LOMO – The Language of Many Others, de Julia Langhof
La langue des milléniaux

Lomo: The Language of Many Others
© Farbfilm-Verleih

​Dès les premières minutes de LOMO – The Language of Many Others, on apprend que l’univers virtuel de l’Allemagne compte environ 3 millions de blogues. 

De André Lavoie

Avec une population de 83 millions d’habitants qui s’exprime dans une langue moins répandue à travers le monde que l’anglais ou l’espagnol, voilà tout  de même beaucoup d’espaces numériques pour déverser son fiel, exprimer ses angoisses, ou remplir un vide existentiel, plus ou moins immense. 

Dans ce premier long métrage de fiction, la cinéaste Julia Langhof illustre de manière parfois cruelle l’ampleur de ce vide, si caractéristique de l’adolescence, particulièrement au sein des classes aisées. Car les personnages de cette chronique d’une jeunesse déboussolée évoluent dans des environnements parfois dignes des magazines de décoration intérieure, ou d’architecture. Cela n’est pas si surprenant puisque l’un des protagonistes dirige une firme d’architecture berlinoise à l’avenir précaire, père d’un adolescent qui, lui, ne semble avoir aucune ambition, si ce n’est d’être rivé à ses écrans.


Karl (intense Jonas Dassler), archétype de l’enfant du millénaire, traverse son petit monde la tête baissée et le regard creux, plus alerte à l’heure de nourrir la bête, son blogue où il détaille sa vie de famille, en apparence banale. Entre une mère accro aux jeux vidéo en ligne et une sœur jumelle ambitieuse au point de vouloir étudier à… Ottawa, ce garçon taciturne présente plus d’assurance derrière l’acronyme LOMO, visiblement énergisé par ceux et celles qui le suivent sur le Web, et commentent ses réflexions avec dévotion.

Roméo sans sa Juliette

À l’école, il se croyait le plus marginal jusqu’à l’arrivée de Doro (Lucie Hollmann), autre rebelle, autre gosse de riche (fille d’une politicienne influente toujours au bord de la crise de nerfs), qui voit en Karl une part de sa révolte silencieuse. Leur idylle semblait inévitable, mais se révèle asymétrique : Karl la considère, un peu vite, comme la femme de sa vie (était-il puceau?); Doro ne voit en lui qu’un amant de passage, un parmi tant d’autres. D’où le sentiment de fin du monde lorsqu’elle le repousse devant ses allures de Roméo. Prêt à tout pour se venger, Karl laisse glisse sur son blogue leurs ébats dans le sauna de la maison familiale, un « sex tape » devant lequel les disciples de LOMO se délectent. L’entourage des deux ados? Un peu moins… 
Karl avec ses parents Karl avec ses parents | © Flare Film GmbH, Michal Grabowski La diffusion de la vidéo compromettante n’aura pas seulement des répercussions sur la réputation, déjà mal en point, de ce couple éphémère, mais aussi leurs parents respectifs, jonglant avec leurs propres difficultés conjugales. Le père de Karl pourrait voir un gros contrat lui filer entre les doigts, car la décision repose sur les épaules de la mère de Doro dont on sent, le temps d’un bref échange avec sa fille dans une voiture de luxe, que leur relation n’est en rien chaleureuse.  

Vengeance virtuelle

Qu’est-ce qui motive réellement Karl à ainsi dévoiler une part de son intimité, et surtout celle de sa victime? Réel désir de vengeance ou tout simplement un épais brouillard devant son propre sens des valeurs? Julia Langhof ne cherche pas à trancher la question, mais déploie avec brio une foule d’artifices visuels illustrant le constant parasitage du jugement critique de son héros. À l’écran, elle reproduit le clavardage incessant des admirateurs anonymes de Karl, ainsi qu’une succession de scènes croquées sur le vif par cet espion du quotidien.

Et ce crack d’informatique ne s’embarrasse pas des frontières de la vie privée en trafiquant les ordinateurs des autres pour mieux les épier, la bévue de trop qui fera basculer sa vie, et celle de sa famille, dans un cauchemar qui n’aura rien de virtuel.

Leçon de morale que LOMO – The Language of Many Others? Assurément, et dans un style évocateur. La déroute de Karl, c’est celle d’un monde replié sur celui de la technologie, et dans une soumission qui flirte parfois avec le danger aux limites de l’imbécilité. Dans un de ses nombreux moments de débâcle intérieure, Karl décide de marcher à l’aveugle sur le trottoir, laissant ainsi le contrôle de l’itinéraire aux internautes, il n’est guère plus attentif que nous tous la tête penchée sur nos téléphones.

Julie Langhof agrémente ce constat pessimiste de petites touches ironiques sur une génération prônant l’authenticité (trois garçons, dont Karl, portent la même chemise lors d’une sauterie en rien festive), mais dont l’accablement devant le réel semble permanent. Et pétrifiant.  

Karl avec ses amis Karl avec ses amis | © Flare Film GmbH, Michal Grabowski

LOMO - The Life of many Others

Réalisation: Julia Langhof, Allemagne, 2017, 101 min.
Avec: Jonas Dassler, Lucie Hollmann, Eva Nürnberg, Karl Alexander Seidel, Marie-Lou Sellem
En allemand avec sous-titres anglais.

Prix: First Steps Award 2017