System Crasher, de Nora Fingscheidt
L’enfant sauvage
À côté d’elle, la petite Manon des Bons débarras, de Francis Mankiewicz, a l’air d’un ange, et l’enfant sauvage, celui que François Truffaut tente de « civiliser » dans son film éponyme, apparaît comme un être d’un raffinement exquis en comparaison de la petite Benni (Helena Zengel, foudroyante de vérité, et foudroyante tout court!).
By André Lavoie
Dans System Crasher, de la cinéaste Nora Fingscheidt, on pourrait la surnommer la tornade blonde tant elle réussit à tout détruire sur son passage : briser des fenêtres, casser des nez, crier à tue-tête, pratiquer le vol à l’étalage, prendre ses jambes à son cou en pleine nuit, en pleine forêt, ou en plein hiver, rien ne l’arrête. Surtout pas son immense colère que personne ne semble en mesure de canaliser, sauf peut-être Micha (Albrecht Schuch, d’une intensité sans cesse contenue et bien calibrée), lui aussi dans un long processus d’« anger management », et qui saura ce qui l’en coûte de déroger aux règles strictes qui balisent le travail des intervenants sociaux. Et qui, disons-le, contemple en elle son propre désarroi intérieur.
Cette petite héroïne d’une beauté angélique digne d’un tableau de Raphaël – du moins lorsque rien ne la contrarie ou qu’elle camoufle les ecchymoses sur son petit corps frêle — représente la somme des histoires de ce que l’on surnomme ici les enfants de la DPJ, ballotés d’un centre jeunesse à une famille d’accueil, la rage au cœur et l’avenir ombrageux. Ne craignant pas les défis casse-cou, Nora Fingscheidt voulait raconter l’errance de ces naufragés sociaux, ces enfants aux comportements si problématiques qu’aucune ressource ne semble suffisamment adéquate pour leur venir en aide. Et c’est lors du tournage d’un documentaire dans un centre pour réfugiés qu’elle a fait la connaissance de sa tout première « system crasher », une adolescente allemande de 14 ans dont le profil atypique lui vaut le triste honneur de passer à travers toutes les mailles de tous les filets (sociaux).
La vraie nature de Bernadette
Benni – de son vrai nom Bernadette, mais la fillette de 9 ans refuse qu’on l’interpelle ainsi – représente un danger potentiel partout où elle passe, suscitant la méfiance des plus dévoués travailleurs sociaux, et des enseignants les mieux intentionnés. Car elle peut piquer une sainte colère pour moins que rien, fracasser une vitre supposément incassable avec une chaise, et épuiser tout le monde avec ses cordes vocales pour réclamer de revenir vivre auprès des siens. Malgré toutes ses bonnes intentions, la mère de Benni, et de deux autres enfants, n’arrive plus à contrôler les accès de colère de sa fille, cherchant en quelque sorte à protéger le reste de sa famille contre cette bombe à fragmentation.Que faut-il à cette enfant pour trouver, à défaut d’un semblant de paix, une quelconque maîtrise d’elle-même? Cela pourrait lui éviter de douloureux séjours à l’hôpital (scènes poignantes où la fillette est soumise à des mesures de contention qui lui donnent des allures de sainte martyre), des privations de toutes sortes, et une surveillance de tous les instants. Mieux que quiconque, elle sait déjouer la vigilance de son entourage, capable de s’échapper pour aller rejoindre sa mère dans une autre ville, de se réfugier dans une cabane à chien pour fuir tous les regards. Et si justement le salut passait par un contact plus profond, et plus direct, avec la nature et le monde animal? Fascinée par les hiboux, ces oiseaux de nuit aux yeux perçants, Benni pourrait ainsi avoir la chance d’en admirer ailleurs qu’au zoo, grâce à la bienveillance de Micha, croyant que de se retrouver dans une cabane sans confort au fond d’un bois lui procurerait un semblant de calme. Mais rien n’est simple avec cette petite diablesse blonde.
La cinéaste Nora Fingscheidt | Que doit faire une société pour panser les plaies des plus vulnérables? Évitant tout à la fois un discours teinté d’angélisme, et d’effluves mélodramatiques, Nora Fingscheidt affiche plutôt une posture de documentariste, exposant les drames, laissant à d’autres le soin de juger. Jamais elle ne détourne le regard devant des situations franchement intolérables peuplées de personnages déboussolés. Et ne comptez pas sur la cinéaste pour conclure System Crasher sur une note rassurante : même les solutions les plus extrêmes, et les plus éloignées de l’Allemagne, semblent inopérantes pour dompter la nature profonde, et révoltée, de cette enfant sauvage.
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