Zones sans voitures à Montréal
Les quartiers sont faits pour les gens, pas pour les voitures.
En 2009, l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal était envahi par un traffic automobile dense et dangereux. Le maire de cet arrondissement montréalais s’est mis en tête de remédier à cela et, malgré une forte résistance, a mis en œuvre une vision radicale d’apaisement de la circulation.
De Simon Van Vliet
Il suffit de s’arrêter à l’intersection de l’avenue Laurier et de de la rue Saint-Hubert pour constater à quel point le passage de Luc Ferrandez à la mairie d’arrondissement du Plateau Mont-Royal a transformé ce quartier montréalais. Avec une saillie de trottoir verdie à un coin et deux bandes cyclables quatre-saisons peintes au sol, l’intersection représente aujourd’hui un modèle de rue apaisée qui mêle aménagements lourds et aménagements légers. Il y a dix ans à peine, un trafic automobile intense faisait de cette rue aux trottoirs étroits un lieu particulièrement propice aux accidents.
En 2008, l’intersection avait été identifiée comme l’une des plus dangereuses à Montréal. L’année précédente, 53 accidents avaient été rapportés à ce seul coin de rue. Chaque année, on rapportait des accidents impliquant des enfants d’âge scolaire.
De 2004 à 2008, Marie-Soleil Cloutier, aujourd’hui professeure à l’Institut national de recherche scientifique, a travaillé à cartographier les données sur les collisions routière pour la Santé publique de Montréal. Les cartes montraient des centaines d’incidents à travers la ville, dont beaucoup à des intersections du Plateau qui est traversé quotidiennement par des milliers d’automobilistes qui se rendent au, ou reviennent du, centre-ville de Montréal.
Elle souligne que « la marche était haute à monter » pour changer les mentalités, d’autant plus qu’il y avait « une méconnaissance du problème général » tant chez les élus que chez les fonctionnaires à l’époque.
À son arrivée au pouvoir en 2009, Luc Ferrandez dit qu’il était habité par un sentiment « d’urgence » de rendre les rues plus sécuritaires. Mais il voulait surtout rendre aux gens l’espace qui avait accaparé par les voitures.
« La voiture mangeait tout, mangeait l'espace », se rappelle-t-il.
Luc Ferrandez a été maire de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal de 2009 à 2019. Pendant une décennie, son travail s'est concentré sur la construction de rues et d'espaces publics plus verts et plus sûrs.
| Photo (détail): © Simon Van Vliet
Le programme était simple et radical : faire des quartiers pour que les gens y vivent, pas pour que les automobilistes y transitent.
Le Plateau à l’avant-garde
Il a commencé par convertir un tronçon de dix blocs sur l’avenue Laurier en un sens unique. Cette transformation a marqué le premier de nombreux changements implantés par son administration pour apaiser les rues et dérouter le trafic de transit vers les artères. Le réaménagement a été conçu pour apaiser le trafic, créer de la place pour les cyclistes et les piétons, mais aussi pour intégrer la gestion écologique des eaux de ruissellement et des plantations d’arbres, d’arbustes et d’herbes.L’administration locale a fermé des routes qui traversaient des parcs et changé le sens de plusieurs rues pour détourner le trafic.
La rue St-Denis, autre grande rue commerciale du Plateau, était autrefois une voie de circulation à quatre ou six voies, centrée sur les voitures. Depuis, deux voies ont été supprimées pour faire place à des pistes cyclables résilientes des deux côtés de la rue. | Photo (détail): © Goethe-Institut Montreal « Ils sont rentrés comme des bulldozer », dit Marie Plourde, conseillère d’arrondissement du Mile End et présidente de la Commission des transports de la Ville de Montréal. « Ça a bousculé le quotidien de tout le monde, et particulièrement des commerçants », reconnait-elle. Elle se souvient du climat de « guerre ouverte » qui régnait entre les commerçants locaux et le parti de Luc Ferrandez, Projet Montréal, quand elle a rejoint son équipe lors de l’élection de 2013.
Jean-François Rheault, PDG de Vélo Québec, se souvient du tollé lorsque que l’administration Ferrandez a commencé à mettre en œuvre son programme de d’apaisement de la circulation et de détournement du trafic de transit autour de 2010.
« Le plateau était un peu précurseur », dit-il. « On ne parlait pas de mobilité durable. Ce n'était pas une approche intégrée », souligne-t-il en notant que certains changements drastiques ont été fait apparemment sans beaucoup de planification ni de consultation. Luc Ferrandez ne faisait, en fait, que suivre les orientations d’un plan de mobilité urbaine adopté juste avant sa venue au pouvoir et dont l’un des axes principaux visait l’amélioration de l’environnement.
La piste cyclable de l'avenue Laurier est devenue l'une des plus populaires à Montréal. Depuis 2011, plus de 5,8 millions de cyclistes sont passés, selon les statistiques compilées avec un compteur interactif. | Photo (détail): © Simon Van Vliet
Marie-Soleil Cloutier explique que ceci est devenu un thème central dans la première campagne de Luc Ferrandez. « Son discours n’était même pas un discours de sécurité routière, c’était vraiment un discours de qualité de vie de quartier », se souvient-elle.
