Le bas-allemand a presque complètement disparu de la vie publique allemande. Seulement trois pour cent de la population parle cette ancienne langue du Nord de l’Allemagne. Artistes, théâtres et écoles essaient de contrer cette tendance.
“Ik schick di nochmal dat Bummelbian, kiek di dat an”, une phrase, que prononcerait assez souvent Susanne Bliemel. Professeure dans un collège du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, situé au Nord de l’Allemagne, elle enseigne en bas-allemand - une langue ancienne qui jusqu’au 20e siècle était très répandue dans le Nord de l’Allemagne. Actuellement, elle n’existe pratiquement plus dans la vie publique. Pour faire bouger les choses, Susanne Bliemel potasse avec ses étudiants des mots du vocabulaire bas-allemand. Traduite en haut-allemand, cette phrase donnerait “Ich schicke Dir nochmal den E-Mail-Anhang, den solltest Du Dir ansehen”, ce qui veut dire “Je t’envoie à nouveau la pièce jointe par courriel, regarde-la donc!” “Bummelbian” veut donc dire Anhang, autrement dit pièce jointe - ce vieux patois doit lui aussi évoluer avec son temps.
Le bas-allemand (Plattdeutsch ou Niederdeutsch) fait partie des six grandes familles de dialectes de la langue allemande. Le Forschungszentrum Deutscher Sprachatlas (Le Centre de recherches Atlas linguistique allemand) de l’Université de Marbourg, une des institutions les plus importantes dans le secteur de la recherche en dialectologie, définit le dialecte comme une langue propre, délimitée géographiquement, avec sa propre grammaire. En font partie, en dehors du bas-allemand, le frison au nord-ouest de l’Allemagne, le saxon au centre, le francique au sud-est de l’Allemagne, l’alémanique au sud-ouest et le bavarois au sud. Ils sont apparus au Moyen âge, au moment des grandes migrations, lorsque les tribus germaniques ont commencé à être sédentaires et ont développé leurs propres idiomes à l’intérieur des langues germaniques occidentales.
DÉCLIN DES DIALECTES
Conjointement à l’implantation généralisée du haut-allemand dans les médias et les écoles, la distribution des dialectes n’a cessé de décroître. C’est le bas-allemand qui en a été le plus affecté car de tous les dialectes c’est celui qui présente les plus grandes différences avec l’allemand standard. Certaines mutations, par lesquelles l’allemand se démarquait au Moyen Âge d’autres langues germaniques comme le néerlandais et l’anglais, se sont imposées surtout dans le sud et ont à peine pénétré le nord. 2,5 millions de personnes seulement pratiquent aujourd’hui le bas-allemand de façon active - autrement dit trois pour cent de la population allemande. D’autres dialectes comme le bavarois se sont défendus avec plus de succès contre l’influence de la culture en haut-allemand. Il y a encore 13 millions de personnes qui parlent le dialecte de l’Allemagne du Sud.
Pour que le bas-allemand reste en vie, le gouvernement du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale a en mars 2017 introduit dans six écoles des classes en bas allemand - jusqu’au baccalauréat qui pourra être passé dans cette ancienne langue. C’est Susanne Bliemel qui s’est chargée de piloter ce projet pédagogique à l’échelle de la province. Cela explique pourquoi elle n’enseigne pas seulement à des jeunes, mais aussi à des jardinières d’enfants, des étudiants et des enseignants qui auront pour mission de transmettre à leurs propres élèves ce qu’ils ont acquis.
LE BAS-ALLEMAND DEVIENT ATTRAYANT
À l’école où enseigne Madame Bliemel, dans la ville de Crivitz au Mecklembourg, un tiers environ des nouvelles et nouveaux élèves a opté pour le bas-allemand. “Cela nous a étonnés et réconfortés. Nous ne nous étions pas attendus à ce que tant d’élèves s’y intéressent.” Elle rapporte que ces derniers temps, de plus en plus de parents qui n’ont jamais appris cette langue souhaitent un enseignement en bas-allemand pour leurs enfants. “Le bas-allemand devient attrayant.”
