Gutland, de Govinda Van Maele
Un cauchemar luxembourgeois
Vous avez tous vu un film tourné au Luxembourg, mais les cinéastes se gardent bien de vous le faire savoir, le Grand-Duché étant un haut lieu des tournages délocalisés, principalement pour des productions françaises. Comme ce petit pays regorge de banlieues anonymes et de paysages naturels diversifiés, pas étonnant que les cinéphiles n’y voient que du feu.
Au cœur de cette contrée dont on sait peu de choses, le surréalisme s’y pointe parfois, sans doute à cause de son voisin turbulent, la Belgique! Cette influence, le cinéaste luxembourgeois
Affiche Gutland
| © Dark Star Pictures
Govinda Van Maele la revendique dans son premier long métrage de fiction, Gutland, tout comme ses filiations avec Roman Polanski, le maître des huis clos fourmillant de personnages désaxés, ou encore Michael Haneke, celui qui révèle l’innommable sous la respectabilité.
On songe d’ailleurs au Ruban blanc devant cette échappée campagnarde, là où rien ne semble briser la monotonie des jours, ou altérer la bienveillance des paysans. Sauf bien sûr l’arrivée d’un élément perturbateur dont le regard hagard, les cheveux trop longs, et l’accent allemand en font d’emblée un paria aux yeux des habitants luxembourgeois de Schandelsmillen, lieu fictif. Le cinéaste a d’ailleurs revisité quelques rues et paysages de son enfance pour fabriquer ce petit village où grouillent des secrets inavouables.
Jens (puissant Frederick Lau, vu dans Victoria, de Sebastian Schipper, une virée berlinoise saisie en un seul long plan-séquence) semble venir de nulle part, et c’est sans doute ce qui attire Lucy (Vicky Krieps), une jeune allumeuse rêvant de nouveaux horizons, et d’amour sans contraintes. Cette mère monoparentale et son père Henri (Roger Origer), chef de la fanfare locale, représentent ses deux seuls alliés, lui permettant de se trouver un petit boulot d’ouvrier agricole, une caravane déglinguée pour dormir, ainsi qu’une trompette, instrument dont il ne connaît pas les rudiments.
On comprend vite que Jens est en cavale, traînant des liasses d’euros dans son sac de voyage, suspicieux du matin au soir, sauf quand il boit, ou s’envoie en l’air avec Lucy. Peu à peu, le fugitif semble trouver sa place, s’intégrant dans ce monde où tout apparaît réglé par les forces de la nature. Or, la nature humaine a aussi son mot à dire, et l’amabilité suspecte de l’entourage commence peu à peu à ressembler à celle des voisins dans Rosemary’s Baby ou Le Locataire. À leur contact, sans crier gare – mais dans un processus narratif parfois long et laborieux -, Jens baisse peu à peu la garde, symbolisé par un désir étonnant de se faire la barbe, d’afficher un souci pour son apparence qu’on ne lui connaissait pas jusque-là.
Ce comportement déroutant n’est qu’un incident anodin parmi d’autres, par exemple la découverte de photos érotiques de femmes du village dont les visages sont masqués, mais de moins en moins à mesure que ce survenant allemand les observe. Mais l’événement le plus spectaculaire, celui qui fera tout basculer – dont le ton du film! – se déroule au milieu d’un champ de maïs, évoquant les extravagances d’Alfred Hitchcock dans North by Northwest; Jens, tout comme Cary Grant, n’a aucune idée pourquoi on veut sa peau, et surtout pas en l’égarant à quelques mètres d’une moissonneuse-batteuse en marche.
Les gens de Schandelsmillen (-1) | © Dark Star Pictures À ce moment précis, Gutland (qui signifie « Bonne terre ») se dépouille de ses aspects les plus naturalistes, Govinda Van Maele jouant à fond la carte fantastique, celle où l’élément perturbateur se voit littéralement broyé par une masse informe de figures inquiétantes à la moralité douteuse, à la violence trop longtemps contenue. Ce qui fait surgir une foule d’interrogations auxquelles le cinéaste refuse de répondre, nous égarant à notre tour dans ce champ de maïs de symboles et d’hypothèses, là où des cadavres surgissent des eaux, où des complices d’autrefois reviennent chercher leur part du gâteau, à la pointe du fusil s’il le faut.
Une discussion à bâtons rompus entre Jens et Henri devant la photographie d’un trompettiste autrefois virtuose, aujourd’hui déchu, laisse planer un doute sur la véritable identité du vagabond, lui qui non seulement maîtrise de mieux en mieux la trompette, mais la langue luxembourgeoise: aurions-nous affaire à un amnésique qui en savait trop sur ses concitoyens? Et au final, qui aurait cru qu’un jour un cinéaste luxembourgeois provoquerait en nous une angoisse autre que fiscale ?
Gutland était présenté dans le cardre de la série ACHTUNG FILM! du Goethe-Institut Montreal le 1 février 2018 au Cinéma du parc.