Ils créent des magazines, font des films et organisent des festivals : de nombreux réfugiés contribuent activement à la scène culturelle en Allemagne.
Ramy Al-Asheq a ouvert sept portes. « La porte sur le monde » communique des nouvelles internationales, « La porte ouverte » fournit des conseils pratiques sur la vie en Allemagne, « Sa porte » rend compte des derniers enjeux d’un point de vue féministe, et « La porte du cœur » recueille des histoires d’espoir, d’amour et de succès dont les réfugiés ont grandement besoin.
Ces « portes » constituent des sections d’Abwab, un magazine que ce Syrien âgé de 26 ans dirige depuis décembre 2015 comme rédacteur en chef. Premier magazine arabe en Allemagne, il est publié une fois par mois depuis. « Parce qu’une porte sur la culture allemande m’a déjà été ouverte, je veux maintenant en ouvrir une aux autres réfugiés », explique Al-Asheq, qui est venu en Allemagne en 2014 grâce à une bourse de la Fondation Heinrich Böll et habite maintenant à Cologne.
Son équipe dispose déjà près de 25 pages pour y parvenir, surtout en arabe. « La plupart des réfugiés ne parlent pas encore allemand », dit Al-Asheq. Il explique que les réseaux sociaux sont remplis de rapports erronés, c’est pourquoi Abwab présente non seulement des nouvelles des pays d’origine des réfugiés, mais traite aussi de nombreuses questions relatives à l’Allemagne. Dans le numéro de janvier 2016, par exemple, une auteure syrienne a écrit un article sur les agressions sexuelles à la suite des incidents survenus la veille du Nouvel An à Cologne. Abwab est maintenant distribué gratuitement dans plus d’une centaine de centres d’hébergement pour réfugiés, de sociétés culturelles arabes et de centres d’éducation pour adultes. L’impression est financée par les recettes publicitaires et les plus de 30 auteurs et journalistes impliqués jusqu’à présent travaillent sur une base volontaire.
parler et apprendre l’un de l’autre
Al-Asheq, un poète et écrivain qui a déjà publié plusieurs livres, veut également aider sur d’autres fronts, soit en mettant en place un site trilingue en allemand, en arabe et en anglais pour réfugiés et toutes autres personnes intéressées, ainsi qu’en organisant des événements sous la forme d’ateliers et de débats; bref, en créant des plates-formes informatives qui favorisent la formation de réseaux. Il explique qu’il a récemment rencontré des représentants de plusieurs ministères allemands et qu’il reçoit aussi régulièrement des demandes de pays comme la Suède, la Grèce, les Pays-Bas et la France.
Ceci donne à Al-Asheq espoir en un avenir meilleur. Après tout, dit-il, les réfugiés de pays non européens ont souvent besoin d’un premier soutien plus important pour les aider à s’installer dans leur nouvelle vie en Allemagne. « Quelqu’un venant de l’Italie ou de la Grèce n’a pas besoin du même type d’aide qu’un réfugié venant de la Syrie ou de l’Érythrée », croit-il. C’est la raison pour laquelle il encourage les gens à « ne pas parler de nous, mais avec nous ». Son frère est arrivé en Allemagne il y a quelques semaines, et son premier conseil était : « Rencontre des Allemands et parle-leur, même dans un mauvais allemand ou en anglais. » Al-Asheq croit que les gens qui s’entraident peuvent apprendre les uns des autres.
Firas Al-Shater, qui a fui la guerre civile en Syrie il y a presque trois ans et qui vit maintenant à Berlin, démontre que l’on peut également le faire avec humour. Al-Shater était cinéaste en Syrie et n’a pas renoncé à sa vocation en Allemagne. Il a sorti une série de vidéos sur son site Internet Zukar.org – des vidéos en allemand réalisées avec une pointe d’humour par des réfugiés pour les réfugiés. Sa première vidéo, dans laquelle le cinéaste demande aux passants de lui faire un câlin à l’Alexanderplatz à Berlin, a fait de lui une vedette de YouTube. La vidéo a pour titre :
Zukar 01 – Who are these Germans?.
une fenêtre sur le monde
Le projet Kino Asyl (« Cinéma asile ») basé à Munich montre comment les réfugiés peuvent ouvrir une fenêtre sur leur patrie et ainsi contribuer à un échange. Thomas Kupser, un éducateur des médias du Medienzentrum München (Centre des médias de Munich), a eu l’idée en 2015 de créer un festival présentant des films des pays d’origine des réfugiés dans lesquels ils montrent d’où ils viennent et ce qui les a influencés. Il a vite trouvé des bénévoles et un soutien financier. Certains établissements pour réfugiés ont pris contact et proposé de jeunes participants.
C’est ainsi que Ansumane Famah s’est joint au projet comme l’un de ses dix programmateurs. « Aminata, le film que j’ai choisi, reflète dans une certaine mesure ma patrie, la Sierra Leone », dit Famah, qui vit en Allemagne depuis novembre 2014. Il n’a pas choisi un thème léger : Aminata raconte l’histoire d’une fille de parents pauvres qui veut recevoir une bonne éducation, mais qui est contrainte à se marier à l’âge de 14 ans. Elle continue néanmoins à poursuivre son objectif d’une vie meilleure.
Choisir des films de l’Afghanistan, de la Syrie, de la Sierra Leone, de la Palestine, du Mali et du Sénégal n’a été qu’un des volets du festival. Aidés par des experts, les programmateurs ont également conçu des affiches et des programmes; ils ont préparé des bandes-annonces et traduit des sous-titres. En décembre 2015, soit six mois après la première rencontre, les films ont été projetés dans plusieurs cinémas de Munich et ont remporté « un vif succès », dit Thomas Kupser. Il espère obtenir suffisamment de fonds pour organiser le prochain festival en 2016. Ansumane Famah veut également participer à nouveau « afin de montrer aux gens ce que nous avons perdu », explique-t-il, « et de partager nos connaissances et nos expériences avec d’autres réfugiés ».