Pour l’enseigner, les défenseurs du bas-allemand ont dû déclencher une petite révolution. En effet, jusqu’à aujourd’hui, chacun peut écrire en bas-allemand comme il l’entend. Il n’existe pas d’orthographe officielle. Or pour un enseignement en milieu scolaire, il faudra une normalisation de l’orthographe - la première depuis des siècles.
UNE SONORITÉ PARTICULIÈRE
Parallèlement à ce programme de formation, initiative subventionnée par l’État, des artistes locaux essaient de faire revivre au théâtre cette langue tombée dans l’oubli. Par exemple, le groupe pop Tüdelband de Hambourg ou encore l’animatrice de télévision Wiebke Colmorgen qui, avec la collaboration de la musicienne Meike Schrader, a écrit un hymne en bas-allemand en l’honneur de leur ville Hambourg; entre temps, elle s’implique activement auprès d’enfants pour susciter leur enthousiasme pour le bas-allemand. La chanteuse et animatrice bien connue de la chaîne NDR (chaîne de télévision du Nord de l’Allemagne) Ina Müller a déjà fait une tournée de lectures en bas-allemand.
Wiebke Colmorgen | Photo (detail): Kathrin Brunnhofer www.picturekat.net
Mais, disons-le, les bastions les plus importants de la culture en bas-allemand sont les deux théâtres en
bas-allemand, le Ohnesorg-Theater à Hambourg et la Fritz-Reuter-Bühne à Schwerin. “Ce qui distingue le
bas-allemand, c’est sa sonorité”, nous dit Rolf Petersen, Directeur de la Reuter-Bühne. Il fait du théâtre en bas-allemand depuis l’âge de 14 ans. “Le bas-allemand a une mélodie, c’est comme une musique.” Puisqu’aujourd’hui, on n’écrit presque plus de pièces en bas-allemand, il va puiser dans le répertoire
en haut-allemand. Les pièces sont tout simplement retranscrites en bas-allemand du Mecklembourg.
LE BAS-ALLEMAND EST EN VIE
Le mot bas-allemand préféré de Petersen est Schietbüdel, un mot tendre pour les petits enfants : ce qui correspond en haut-allemand à “Scheißbeutel”, en traduction littérale cela veut dire petit sac de caca, autrement dit la couche. Une expression imagée - comme cela arrive souvent en bas-allemand. Le mélange de sonorités douces et harmonieuses et de significations plutôt grossières caractérise aussi ce dialecte. Autre exemple, les injures en bas-allemand dont certaines ont subsisté dans le langage quotidien : Döspaddel (Dummkopf. littéralement “tête d’imbécile”), Klookschieter (Besserwisser, soit celui qui croit tout savoir, donc celui qui se croit meilleur) et Trantüte (Schlafmütze, bonnet de nuit, soit endormi ou lambin), autant d’expressions que de nombreux germanophones comprennent, même s’ils ne sont pas de l’Allemagne du Nord.
Wiebke Colmorgen | Photo (detail): Kathrin Brunnhofer www.picturekat.net
Un échantillon audio de bas-allemand Wiebke Colmorgen
Wat mutt dat mutt (mot à mot : was muss, das muss) Ce qui doit être, cela doit être - donc transposé : pas moyen d’y échapper
Na, mien lütt Schietbüdel (“Na mein kleiner Schatz”) Ce qui veut dire “Eh bien, mon petit trésor”
Du büst aver uk'n Döösbaddel (“Du bist aber auch ein Dummkopf”) Ce qui veut dire “tu es quand même pas mal stupide”)
Ce n’est pas la fin du bas-allemand, dit Petersen, “car le bas-allemand évolue”. Toujours selon Petersen, des mots nouveaux, qui n’existaient pas autrefois en bas-allemand, font leur apparition. Exemple : Huulbessen, qui correspond à Heulbesen, autrement dit un balai assourdissant, soit un aspirateur. Tant et aussi longtemps qu’une langue évolue, elle ne peut être morte.