Mithu Sanyal
Dans la tempête du débat identitaire
La politique identitaire peut s’avérer difficile, polarisante et déconcertante. Dans son premier roman, la spécialiste des sciences culturelles et auteure Mithy Sanyal parvient à aborder la recherche d’identité et de sens avec humour et en recourant à de nombreuses références contemporaines empruntées au monde universitaire et à la pop culture.
De Helena Matschiner
Nivedita est auteure du blog
Identitti. Elle y publie des extraits de ses incessants échanges intérieurs avec la déesse hindoue Kali. Pour rédiger ses articles, elle s’inspire du contenu des cours de Saraswati, sa professeure, qui s’avère également être une super star internationale de l’enseignement de la théorie postcoloniale.
Engagée, Saraswati plaide pour l’autonomisation des personnes noires, indigènes et de couleur et fait sensation en excluant tous les élèves blancs de son premier cours. Plus tard, elle expliquera qu’elle cherchait à faire ressentir aux élèves autorisés à rester ce que cela fait d’être privilégié pour sa couleur de peau, sans doute pour la première fois de leur vie. Bientôt, Saraswati devient plus qu’une simple professeure pour Nivedita et ses camarades : elle leur ouvre les yeux et les pousse à repenser la manière dont ils se perçoivent, devenant ainsi un véritable modèle et une conseillère pour ses élèves. Sous son aile, Nivedita évoluera pour embrasser pleinement ses origines et son identité.
La race est une histoire
Mais soudain, tout bascule : on découvre que Saraswati s’appelle en réalité Sarah Vera Thielman et qu’elle est aussi allemande qu’une Volkswagen. Un déballage qui se retournera non seulement contre Saraswati, mais aussi contre Nivedita, qui vantait justement les qualités de sa professeure en radio au moment de cette révélation, dont elle ignorait tout lors de l’interview. Nivedita emménage alors provisoirement chez sa professeure pour échapper à la vague d’indignation engendrée par cette découverte. De son côté, Saraswati est obligée d’apporter des réponses à toutes ses questions.Pourtant, elle réfute chacun des reproches qui lui sont faits. À l’instar du genre, la race devrait être considérée comme une construction sociale et politique. C’est le postulat initial de la théorie postcoloniale et en agissant comme elle l’a fait, Saraswati a uniquement été au bout de cette idée. À tous ses détracteurs, elle demande : « La pensée féministe et antiraciste consiste à prendre pleinement conscience que nous sommes les seuls à pouvoir définir qui nous sommes. Comment pourriez-vous me reprocher de vouloir exercer ce droit ? »
PiÉgÉ dans les limbes du dÉbat identitaire
Durant les semaines qui suivent ce présumé scandale, le domicile de Saraswati, le « nid » qui surplombe la rue avoisinante, devient le décor d’une communauté d’infortune dans la chaleur écrasante de l’été. Comme piégés dans l’éternité d’une chambre d’écho, les membres de cette coloc ‘d’intérêt’ vivent au rythme de débats qui tournent inlassablement en rond.Le monde extérieur transparaît sous la forme de détracteurs qui manifestent devant la maison et de commentaires publiés sur les réseaux sociaux. Partout dans le monde, cette révélation entraîne une vague de débats relatifs à l’identité, à la quête de sens, aux privilèges et au respect des limites. Plus le débat gagne en ampleur, plus il épuise. Jusqu’à ce qu’un utilisateur commente sur les réseaux sociaux : « Avec vos oui, non, pour, contre, j’en peux juste plus, vous m’donnez le tournis. Faut arrêter ! »
Un plaidoyer pour l’amour
En qualité d’auteure, la spécialiste en sciences culturelles donne la parole aux meilleurs représentants de la théorie postcoloniale. S’il n’y apporte pas de réponse, ce livre nous transmet le sentiment que toutes les questions sont légitimes. Mithy Sanyal ponctue régulièrement son récit d’articles de blog de Nivedita, de tweets fictifs de célébrités et de caméos de journalistes de renom. Une approche bénéfique à la lecture de cet ouvrage retraçant des débats parfois un peu redondants.Si elle dépeint les partisans fanatiques et les farouches détracteurs de Saraswati avec une démesure volontairement humoristique, l’auteure ne cherche pas pour autant à remettre en question l’importance du débat identitaire. Mais elle nous rappelle qu’après tout, l’important n’est pas de s’écharper à coup de bons mots, mais de lutter de toutes nos forces contre la montée de la droite. Le roman s’achève sur un plaidoyer de l’auteur américain James Baldwin, qui nous invite à approcher nos différences de point de vue avec amour pour autant qu’elles ne mènent pas à l’humiliation ou à la répression. Ou pour citer librement Kali : « Laisse l’amour s’écouler comme une rivière. »
Munich : Éditions Carl Hanser, 2021. 432 S.
ISBN: 978-3-446-26921-7
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