Kihako Narisawa : danseuse et chorégraphe
Figurative
© Kihako Narisawa
La danseuse et chorégraphe japonaise Kihako Narisawa, basée à Francfort, a été choisie pour la résidence chorégraphique annuelle de deux mois du Goethe-Institut Montréal, qui débutera en septembre 2018.
Figurative
est un projet représentatif d'un système, qui consiste en des questions qui traitent de la disparité entre l'idée et la parole, le langage et l'expression artistique.
Ai-je bien parlé?
Kihako Narisawa
En tant qu’artiste japonaise qui habite et travaille en Europe depuis seize ans, je me pose toujours la même question : « Ai-je bien parlé? ». De mon point de vue de locutrice non européenne et non native, la communication est une lutte continue pour la clarté. Il s’agit d’un processus multicouche, d’un circuit surchauffé d’accumulation, de recâblage, de traduction et de régurgitation de connaissances sous forme de sons, de mots, d’argot, de gestes et d’habitudes sociales.
Au cours de la résidence, j’imagine qu’il y aura une nouvelle forme d’intégration dans la culture canadienne. La ville de Montréal a été influencée par la culture européenne, en particulier la culture française, et c’est la deuxième plus grande ville principalement francophone au monde, après Paris. J’ai vécu en France pendant deux ans lors de mes études de danse à l’École supérieure de danse de Cannes Rosella Hightower, mais ma collaboratrice Sonoko Kamimura n’a pas vécu dans un pays francophone, et ce sera sa première rencontre avec la culture francophone. Fondamentalement, je m’attends à ce que le quotidien façonne notre expérience de la différence culturelle durant notre séjour.
L’étude des gestes reconnaissables
Vous posez la question suivante : « Comment aborder la disparité entre l’idée et le mot, le langage et le mouvement? » Pouvez-vous m’en dire plus sur cette idée et ce qui en résultera?Un résultat possible serait de communiquer avec les spectateurs... Je trouve le terme « fondu enchaîné » utile. En cinéma, le fondu enchaîné fait référence à la transition graduelle d’une image à l’autre. Ce repère visuel reflète de près la difficulté de la traduction, dans laquelle l’information disparaît lentement d’une langue à l’autre, ou d’une langue à la pratique... J’envisage de travailler sur certains gestes internationaux communs pour compenser nos contraintes linguistiques et de les développer en une combinaison de mouvements pour communiquer avec le spectateur.
L’étude des gestes reconnaissables est importante pour moi. Il faut également tenir compte des différences culturelles : par exemple, interpeller quelqu’un. Habituellement, dans la plupart des pays, on agite la main avec la paume vers le haut, mais au Japon, on agite la main avec la paume vers le bas, ce qui signifie « ouste! » dans la plupart des pays occidentaux. Pour moi, voilà la disparité entre l’idée et le mot, le langage et le mouvement dans le contexte des gestes internationaux
L’utilisation de l’espace et la distance entre les corps
Vous mentionnez que cette résidence va « vous pousser à communiquer avec de nouvelles personnes, dans une autre culture et une autre langue ». Comment comptez-vous le faire concrètement à Montréal?Cela se produira naturellement dans mon quotidien, car ma langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français. J’aimerais faire des recherches et recueillir les gestes que nous utilisons souvent dans nos communications. La plupart des gens ne comprendront peut-être pas certains termes de danse et de théâtre, à moins qu’ils s’y connaissent ou soient habitués au contexte de performance. Je m’efforcerai donc d’expliquer certaines intentions de communication sur le processus créatif, ce que je fais en général en tant qu’artiste, ou simplement en tant que Japonaise au Canada à ce moment-là.
Vous aimeriez « étudier comment les systèmes culturels nous poussent à faire des choix entre la communication verbale et non verbale, en mettant l’accent sur la façon dont les normes et les codes culturels perturbent la proxémique, soit l’utilisation de l’espace et la distance entre les corps humains ». Vous citez les théories de l’anthropologue américain Edward T. Hall sur la communication non verbale interculturelle et les notions connexes de l’anthropologie de l’espace (y compris le comportement, le toucher et le mouvement du corps). Comment ces idées émergeront-elles dans le contexte de cette résidence?
Je serai une étrangère à Montréal. Chaque personne rencontrée sera nouvelle pour moi. J’appliquerai les quatre distances du modèle de Hall : intime, personnelle, sociale et publique. Ma relation spatiale avec ma collaboratrice, Sonoko, sera très intime, car nous nous connaissons depuis presque dix ans, et nous sommes à la fois Japonaises et danseuses. Je respecterai une certaine distance avec le spectateur lors de la présentation publique pour ne pas le mettre mal à l’aise, et ensuite je devrai mettre en œuvre la distance publique. Mais j’aimerais contester l’idée de proximité avec le spectateur durant la présentation.
Une question d’expérimentation et d’analyse
Vous parlez de la « Fiche de personnage ». Comment ce projet modifie, stimule et améliore-t-il ce moyen de collecte de données?La fiche de personnage comprend des questions sur le comportement des gens dans la société. Par exemple : « Avez-vous tendance à jouer un rôle de leader? », « Faites-vous confiance aux gens, en général? », etc. J’ai déjà animé un atelier expérimental d’activité physique dans le cadre d’un cours de maîtrise en Suisse dans le département de design et art, et j’ai utilisé ce questionnaire. Les participants analysaient leur caractère et leur personnalité avant de s’engager dans un exercice de groupe. Cela m’a aidée à comprendre trente personnalités différentes le premier jour de l’atelier. La fiche est plus un indicateur de la façon de communiquer avec les gens, de connaître leurs façons de penser et de se comporter, et de trouver des qualités pour traduire les tendances en un mouvement.
Le projet en est encore à ses débuts, mais comment en voyez-vous l’évolution?
Il s’agira simplement d’expérimenter et d’analyser... Je pourrais engager un psychologue ou un anthropologue comme collaborateur, par exemple, au lieu d’un danseur. Je n’ai pas l’intention de faire une production de danse. Aussi, en offrant une présentation publique à la fin de la résidence, je pourrai intégrer la réponse du public.
Sonoko a joué dans une autre de mes pièces, en 2015. Elle était inscrite à Codarts, le programme de formation en danse contemporaine, à Rotterdam, où j’ai étudié. Elle est entrée à l’école après mon départ, mais j’ai toujours aimé sa qualité de mouvement. Je pense que la fluidité de ses mouvements aidera à éclaircir le public. De plus, nous avons toutes les deux vécu en Europe en tant que danseuses japonaises, et j’ai pensé que notre expérience commune et nos différences pourraient être stimulantes pour discuter du projet.
Que savez-vous de Montréal? Le fait de venir ici vous motive-t-il à modifier ou changer le centre d’intérêt de votre recherche?
Je ne connais pas encore très bien la scène indépendante de la danse à Montréal, mais j’y étais à l’été 2016 pour la première fois, puis au printemps 2017 pendant deux mois comme directrice des répétitions pour mettre en scène une pièce de mon ancien metteur en scène (à Wiesbaden), le chorégraphe allemand Stephan Thoss, aux Grands Ballets Canadiens de Montréal. J’ai trouvé la ville active dans le domaine de la culture et des arts. Bien que j’aie reçu ma formation et travaillé en France, aux Pays-Bas, en Italie, en Allemagne et en Suisse, je voulais vraiment effectuer cette recherche sur un continent différent, pour expérimenter d’autres styles de vie et de cultures, et pour permettre au processus créatif d’être guidé par de nouvelles influences et de nouveaux échanges.