En 2015, Marie Beauchesne crée un label de mode féministe pour lutter contre les standards de beauté. Dans ce discours très personnel, elle explique pourquoi nous avons besoin de plus de sororité dans notre société.
Nous vivons un moment de prise de conscience que j’espère historique, au-delà de son actualité médiatique. #metoo m’est apparu comme un nouveau cri de ralliement. Son écho est un élan de sororité d’une ampleur qui me remplit d’espoir. J’en avais besoin, car si la conviction profonde qu’il est possible de faire changer les choses m’anime le plus souvent, le quotidien apporte régulièrement son lot de frustrations et de charge émotionnelle.
Cette sororité est avant tout une réponse commune, aux agressions bien sûr mais aussi à toutes les injustices : de la violence symbolique des publicités sexistes aux agressions physiques, sexuelles dont l’horreur des chiffres laisse sans voix. Il s’agit pourtant de ne plus se taire. Et libérer la parole des femmes dans toute sa diversité est plus simple si nous agissons ensemble, car nous avons plus de force et plus de poids.
La sororité peut aussi être le ciment de notre mouvement. Car tout comme « la femme » n’existe pas, « le féminisme » est en réalité pluriel. Par où commencer, jusqu’où aller, où faire ou ne pas faire de concessions, où convergent ou divergent nos luttes, qui inclure ou exclure, quelles actions prioriser ? Autant de questions qui nous font progresser par la réflexion et la complémentarité, mais qui peuvent aussi nous diviser.
La sororité comme trait d’union de nos féminismes
Il y a tant à accomplir, encore tant à faire. N’en déplaise à ceux, parfois celles, qui considèrent qu’il y a « plus important ». Au choix : le chômage, la fonte des glaces, la faim dans le monde. Cette hiérarchie des causes n’est pas absente non plus de nos mouvements. Depuis la création de ma marque
Ypsylone en 2015, il m’est arrivé d’entendre à de nombreuses reprises que la mode féministe était au mieux inessentielle face à des sujets plus graves : viol, excision, harcèlement par exemple. Mais de quoi parle-t-on ? Sur le plan individuel il me semble évident que d’être heurté·e par une campagne qui banalise la violence ou encourage la maigreur extrême n’a rien à voir avec une expérience d’agression sexuelle. Pourtant à l’échelle de notre société les deux contribuent à la culture du viol. Symboliquement celles qu’on nomme « plus belles femmes du monde » sont celles qui ne parlent pas ou disent ce qu’on leur demande de dire : mannequins et actrices. Que les mouvements
#metoo et
#timesup émergent aujourd’hui de ces milieux pose question : est-ce une action que seules des femmes « belles », riches et célèbres peuvent se permettre de lancer ou bien n’est-ce pas aussi la revanche de femmes qui représentent un « sois belle et tais-toi » symbolique ?
Quelle que soit la réponse, je crois profondément que la hiérarchisation de nos modes d’actions est une impasse. La sororité est son issue positive : se soutenir, se rendre plus fortes, accueillir toutes les énergies positives qui veulent faire bouger les lignes, quelle que soit sa clef d’entrée, quel que soit son terrain d’expression. Nous avons besoin de tous ces féminismes : de terrain, de réflexion, en entreprise, à l’école, dans les médias, en politique, sur les sujets douloureux et sur toutes ces petites différences qui font la grande différence.
La sororité comme mode d’action du quotidien
La sororité nous offre non seulement un ciment, mais aussi un mode d’action simple et adapté au quotidien. Il y a un an et demi, je proposais dans une conférence TEDx une définition personnelle du féminisme, basée avant tout sur la liberté.
Non pas que l’égalité me semble inutile, à mon sens elle représente un point de départ et socle juridique indispensable, mais pas nécessairement un objectif à atteindre quel que soit le sujet. Je n’ai aucune envie d’être l’égale d’un homme car je refuse que le standard à atteindre soit masculin. Avons-nous encore besoin de démontrer à quel point ces standards peuvent être toxiques ? Ils sont par ailleurs toxiques non seulement pour les femmes, mais aussi pour les hommes – qui certes en souffrent moins mais ne sont pas pour autant immunisés contre les stéréotypes de genre. Bonjour mythe de la virilité.
Gagner sa liberté en tant que femme, se libérer des stéréotypes de genre, être et créer ce qu’on a envie d’être est le travail d’une vie. Œuvrer pour que chacun·e puisse bénéficier aussi de cette liberté, libérer notre société de ses carcans de genre est probablement le combat de plusieurs vies. Atteindre l’égalités sur tous les plans : salaires, violences, confiance, etc. n’est pas moins difficile. Ces deux concepts sont des idéaux structurants.
La sororité est à la fois une boussole et un objectif concret, elle nous ancre dans l’action et dans le quotidien. C’est mettre en place des cercles de soutien, prendre le réflexe de partager les belles choses qui nous arrivent, soutenir chacune dans ses choix, ne pas laisser une amie ou une inconnue seule face à une situation difficile.
Si nos idéaux et nos idéologies nous divisent, que la sororité nous rapproche. Si mon idéal me semble parfois trop loin, que la sororité et sa multitude de micro-actions quotidiennes me rappellent que le chemin parcouru est déjà un immense progrès, et que le chemin est moins long si nous avançons ensemble.