Blogueuse Berlinale 2018
« Cinéma ou télé ?» : le débat est-il toujours pertinent ?
Depuis quelques années, on assiste à un débat mettant en cause la position du cinéma qui serait affaibli par le succès des séries télé. Il me semble que la question est mal posée.
De Yun-hua Chen
Avec la catégorie « Sektion Berlinale Series » (appelée auparavant « Berlinale Special Series »), le festival, qui célèbre ses 68 ans cette année, s’est pour la première fois doté en 2015 d’une vraie sélection d’excellentes séries. On y trouvait déjà lors des dernières éditions Better Call Saul (2015 - ), The Night Manager (2016 – 2018) et 4 Blocks (2017 - ). En 2019 sont venues s’ajouter Bad Banks de Christian Schwochow (2017 - ), The Looming Tower (2018 - ) de Dan Futterman et Sleeping Bears (2018 - ) de Keren Margalit. La nouvelle série Bad Banks est par exemple présentée dans la catégorie Panorama à côté de Generation Wealth (2018) de Lauren Greenfield, un documentaire qui évoque 25 années d’obsession collective pour la richesse et la gloire dans lequel Lauren Greenfield interroge l’ancien manager de Hedge funds Florian Homm, condamné en 2007 pour escroquerie. Ces deux contributions n’ont ni la même durée ni le même format, mais le regard de Schwochow, qui propose un point de vue sur le secteur bancaire d’après la crise, reflète de manière intéressante le monde présenté dans Generation Wealth. Par ailleurs, la catégorie Panorama présente en Première internationale les deux épisodes de la minisérie suisse Ondes de choc, réalisés respectivement par Lionel Baier et Ursula Meier. Les deux épisodes explorent, de manière subtile et avec une grande exigence sur le plan cinématographique, les répercussions causées par un crime.
L’importance croissante que prend l’industrie télévisuelle dans le milieu du cinéma se traduit aussi par le choix de Tom Tykwer comme président du jury de la Berlinale cette année. Bien que Tykwer doive sa position dans le cinéma essentiellement au succès phénoménal du film Lola rennt, il est surtout apparu ces derniers temps en tant que le réalisateur de la série TV à succès Babylon Berlin (2017). On voit ainsi souvent des réalisateurs de cinéma s’essayer aux séries TV, comme Spike Lee (She’s Gotta Have It), Nicolas Winding Refn (Too Old To Die Young), les frères Coen (The Ballad of Buster Scruggs) et Paolo Sorrentino (The Young Pope). Même le lauréat de la Palme d’Or Michael Hanneke s’est inscrit dans cette tendance quand il a annoncé son prochain projet, une série TV en 10 épisodes qui aura pour titre Kelvin’s Book, un drame tourné en anglais qui se situe dans un avenir proche et semble beaucoup plus ambitieux que les projets précédents du réalisateur pour la télévision autrichienne, comme Lemminge (1979) ou Das Schloß (1997). Il a déclaré lui-même à ce sujet : « Après dix téléfilms et douze longs-métrages pour le cinéma, j’avais envie de raconter cette fois une histoire plus longue ».
Ce à quoi nous assistons est donc moins une compétition entre la télévision et le cinéma que l’effacement des frontières entre les deux médias. Il s’agit d’ailleurs d’un phénomène international. On retrouve des dynamiques très similaires dans le paysage médiatique chinois où ces frontières deviennent également plus poreuses. On inclut ici les productions d’un même sujet dans les deux médias en parallèle. 25 ans après le succès du film Le Sorgho rouge (1988) de Zhang Yimou, récompensé à la Berlinale, l’histoire du roman éponyme de Mo Yan est remaniée pour une série télé et réinterprétée par la célèbre actrice Zhou Xun qui revient pour la première fois à la télévision après 10 ans d’absence. Pendant ce temps, le réalisateur de télévision Huatao Teng a célébré son premier succès au cinéma avec la comédie romantique Love is Not Blind. L’acteur de cinéma Chen Kun est quant à lui retourné à la télévision en 2017 après avoir exclusivement tourné des longs métrages pour le cinéma au cours des huit années précédentes. Le roman de "fantasy" Three Lives Three Worlds, Ten Miles of Peach Blossoms fut tourné à la fois pour le cinéma et la télévision en 2017.
Que l’on regarde du côté de la Berlinale, d’Hollywood ou du marché du film chinois, les échanges ou les intérêts croisés entre le cinéma et la télévision, de plus en plus nombreux, se poursuivent pour les acteurs, les équipes de production, les investisseurs et les spectateurs. Et cela nous oblige à renouveler en permanence nos réponses à la question : qu’est-ce qu’un film ?
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