Aller jusqu’au bout
Alors que les politiques d’apaisement de la circulation – et l’opposition qu’elles ont générée – ont dominé les machettes pendant son premier mandat, le maire Ferrandez a également mis en place un programme de plantation d’arbres et intensifié les initiatives visant à agrandir les parcs, quitte à fermer des rues si nécessaire. Il n’y a jamais pensé à deux fois et ne regrette rien. « Il ne faut jamais, jamais, jamais essayer d’avoir 100% [d’appui]. Ça ne marchera pas. Ce n’est pas 100% que tu vises, c’est 50% », conseille-t-il.Malgré les hauts cris et les mobilisations contre ses politiques, il a été réélu pour un deuxième, puis un troisième mandat avec des majorités croissantes à chaque fois. Ceci l’a encouragé à pousser l’audace plus loin en multipliant les fermetures de rues, en construisant des centaines de saillies de trottoir verdies, en élargissant les trottoirs et les pistes cylables.
Quand Projet Montréal a pris le pouvoir à la ville centre en 2017, Luc Ferrandez a été promu au comité exécutif en tant que responsable de l’environnement, du développement durable, des grands parcs et des espaces verts de Montréal. S’appuyant sur l’engagement de la mairesse Valérie Plante de lutter contre les changements climatiques et de protéger l’environnement, il a publié un « Serment du jardinier » dans lequel il vouait de mettre la nature avant toute chose, incluant la circulation automobile et et le stationnement. Affirmant que les priorités financières et politiques de l’administration n’étaient pas assez radicales pour faire face à la crise climatique à venir, il a démissionné deux ans plus tard.
Ironiquement, c’est dans le contexte d’une autre crise globale – la pandémie de coronavirus – que certaines mesures radicales dont Luc Ferrandez aurait rêvé ont été mises en œuvre par l’administration, cette fois avec l’appui actif de la communauté d’affaires locale.
Pas de retour en arrière pour Montréal
De la mi-juin à la fin septembre 2020, la ville a fermé à la circulation automobile un tronçon de 2 kilomètres de l’avenue du Mont-Royal, l’une des principales artères commerciales du Plateau. « Les fonctionnaires de la ville de Montréal en fait ont travaillé extrêmement rapidement », note Jean-François Rheault. Il salue l’innovation, la rapidité et la flexibilité dont a fait preuve l’administration, soulignant qu’il s’est écoulé moins de 8 semaines entre la conception et la mise en œuvre de projets qui auraient normalement pris des mois à développer.Marie-Soleil Cloutier y voit la culmination d’une décennie d’expérimentation avec l’urbanisme tactique, une approche de planification par l’action qui a façonné le Plateau au fil des ans. « Ça a vraiment, je pense, démontré à tout le monde que ça se pouvait de faire des projets comme ça », dit-elle.
Selon un rapport récent, les commerces situés sur les rues qui ont été fermées à la circulation s’en sont mieux sortis que ceux situés sur des rues qui sont restées ouvertes aux automobilistes. Ceci a convaincu la Ville de lancer un programme de 4 millions de dollars pour répéter et étendre l’expérience en 2021.
Près de 2 000 personnes utilisent la voie cyclable de l'avenue Laurier sur une base quotidienne moyenne annuelle, le nombre d'utilisateurs quotidiens atteignant un pic de 5 000 entre le printemps et l'automne. | Photo (détail): © Simon Van Vliet L’automne dernier, l’administration Plante a également rempli une promesse électorale de 2017 : celle de créer un réseau de pistes cyclables à haut débit, dont une partie est implantée Saint-Denis, une autre rue commerciale importante du Plateau.
Pas moins de 87 000 cyclistes ont emprunté la nouvelle piste depuis son inauguration en novembre, ce qui en fait l’une des infrastructures cyclables les plus populaires à Montréal. Cette transformation, comme celle de Laurier il y a dix ans a fait l’objet d’une vive opposition, mais il y a fort à parier que dans dix ans la nouvelle configuration de Saint-Denis sera vu comme un symbole de la transition de Montréal vers la mobilité douce et d’une rupture avec un urbanisme basé sur le tout-à-l’auto. Montréal pourrait ainsi devenir un modèle pour d’autres villes qui cherchent à sortir d’un modèle centré sur l’automobile, en démontrant que même s’il y a une importante résistance au changement au départ, la persévérance finit par payer. Une chose est certaine, selon Marie Plourde : « On ne reviendra pas en arrière! »
Le magazine « Ecologues »
Ecologues est un portmanteau de « Ecology » et « Dialogues ». Cela indique déjà le contenu et l'approche éditoriale du magazine du Goethe-Institut : des débats mondiaux sur les défis posés par le changement climatique. Que peut-on, que doit-on faire maintenant ? Quelles sont les initiatives menées dans divers pays du monde qui pourraient être représentatives d'une approche complexe pour résoudre le problème ? Comment créer un monde juste du point de vue climatique, dans lequel nous pourrons tous bien vivre à l'avenir ? Telles sont les questions qu'Ecologues aborde depuis octobre 2020, en s'inspirant vaguement du sous-titre du magazine : « Comment survivre à l'ère humaine ». Découvrez le dossier ici (en anglais ou en allemand) :
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