sur le sujet que nous souhaitons montrer. Il s'agit d'écouter le fait qu'il y a plusieurs versions de l'histoire ».

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