documenta 15
ruangrupa inaugure une nouvelle ère à la documenta
Le collectif d’artistes indonésien ruangrupa assurera la direction artistique de la documenta 15. La commission de sélection en a fait l’annonce à Cassel.
De Katrin Figge
Après les critiques ouvertes émises à l’endroit la documenta 14, qui s'est tenue de juin à septembre 2017, de nombreux signes laissaient présager des changements significatifs pour l'exposition d'art universelle. Ces suppositions ont finalement été confirmées le 22 février 2019 : la commission internationale de sélection, composée de huit membres, a annoncé qu'elle avait décidé à l'unanimité de confier la direction artistique de la documenta 15 au collectif d'artistes ruangrupa d'Indonésie.
La nouvelle a eu l'effet d'un double coup de tonnerre : pour la première fois dans l'histoire de la documenta, la direction n’est pas assurée par une seule personne, mais par tout un groupe de commissaires. Et pour la première fois également, cette direction artistique vient d’Asie. Pourquoi donc maintenant?
Le comité de sélection a expliqué que sa décision reposait principalement sur le fait que ruangrupa avait déjà démontré par le passé sa capacité à « s'adresser à des groupes cibles variés - y compris à des groupes autres que le public classique de l’art - et à susciter l'engagement et la participation de la population locale ».
Dans le communiqué de presse officiel, on mentionne également: « Leur approche curatoriale repose sur un réseau international d'organisations artistiques locales basées sur la communauté. Nous nous réjouissons de voir le projet concret que ruangrupa développera pour et à partir de Cassel. À une époque où la force innovatrice émane en particulier d'organisations indépendantes et communautaires, il semble logique d'offrir une plateforme à cette approche collective par le biais la documenta ».
L'art dans l'espace public
Sur la scène artistique et culturelle indonésienne, ruangrupa est un nom connu et établi depuis longtemps. Fondé en 2000 à Jakarta, la capitale indonésienne, ruangrupa - qui signifie « espace d’art » - est un collectif de dix artistes et créateurs.rices qui possède son propre centre culturel dans le sud de la ville et qui s'engage dans de nombreux domaines. En tant qu'organisation à but non lucratif, le collectif promeut la diffusion d'idées artistiques dans le contexte urbain et le large spectre de la culture par le biais d'expositions, de festivals, de laboratoires artistiques, d'ateliers, de recherches ainsi que de publications de livres, de revues et de magazines en ligne.ruangrupa est également un partenaire de longue date du Goethe-Institut en Indonésie, avec lequel il a travaillé à de nombreux projets. En 2015, dans le cadre de la Saison allemande organisée par le Goethe-Institut d’Indonésie ,en collaboration avec l'ambassade d'Allemagne à Jakarta et la chambre de commerce et d'industrie germano-indonésienne EKONID, Ade Darmawan a dirigé « Market Share » conjointement avec l'influent artiste allemand Tobias Rehberger, un projet sur le thème de l'espace public et des réalités urbaines à Jakarta. Les œuvres des artistes participant.e.s d'Indonésie et d'Allemagne ont été réalisées sur une période de plusieurs semaines dans un marché indonésien typique du sud de Jakarta, en partie en collaboration avec les commerçants et les vendeurs locaux.
Market Share 2015 | © ruangrupa - KDIP Viscom ruangrupa se démarque également au niveau international. Le collectif a participé à de nombreux projets de coopération et d'exposition, notamment la Biennale de Gwangju (2002 et 2018), la Biennale d'Istanbul (2005), la Triennale Asie-Pacifique d'art contemporain (Brisbane, 2012), la Biennale de Singapour (2011), la Biennale de São Paulo (2014), la Triennale d'Aichi (Nagoya, 2016) et Cosmopolis au Centre Pompidou (Paris, 2017). En 2016, ruangrupa a été commissaire de TRANSaction : Sonsbeek 2016 à Arnhem, aux Pays-Bas. Même la documenta n'est pas un terrain inconnu pour ce collectif d’artistes : lors de la dernière édition, le groupe était partenaire du projet radiophonique Every Time a Ear di Soun avec sa radio Internet.
ruangrupa Aichi Triennale 2016_ruru Gakko | © ruangrupa En prenant la direction artistique de la documenta 15, ruangrupa et l'Indonésie se retrouvent sous les feux de la rampe, mais Ade Darmawan et Farid Rakun, deux artistes membres du collectif, ont déjà de grands projets pour 2022.
« Nous voulons créer une plateforme artistique et culturelle globale, coopérative et interdisciplinaire, dont les effets se feront sentir au-delà des 100 jours de la documenta 15 », ont-ils déclaré lors de la conférence de presse à Cassel.
Un nouvel élan pour la Documenta
« Notre approche curatoriale vise un modèle différent d'utilisation des ressources, un modèle axé sur la communauté - économiquement, mais aussi en termes d'idées, de savoir, de programmes et d'innovations. Si la documenta de 1955 avait pour but de panser les plaies de la guerre, pourquoi ne pas essayer, avec la documenta 15, de mettre l'accent sur les blessures d'aujourd'hui ? Notamment celles qui trouvent leur origine dans le colonialisme, le capitalisme ou les structures patriarcales. Nous souhaitons leur opposer des modèles de partenariat qui permettent de porter un autre regard sur le monde ».Initiée par le professeur d'art et designer Arnold Bode à Cassel et inaugurée en 1955, la documenta est considérée dans le monde entier comme l'une des expositions d'art contemporain les plus importantes. Elle a lieu tous les cinq ans et le nombre de visiteurs et visiteuses ne cesse d'augmenter depuis sa création.
En 2017, sous la direction artistique du commissaire polonais Adam Szymczyk, la documenta a eu lieu pour la première fois dans deux villes, Cassel et Athènes. Bien qu’elle ait enregistré un record avec plus d'un million de visiteurs et visiteuses sur les deux sites d'exposition, des critiques se sont élevées, non seulement en raison du déficit financier, mais aussi en raison du contenu jugé difficile à saisir et à peine compréhensible.
De ce point de vue, le choix de ruangrupa semble être exactement ce qu'il faut pour apporter un vent de fraîcheur à la documenta. Grâce à une approche délibérément participative et à des années d'expérience dans la création de réseaux, le groupe doit faire en sorte que l'on puisse à nouveau vivre et découvrir l'art au lieu de simplement le regarder.