Esthétique et technologie
Comment la culture pop définit le look du futur
Les robots, qu'ils respectent les règles ou qu’ils soient anarchiques, sont des produits de notre culture pop : de « Metropolis » à Missy Elliot en passant par « Star Wars » et Jane Fonda, il conçoivent tous dans leur futurisme les nouvelles technologies et leur esthétique. Comment discutent-ils et prédisent-ils aujourd’hui le look du futur de manière dialectique avec la robotique ?
Ils sont lisses, lisses comme un vernis, lisses comme la prétendue peau humaine de cette publicité pour rasoir, et non pas lisses comme une peau d'anguille : bien trop proches de nous, les humains organiques, et de l'érotisme visqueux de nos corps - lisses comme du plastique.
Tiré de la pièce de théâtre tchèque R.U.R. de Karel Čapek (adaptée au cinéma en 1935 par Aleksandr Andriyevsky), le nom « robot » signifie - comme il se doit - « corvée » ou « travail ». Il est issu du mot slave ecclésiastique signifiant « esclave ». Le rapport de force semble donc clair pour le moment. Ici, les robots ressemblent encore un peu à des machines mécaniques, au futurisme tardif de l'industrialisation. Ils conservent leur surface métallique et argentée comme l’antithèse de notre peau poreuse, organique et poilue. Grâce à ses lignes élégantes, RUR s'inscrit dans la tradition du chevalier. Il se fond dans son armure et nous abandonne avec l'éternelle question : les robots portent-ils des vêtements brillants ou est-ce leur corps nu qui reflète la lumière ? Une question qui va également occuper le milieu de la mode.
Donne-moi ton glamour !
Le premier long métrage de science-fiction se distingue par un glamour encore plus métallique : l'expressionniste Metropolis de Fritz Lang (1927) raconte l'histoire de Maria, l’étincelante femme-robot de fer qui se bat pour les ouvrières et ouvriers. On notera les cheveux qui se transforment naturellement en un casque en forme de coiffure Flapper. Évoquant à la fois les formes géométriques du ballet triadique et une madone pécheresse et dénaturée, elle danse.
Aby Warburg dirait « Elle continue à vivre » : comme un reflet de lumière sur le « tall slender robot of human proportions with a glaming bronze-like metallic surface of an 'Art Deco' design », connu sous le nom de C-3PO ? Peut-être dans un costume en vibranium ? Dans la tenue de scène mariale de Cher ou dans le bikini métallique de la Princesse Leia, et dans cette vidéo de 7 minutes sur YouTube célébrant une chaussure de sport dorée qui ressemble à un petit vaisseau spatial. Grâce au filtre Instagram qui transforme le visage en masque doré, une expérience personnelle qu’on peut enfin réaliser chez soi !
Comme dans cette combinaison non genrée, la surface lisse est promue au rang d'esthétique d'une nouvelle époque, grâce entre autres à la Catwoman, la femme-chat, qui est à l’origine du terme catsuit dans les années 1960. Pas de coutures, pas de plis : plus rien n’évoque un assemblage. Un refus de la mécanique visible, du processus qui, quelques décennies plus tôt, caractérisait les temps modernes. Fini les boutons comme vis portables sur cette robe, fini les inserts métalliques comme souvenirs industriels pour fermer mécaniquement les salopettes.
Du plastique 100 carats
C'est pourquoi à la fin des années 1960 Pierre Cardin, André Courrèges, Paco Rabanne et Mary Quant transforment leurs ateliers en laboratoires. Le plastique est le matériau du futur, et ce à une époque où l'on ne se doutait pas encore de sa durée de vie accablante et quasi infinie de 450 ans. Ils moulent des vêtements en PVC, confectionnent des imperméables à l’aide de matières. Des talons en vinyle transparents chez Genrich. Beth Levine fait briller les collants. Dacron, Mylar, plastique ! Le plastique dans sa beauté multiple.
Les plus futé.e.s s'inscrivent les surfaces métalliques sur le corps avec du gloss : même en 2004, dans la chanson de Lil Mama Lip Gloss, célébrée comme gamechanger dans cette version hip-hop. Et bien sûr, cela doit briller comme un miroir : dans les années 1970 et 1990, le clair-obscur, c'est-à-dire le jeu avec la lumière dans les discothèques, prend une autre signification. Tous les genres vivent pour le reflet, l’effet, comme dans Thank God it's Friday (Dieu merci, c’est vendredi) et le clip de Divine I'm so beautiful.
La boule disco « allumez donc toutes les petites lumières » devient un objectif professionnel généralisé et un idéal de mode.
