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« Les boucs émissaires sont aussi parfois renvoyés »

Ein Lotsenboot im Hamburger Hafen. Photo (detail): Elias © Unsplash

Nuances diplomatiques et accidents de navigation malheureux : Anya Malhotra, interprète, et Frank Hissenkaemper, capitaine de bateau-pilote, s’entretiennent avec Michael Krell sur la façon d’aborder les erreurs dans le domaine professionnel. Notre débat en ligne traite de gaffes innocentes et de faux pas impardonnables dans divers domaines de la société.

Frank Hissenkaemper, Anya Malhotra et Michael Krell

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (14:55):
Je vous salue et vous souhaite officiellement la bienvenue ! Merci pour votre participation à cette discussion. Nous allons commencer par un petit tour de table de présentation.

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (14:57): 
Je travaille en tant qu’interprète et traductrice à Delhi.

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (14:57): 
Depuis quand exercez-vous cette activité ? Travaillez-vous dans un domaine particulier ?  

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (14:59):
J’ai commencé il y a 25 ans. Je travaille dans divers domaines, notamment dans le domaine politique. Mais comme le marché en Inde est très restreint, on ne peut pas se permettre d’être trop spécialisé.

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:01): 
Je comprends. Et vous, Frank Hissenkämper, vous êtes capitaine de bateau-pilote au port de Hambourg. Donc vous aidez les grands navires à trouver le bon chemin là où ils ne peuvent le faire seuls, à des heures particulières, n’est-ce pas ?

Frank Hissenkaemper © privé Frank Hissenkaemper (15:04):
C’est à peu près ça, je suis capitaine auprès de l’Autorité portuaire de Hambourg et conduis généralement l’un des trois bateaux pilotes. J’arrive avec les bateaux-pilotes du port et prends le relais des bateaux-pilotes de l’Elbe au cours de leur trajet. Nous avons également des remorqueurs et livrons des outils de travail, des pelleteuses par exemple, là où on en a besoin.

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:05):
Cela paraît dangereux. Vous n’êtes pas seulement très éloignés sur le plan géographique, vos champs d’activité professionnelle sont aussi très différents. Nous vous avons toutefois réunis parce que vos métiers ont un point commun : toute erreur peut avoir de graves conséquences. Est-ce que cette idée vous accompagne quand vous exercez, ou bien êtes-vous généralement très détendus par rapport à cela ?

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (15:07):
Dieu merci, les erreurs que nous pouvons faire en tant qu’interprètes ne sont la plupart du temps pas aussi dangereuses. Mais nous sommes, bien sûr, tendus avant nos interventions. 

Michael Krell © Monika Richter Michael Krell (15:07):
Je pense surtout à la traduction simultanée. Erreurs, petits lapsus ou malentendus pouvant déstabiliser une conversation difficile ne surviennent-ils pas en permanence ?

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (15:09):
Pas en permanence, me semble-t-il, même si on ne peut pas les exclure en dépit de notre préparation. Il arrive des choses amusantes. On en parle entre collègues. Souvent, ça vient du fait qu’on a du mal à comprendre la personne qui parle, mais nous devons malgré tout continuer de traduire ! Par exemple, lors d’une conférence sur l’automobile, l’un des participants évoquait, en dialecte souabe, des structures de support (Tragwerke), ce qui n’avait aucun sens jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’il parlait en réalité d’usines de camions (‘Truck’Werke).

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:13):
Ah ! Ah ! Oui, j’imagine que les dialectes sont très difficiles à traduire. Comment réagissez-vous face à une telle situation ?

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (15:16):
Il est impossible de poser une question lors d’une traduction simultanée. On essaie généralement de gagner du temps en espérant pouvoir déduire le sens du contexte. Sinon, en fonction de la situation, on doit décider à la vitesse de l’éclair si on ne traduit pas ou si on traduit littéralement.

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:17):
Cela ne semble pas simple ! Frank, il faut sans doute, en tant que capitaine, travailler avec assurance. Mais y a-t-il des moments, dans la routine de tes activités, que vous percevez comme particulièrement ardus et vous préparez-vous avant d’y être confronté ?

Frank Hissenkaemper © privé Frank Hissenkaemper (15:19):
Oui, il faut alors savoir très précisément ce qu’il y a à faire. J’essaie toujours, lors d’interventions dont on peut prévoir qu’elles seront complexes, d’imaginer auparavant le scénario détaillé de ce qu’il pourra se passer. Le vent, le courant, etc. Avec des appareils très lourds, une petite erreur suffit pour avoir des problèmes.

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:21):
J’imagine… Toute la responsabilité pèse sur vos épaules dans ce cas ? C’est une grosse pression, non ?

Frank Hissenkaemper © privé Frank Hissenkaemper (15:22):
On en discute avec les autres membres de l’équipage, c’est rarement un problème. Il faut compter sur ses collègues, notamment avec les hauteurs de passage. En outre, j’exerce cette activité depuis très longtemps, la pression et la peur de l’erreur sont moindres. Mais le vent et le mauvais temps représentent toujours un défi.
 

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (15:23):
 Frank, combien de collègues sont avec toi à bord ?

