Marché immobilier à Berlin
Airbnb : une malédiction ou un bienfait ?
Est-ce que le site Airbnb renforce la pénurie de logements à Berlin ? Trois étudiants se sont intéressés à cette question à partir d’analyses de données. Ils ont abouti à un résultat surprenant.
De Maike Brzoska
Ces dernières années, les loyers ont augmenté à Berlin de façon fulgurante, comme dans quasiment aucune autre ville allemande. Les logements à des prix abordables se font de plus en plus rares dans une capitale autrefois connue pour ses loyers bon marché. En revanche, les offres de pied-à-terre sont faciles à trouver pour les touristes : si l’on considère seulement la plateforme d’échanges de logements Airbnb, plus de 10 000 offres sont proposées chaque jour à la location. Des logements complets constituent la majeure partie de l’offre.
Cette situation a débouché sur de vifs débats et sur une modification de la loi en 2014 : la plateforme, initialement pensée pour des particuliers qui voulaient louer leur appartement ou une chambre pour de brèves périodes, est en effet de plus en plus utilisée pour de véritables locations de vacances. Pour beaucoup de Berlinois, cela vaut la peine de conserver des appartements où ils sont locataires depuis de nombreuses années, même s’ils ne les habitent plus depuis longtemps, afin de les sous-louer comme locations saisonnières. Même les propriétaires peuvent générer davantage de revenus s’ils louent pour de courtes périodes à des vacanciers plutôt qu’à des locataires à l’année. Ces derniers en particulier contribueraient massivement à la pénurie de logements. Mais cela est-il exact ?
Au beau milieu d’un débat passionné sur les droits des portails spécialisés en économie collaborative, trois étudiants en design de l’Institut universitaire de technologie de Potsdam ont décidé de regarder de plus près l’offre d’Airbnb. Ils se sont notamment attardés sur le nombre de personnes qui proposent plusieurs biens à la location car il est alors possible qu’il ne s’agisse pas de logements de particuliers. L’un des trois directeurs de projet, Alsino Skowronnek, évoque dans cet entretien les résultats qu’ils ont obtenus.
Votre projet « Airbnb vs Berlin » a plusieurs fois fait la une des journaux. Est-ce qu’Airbnb a pris un jour contact avec vous ?
Ils se sont effectivement manifestés en 2015, peu après la première publication. Airbnb nous a écrit un mail en nous demandant quelle était la source de nos données. Nous avons d’abord coupé court.
Et ensuite, il y a eu des problèmes ?
Non, mais une offre d’emploi ! Ils nous ont invités dans leur bureau berlinois et ont voulu en savoir davantage sur notre projet. Je crois qu’en réalité ils le trouvaient intéressant. Même si Airbnb a bien sûr une autre lecture des données que nous. Dans notre publication, nous avons seulement utilisé des données accessibles : nous avons sélectionné les offres de chambres et d’appartements proposées à ce moment-là sur Airbnb à partir d’une interface API. Mais il n’était pas question pour nous de travailler pour Airbnb. Nous, c’est-à-dire Jonas Parnow, Lucas Vogel et moi, nous étudiions encore à cette époque (en 2015) à l’Institut universitaire de technologie de Potsdam.
Votre projet Airbnb est né d’un cours sur la visualisation de données et le storytelling numérique. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
À cette époque démarrait tout juste en Allemagne la discussion consistant à savoir si Airbnb était bon ou mauvais pour les villes et surtout si de telles plateformes aggravaient la pénurie de logements ou faisaient augmenter les prix des loyers, c’était un sujet important.
Et ce débat est toujours actuel.
J’étais même à ce moment-là personnellement concerné parce que j’étais à la recherche d’un logement. Je ne trouvais rien dans le quartier où j’habitais à Kreuzberg et où je voulais rester. C’est alors qu’on me conseilla de louer dans un premier temps un appartement sur Airbnb. J’ai d’abord été très étonné de voir la quantité d’appartements à louer sur le site d’Airbnb, essentiellement dans des quartiers recherchés, alors qu’on trouvait difficilement quelque chose sur le marché immobilier. C’est ainsi que je me suis intéressé à l’ampleur que prenait le phénomène Airbnb à Berlin.
Vous avez analysé les offres de chambres et d’appartements sur Airbnb. Quel enseignement en avez-vous tiré ?
Nous avons par exemple étudié les prix des locations proposées, leur localisation par quartier et le nombre d’annonces publiées par les hôtes. J’ai trouvé en particulier intéressant le fait que l’image qu’avait d’Airbnb correspondait peu aux données recueillies. Ses publicités montrent que l’on peut prendre des vacances chez des amis, comme s’il s’agissait d’une initiative très privée. Mais nous avons pu démontrer que c’étaient surtout des professionnels qui étaient actifs sur la plateforme. Ils proposaient parfois plus de 30, voire 40 appartements à louer sur Airbnb. Cela n’a rien à voir avec des étudiants qui sous-louent de temps en temps leur chambre quand ils partent en vacances.
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C’est pourquoi nous avons revu les données sur la durée. Il fut intéressant de constater qu’en 2015 les annonces ont d’abord constamment augmenté. Un ou deux mois avant mai 2016, leur nombre a très rapidement baissé. Il y a eu en l’espace de très peu de temps une baisse de 40% de chambres et d’appartements proposés sur Airbnb.
La loi a donc été efficace ?
Oui, à court terme. Mais l’on voit que dès les mois suivants, les offres ont repris. Cela est probablement lié au fait qu’il a été dit dans les médias que la Ville était complètement débordée pour détecter les offres illégales. À un moment donné, certaines parties de la loi ont été classées comme anticonstitutionnelles et l’on a procédé à des améliorations. Mais à mon avis, la loi n’est toujours pas bonne parce qu’elle ne différencie pas vraiment les hôtes professionnels de ceux qui sous-louent épisodiquement, quand ils partent en vacances. Ce sont surtout les professionnels qui constituent un problème pour les villes parce que l’on soustrait au marché de la location de l’espace habitable.
Quelles conclusions tires-tu des résultats pour toi-même ?
Lorsque j’étais moi-même à la recherche d’un appartement, j’avais l’impression qu’Airbnb était un énorme problème à Berlin. Ce n’est toutefois pas le cas partout dans la ville, cela est surtout vrai pour quelques secteurs particuliers de Kreuzberg, Mitte, Neukölln ou Prenzlauer Berg. C’est ce qu’ont montré nos données : le hype Airbnb se concentre sur un petit nombre de hauts lieux de la ville. Sur l’ensemble de la capitale allemande, seulement 0,4 % des logements à louer sont proposés sur Airbnb.
0,4 %, cela fait peu a priori mais en chiffres absolus on arrive tout de même à un nombre assez considérable d’appartements, particulièrement dans les quartiers recherchés. Dirais-tu par conséquent qu’Airbnb aggrave la pénurie de logements à Berlin ?
Je pense qu’il y a beaucoup de raisons au manque de logements et à l’augmentation du prix des loyers. Il serait à mon avis trop réducteur de faire d’Airbnb le seul responsable de cette situation. Je dirais plutôt qu’Airbnb est un catalyseur pour des transformations qui ont lieu au niveau des quartiers ; par exemple, dans le secteur de Wrangelkiez à Kreuzberg qui était autrefois caractérisé par sa mixité, il y avait davantage de marchands de légumes et de petits commerces. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de cafés pour accueillir les nombreux touristes qui s’y rendent. Le mot-clé est la gentrification, voire la « touristification ». De mon point de vue, Airbnb accélère de tels changements.
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