Heureusement, Jane Fonda, alias Barbarella, était de retour sur terre dans les années 1980 pour célébrer le prochain chapitre des vêtements moulants et lisses : l'aérobic. Un formidable entraînement en endurance pour les personnes futuristes et soucieuses de la mode, entraînement inventé en 1967 par un médecin militaire et entraîneur d’astronautes (quelle surprise) du nom de Kenneth H. Cooper. Il n’y a que dans le monde du fétichisme et du sadomasochisme que l’on voit autant de brillant, comme dans Il portiere di notte (Portier de nuit) de Liliana Cavani. Ce film où il est question des vêtements portés à l’époque nazie a fait de Charlotte Rampling une star.
C’est avec des surfaces argentées et brillantes que la culture pop imagine le robot, comme dans ce clip de la rappeuse Missy Elliott. Aujourd’hui encore, le robot se situe quelque part entre l’armure militaire et le miroir permanent. Sa surface nous renvoie notre propre reflet. Dans Where they from, le récit de la poupée animée nous place d'ailleurs dans la tradition du golem juif, comme dans Der Golem, wie er in die Welt kam (Le Golem : comment il est venu au monde) de 1920 ou dans Der Sandmann (L’homme au sable) de E.T.A Hoffmann.
Au début de la deuxième moitié du 20e siècle, les fantasmes esthétiques associés au robot ont fusionné sous la surface lisse avec ce à quoi pourrait ressembler la vie extraterrestre. Les deux grands inconnus fusionnent. Avec Platos Atlantis (L’Atlantide de Platon), Alexander McQueen propose en 2010 une explication évolutionniste : des têtes allongées, semblables à des extraterrestres, s'unissent à une peau de serpent et à des branchies. Ils interagissent avec un environnement de bras de robot qui semblent réclamer leurs formes hybrides. Tant de futurité relègue pratiquement au second plan le fait que McQueen fait la promotion de ses métamorphoses et symbioses dans ce qui constitue le tout premier défilé de mode diffusé en direct sur Internet.
Artiste contemporaine et femme-robot aux influences extraterrestres, Juno Birch se métamorphose à travers ses tenues et ses maquillages. Sur sa peau, elle crée des surfaces non poreuses dans la tradition du drag, son visage prend une couleur extraterrestre et fantastique. Quelques reflets de lumière sur la surface et voilà ! Juno Birch commente les Sims avec sa protagoniste « Desperate Birth » devant un papier peint rétro de style Let's Play. Elle flirte à nouveau avec la poupée animée, un commentaire ironique sur les rôles de genre et le caractère casanier du Midcentury.
D'accord, il y a toujours un « mystérieux étranger » qui sort des sentiers battus, comme le dit le sous-titre d'Alf. Mais lorsque celui-ci ou le Alien de Jean-Pierre Jeunet transgresse la règle de la surface lisse, la fourrure ou le liquide laiteux qui gicle écrit une nouvelle page de l'histoire du cinéma. Ou lorsque des robots apparaissent sous forme d'organes que nous introduisons directement dans notre corps, par le nombril ou une interface, comme dans Existenz, le film de David Cronenberg sorti en 1999 : tantôt nous nous connectons de manière bienfaisante, par analogie avec la station-service où tout commence - tantôt les pièces détachées malsaines sortent directement de la bouche du protagoniste sous forme de prothèses dentaires qu’il assemble lui-même. Avec de la musique sphérique et un faible éclairage, les éléments essentiels d’un récit d’horreur.
Les robots et l’espace en tant qu’utopies queers
Les façons dont nous concevons la vie extraterrestre sont fondamentalement influencées par la culture queer. Une communauté associée à ce qui est différent, nouveau, menaçant ou opprimé, comme le reflète le classique Anders als die anderen (Différent des autres) de 1919.
Des artistes queers comme la transsexuelle Jayne County, dont la vie est racontée dans le film Hedwig and the angry Inch et dont le style est copié par David Bowie, imaginent l'espace, les extraterrestres et les cyborgs comme une utopie de la liberté au-delà des règles prétendument biologiques.
