Les Mots-dits : Une chronique linguistique
« Reconnaître les points communs dans la différence »
Hauke Hückstädt a déjà raconté par quels chemins une anthologie de textes littéraires dans une langue simple a pu voir le jour. Il est grand temps de parler des rencontres qui en ont résulté, des personnes qui sortent de l'ombre grâce à la littérature.
De Hauke Hückstädt
Le chemin parcouru jusqu'à la parution de « LiES! Das Buch. Literatur in Einfacher Sprache » (traduction littérale » LIS! - Le livre. La littérature en langue simple ») ressemble à une brèche qu'il fallait ouvrir : des écrivain.e.s contemporain.e.s primé.e.s et couronné.e.s de succès écrivent des textes dans une langue simple et selon des règles qu’ils ont eux-mêmes établies. Pour eux et elles, il ne s’agit pas d’un acte de charité, mais d'une pratique artistique pleinement assumée. Personne ne s'y était essayé sous cette forme auparavant. La prolifération des préjugés, mais aussi des doutes, était grande. Malgré tout, les participant.e.s sont allé.e.s au bout de leur démarche.
Les rencontres que les auteur.e.s, et moi aussi, avons faites et faisons lors de manifestations culturelles ont été révélatrices et elles le sont encore. Ce sont des effets venus de toutes les directions, qui éclairent les angles morts tels des étincelles.
Pouvoir rester
Je me souviens d'un élève de seize ans sur l'estrade. Ce garçon était atteint de trisomie 21 et fréquentait une classe d'inclusion. Devant le public, il a expliqué pourquoi il était important pour lui de pouvoir lire Tschick de Wolfgang Herrndorf dans une langue simple (éditions Spaß am Lesen). Sa classe lisait le livre. Tous lisaient ce livre avec l'enseignante, en version originale. Mais il n’y arrivait pas : l'original était trop long pour lui, le niveau de langue trop élevé. Il y avait des sauts dans le temps, du langage familier, des allusions, des métaphores, du discours indirect. C’est grâce à la transposition du texte dans une langue simple, dépourvue d'artifices, une langue qui se rapporte à l'original comme une compote de pommes à un pommier, et qui raccourcit et comprime, qu’il a pu lire le livre. Cette édition dans une langue simple a été pour lui le moyen vivant et évident de rester dans la classe, de ne pas devoir sortir, de ne pas devoir s'asseoir dans une autre salle, de ne pas devoir suivre un cours particulier avec une pédagogue spécialisée, venue uniquement pour lui. Cet élève, il s'appelle Max, il a mûri grâce à Tschick et est devenu un jeune homme qui apprend maintenant un métier.Je pense aussi à l'auteur Arno Geiger. Le livre sur son père, Der alte König in seinem Exil (Le vieux roi en son exil), a été transposé dans une langue simple, tout comme Tschick, afin que les personnes qui, pour diverses raisons, dépendent d'une langue simple, puissent également connaître cette histoire sur la démence et l'amour, sur un père et son fils, sur la famille et la solitude. Arno Geiger trouvait et trouve cela encore important. Mais si je le comprends bien, il n’était pas chaud, esthétiquement parlant, en tant qu'auteur, en tant qu'artiste, à l’idée de réduire et de transposer ainsi son texte. Arno Geiger a donc proposé d’écrire lui-même un texte dans une langue simple, un texte qui aurait naturellement sa place dans son œuvre, au même titre que les autres. Et c'est ce qu'il a fait. Le résultat est un texte onirique sur le goût, la diversité, la nourriture, la cuisine traditionnelle des gens du monde entier. Reconnaître les points communs dans la différence.
Ne plus se cacher
Je me souviens du groupe d'entraide Wortblind de Lüneburg, né de cours où des analphabètes fonctionnels apprennent à lire. Ils ont assisté à l'une de nos lectures. Ce groupe est composé d’adultes qui ont la moitié de leur vie derrière eux et qui ne veulent plus se cacher. Ils et elles étaient habité.e.s des histoires de Julia Schoch et Kristof Magnusson. Ils et elles étaient fiers.ères, bruyant.e.s et sûr.e.s d'eux. Nous avons plaisanté ensemble, nous avons échangé nos points de vue après lalecture. D'après eux, on compte environ 15 000 personnes dans la seule région de Lüneburg qui ne savent pas bien lire et écrire, qui vivent cela comme une honte et un fardeau, et qui se cachent. Pour ces personnes, il n'y a presque pas d'histoires. La plus grande arène pour un livre reste le demi-cercle formé par l’estrade et le public.
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