Adam & Evelyn, d’Andreas Goldstein
Les guerres froides
C’est dans le bruit, la stupéfaction et l’allégresse que s’est effondré le mur de Berlin en novembre 1989. Or, les rumeurs de ses fissures de plus en plus béantes grouillaient depuis plusieurs mois déjà, signes avant-coureurs d’une « détente » que personne n’aurait cru définitive, surtout pas l’été précédent, même si l’ouverture partielle des frontières aux pays limitrophes à la RDA ressemblait alors à une immense concession des autorités politiques est-allemandes.
De André Lavoie
Même le spectateur le moins bien informé sur cet épisode crucial de l’histoire de l’Allemagne, et par ricochet celle du XXe siècle, peut en apprendre quelques bribes dans Adam & Evelyn, le premier long métrage d’Andreas Goldstein, jusque-là surtout connu comme producteur. Rien toutefois dans un registre spectaculaire (nous sommes loin des tribulations rocambolesques illustrées dans Le Vent de la liberté, de Michael Herbig) ou fantaisiste (pas de situations loufoques à la Good Bye Lenin!, de Wolfgang Becker), l’essentiel des informations sur ce tumulte étant transmis à la radio, et que les personnages écoutent souvent d’une oreille distraite, voire indifférente.
Et pour cause. Nous sommes au cœur d’un été magnifique, à peine secoué par la pluie, et les images de paysages, de jardins, et de « biergarten » s’enfilent à un rythme contemplatif, une langueur accentuée par une caméra le plus souvent fixe devant des figures qui, elles, semblent ne jamais savoir quelle direction prendre.
Cette paralysie partielle est frappante devant le couple formé d’Evelyn (Anne Kanis) et Lutz (Florian Teichtmeister), répondant le plus souvent au nom d’Adam. Si la première n’éprouve aucune fierté particulière à travailler dans un café, le second affiche un véritable contentement à exercer le métier de tailleur pour dames, d’autant plus que celles-ci ne craquent pas que pour la manière dont il coupe et assemble les tissus – dont certains importés de l’Ouest, et de meilleures qualités.
La véritable « chimie » de ce couple s’est visiblement dissoute dans la routine et l’ennui, une ambiance qui ne déplaît pas à Adam, d’un naturel taciturne, visiblement plus à l’aise dans une chambre noire à contempler ses photos de séances d’essayage (qui ne laissent parfois rien à l’imagination) que d’échanger avec sa conjointe, souvent de manière laconique. Lors d’un essayage, la main du tailleur se posera plus longuement sur la taille d’une cliente plus que satisfaite, et sous les yeux consternés d’Evelyn.
Sur les chemins de l’été
C’est alors le signal de départ pour un road-movie sinueux, indolent, mélancolique, sur les chemins de l’été, et au-delà des frontières de la RDA. Car l’aveu d’infidélité d’Adam poussera Evelyn dans les bras du conjoint de sa meilleure amie (nous nageons ici dans les eaux du marivaudage, mais avec moins de légèreté que chez Éric Rohmer ou Emmanuel Mouret). Adam décide alors de partir à leurs trousses, pas plus volubile qu’à la maison, mais capable de générosité avec une compatriote rencontrée par hasard et déterminée à passer la frontière pour un avenir meilleur.Réalisateur Andreas Goldstein | © Pluto Film Inspiré du roman d’Ingo Schulze, Adam & Evelyn effleure bien des thématiques à caractère historique, mais les personnages, eux, l’ignorent, traversant cette période sans exaltation, agissant parfois de manière totalement impulsive, saisissant les opportunités sans l’impression d’accomplir un coup d’éclat, ou un geste révolutionnaire. Pour tout dire, Andreas Goldstein, né à Berlin-Est auprès d’un père fonctionnaire pour la RDA, semble prendre un malin plaisir à donner de son « pays d’origine » une image bucolique, voire idyllique. Car qui ne voudrait pas de l’immense maison de campagne de ce couple, dont on apprendra plus tard qu’elle appartenait aux parents d’Adam, et qu’il n’a aucune intention d’abandonner pour s’installer ailleurs, et encore moins dans une gigantesque tour d’habitation imaginée par l’architecte Walter Gropius.
Pour Adam, là est son paradis, et ce sont les ravages de plusieurs guerres froides qui le forceront à le quitter : celle, insidieuse, qui mine son couple, et l’autre, tonitruante, qui sape les fondements de l’URSS, et par ricochet ceux de l’Allemagne de l’Est. Ce doux rêveur, à la remorque des évènements, qui plus est historiques!, se laisse aussi guider par les aspirations plutôt confuses de sa conjointe, guère plus convaincue à l’idée de changer d’amant que de changer de pays… Une guerre froide se conclut parfois en match nul.
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