 

Frank Hissenkaemper © privé Frank Hissenkaemper (15:23):
Il peut y avoir jusqu’à cinq personnes...

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:25):
Cela veut dire que vous vous partagez le travail, tout le monde est attentif, même si c’est toi qui porte la responsabilité ? Anya, c’est différent pour vous, non ? Vous êtes toujours livrée à toi-même ?

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (15:27):
Frank, je trouve que ce que tu dis sur la préparation est important. Il faut tout imaginer avant le début d’une intervention, c’est exactement la même chose en interprétariat. @ Michael, ça dépend. Parfois, pour de l’interprétation consécutive, on travaille souvent seul, mais pour de la traduction simultanée, il y a toujours une équipe d’au moins deux personnes. 

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:27):
Je ne savais pas ! Comment coordonne-t-on cela ?

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (15:30):
Pour la traduction simultanée, chaque interprète travaille pendant 20 à 30 minutes, puis un.e autre prend le relais. Ce serait impossible autrement, la concentration s’en ressent par la suite.

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:31):
@ Frank, il n’en va pas ainsi pour vous. Vous ne pouvez pas simplement repartir. En revanche, la concentration n’est pas aussi fortement sollicitée, même si la conséquence d’une erreur peut en être d’autant plus grande. Cela vous êst déjà arrivé de voir par exemple passer une grue par-dessus bord ?

Frank Hissenkaemper © privé Frank Hissenkaemper (15:34):
J’ai souvent dû faire des déclarations de dommages, et ça ne fait évidemment pas plaisir. Mais jusqu’ici, je n’ai pas encore eu de collègues blessés. C’est le principal. Cependant, nous avons eu de graves accidents dans ce domaine avec des blessés et même des morts.

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:35):
Ce n’est pas rien. Y a-t-il a posteriori des discussions sur la manière dont on aurait pu les éviter ? 

Frank Hissenkaemper © privé Frank Hissenkaemper (15:38):
On fait aussi des enquêtes sur les accidents. Les grands porte-conteneurs doivent, par exemple, avoir à bord plusieurs bateaux-pilotes. Chez nous, on doit constamment pratiquer des entraînements de sécurité et les systèmes de protection sont améliorés en permanence. Ce qui est grave, c’est de voir arriver la catastrophe et de ne rien pouvoir changer, de ne pas avoir recours aux mesures prévues. 

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:39):
Ça se comprend. @Anya, vos activités professionnelles ne font mourir personne. Toutefois, les conséquences peuvent être considérables si quelqu’un comprend de travers un sujet sensible. Vous préparez-vous également aux situations où tout se passe mal ?

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (15:41):
J’ai pris connaissance d’un cas où un patient avait été mal soigné et était devenu paralysé à cause d’une mauvaise traduction du mot espagnol « intoxicado » (empoisonné) qui avait été traduit par le mot « intoxicated » (ivre). Les interprètes qui travaillent dans le domaine de la santé, ou des secteurs similaires, peuvent se retrouver face à des situations critiques..

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:44):
C’est grave, effectivement. Une traduction peu subtile pourrait, par exemple, déclencher une crise diplomatique. Est-ce que vous corrigez directement ce genre de choses ?

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (15:46):
Je crois que c’est plutôt l’inverse : en cas de faux-pas diplomatique, on impute parfois la faute aux interprètes. Mais des erreurs peuvent bien sûr aussi être à l’origine de malentendus.

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:47):
C’est une bonne échappatoire pour les diplomates, mais ce n’est pas très juste. J’aurais, pour terminer, encore une question à vous poser à tous les deux. Dans le cadre de notre projet Fehler (Erreurs), nous avons beaucoup évoqué l’incompétence. Pour vos deux métiers, il me semble en fait inconcevable que quelqu’un d’incompétent puisse les pratiquer. Est-ce que cela peut tout de même arriver ? 

Frank Hissenkaemper © privé Frank Hissenkaemper (15:50):
Tu sais, c’est la même chose que sur la route. Il y en a qui conduisent bien, d’autres qui ne sauront jamais. Pour nous, ceux qui ont du talent s’occupent des interventions les plus délicates, et ceux qui n’y arrivent pas s’arrêtent de travailler à un moment donné. 

Anya Malhotra © privé Anya Malhotra (15:52):
Les erreurs surviennent pour des raisons diverses. L’incompétence en est une parmi d’autres. La manière dont on les traite, les conséquences pour les personnes concernées sont toujours différentes, mais, la plupart du temps, les employeurs sont alors impitoyables. Et malheureusement, les boucs émissaires sont aussi parfois renvoyés. J’ajouterai juste que tout le monde peut faire des erreurs. Ce qui fait la différence, c’est la manière dont on se comporte quand ça arrive.

Frank Hissenkaemper © privé Frank Hissenkaemper (15:54):
Anya, c’est tout à fait ça !

Michael Krell © Monik Richter Michael Krell (15:56):
J’espère que cela ne vous arrivera ni à l’un ni à l’autre !  Nous sommes déjà parvenus au terme de notre discussion. Je vous remercie très sincèrement de votre participation. C’était très instructif ! 


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