Des personnages comme Lily dans la série Sex Education perpétuent cette tradition, comme par exemple dans cette scène de sexe entre Ola et Lily, en vêtements spatiaux avec des tentacules de pieuvre, ou dans la comédie musicale queer Roméo et Juliette de Lily, sabotée par le directeur de l'école. L'icône queer Björk travaille avec des extensions corporelles futuristes et, s’inspirant du discours de la prothétique robotique et des disability studies, elle remet en question l'humanité normée. La mode et les arts performatifs, sont un espace de liberté relatif pour artistes queers, même si c’est souvent de façon cachée. Pensons à Yves Saint Laurent, Calvin Klein, Pierre Cardin et sa mode unisexe, Balenciaga, Dior, la « Queen of Less » Jil Sander, Pepper LaBeija, Hubert de Givenchy, John Galliano, Kenzo, Alexander McQueen, Karl Lagerfeld, Walter Van Beirendonck, Jean Paul-Gautier, le Manifest cyborg queer de Donna Haraway, des musicien.nne.s queers comme la transsexuelle Wendy Carlos, la compositrice de la musique du film The Shining et de divers films de Stanley Kubrick, qui a travaillé sur le premier synthétiseur disponible dans le commerce et qui, en tant que pionnière expérimentale, a fait de la musique électronique ce qu'elle est aujourd'hui. Les artistes queers ont non seulement anticipé l'esthétique des robots, mais ils sont également, culturellement parlant, à l’origine d‘une relation expérimentale et positive avec les nouvelles technologies comme les robots.
Pourquoi les robots sont-ils blancs ?
Avec l'argent, l'autre non-couleur du siècle est le blanc ! Blanc, ou comme le dit Loic Prigent : l’esthétique de laboratoire blanchie, une meringue sexy, le sorbet immaculé, le sourire de Brad Pitt à midi, ce n'est pas blanc, c'est la couleur au milieu du drapeau français.
Les robots semblent être des « white cubes » incarnés. Un concept qui place des œuvres d'art dans des salles d'exposition entièrement blanches, faisant ainsi du blanc une neutralité visuelle, qui n’est plus seulement médicale. Une neutralité adaptée ici de manière lumineuse par la caméra dans la scène finale de 2001, l'Odyssée de l'espace. - En 1968, on entre dans le néant en blanc, par mesure de sécurité. Car l'avenir technologique est encore si jeune qu’il n’apparaît nulle part. Nous-mêmes vivons comme un logiciel dans des boîtiers utopiques, qui sont blancs bien sûr : dans des ovnis qui viennent tout juste d’atterrir, en 1968, du moins si l'on en croit l'architecte Matti Suuronen et le Manifeste du futurisme de Filippo Tommaso. Et parce que nous sommes si progressistes : les robots sexués blancs dans Woody et les Robots (1973) de Woody Allen. La couleur blanche des combinaisons spatiales, le blanc, la couleur choisie par André Courrèges en 1964 pour la mode futuriste. La Moon Girl est née. Ce n'est pas sans raison que l'histoire de la mode se divise en deux époques bibliques, selon PPP (Peter Paul Polte). « BC et AC : Before Courrèges and After Courrèges ». N'oublie pas les bottes plates blanches, s'il te plaît. Ou prends celles-ci de Martin Margiela : depuis 1989, l’anonymat est blanc, à condition de ne pas être reconnu aux chaussures que l’on porte.
Le blanc, bien sûr, quoi d'autre dans un monde eurocentrique où - malgré T'Challa , le personnage le plus juste de l'histoire de la science-fiction avec ses costumes afrofuturistes - il n'y a pas seulement des robots racistes, mais même du racisme contre les robots noirs ? Le blanc, de façon presque ironiquement innocente. Après les anges blancs, les médecins et les fantasmes patriarcaux de virginité, les sarraus blancs des femmes de ménage, des bouchers et des bouchères - ou peut-être les vêtements blancs de l’époque coloniale en tant qu'acteurs de l’exploitation - les robots blancs sont bien la prochaine étape logique, non ?
Parce que chaque appareil veut secrètement être un vaisseau spatial et que de toute façon nous portons déjà les vêtements qui vont avec, les appareils domestiques brillent eux aussi en blanc depuis Dieter Rahms et Steve Jobs. Le blanc domine dans le Corprate design de la série Real Humans, du moins tant que tout va bien.
Et, comme dans la vie, on est toujours toujours à la remorque de quelque chose. Dans le travail de Jasna Rokegem, la mode et le corps fusionnent désormais pour former une interface, un peu comme à l'époque de « I'm a cyborg, but it's okay ». La mode augmentée créée par « the fabricant », pour tous ceux et celles qui trouvent que même le haut est de trop au télétravail, ou les vêtements numériques évoquant la fourrure animale de Benaz Farahi, si l'on n'aime pas trop parler de sentiments. Après avoir eu l’apparence d’êtres vivants étrangers conçus par des designers, les robots ont fini par nous ressembler désagréablement dans des dystopies et se transforment désormais en vêtements que nous utilisons avec notre corps. Skin on Skin.
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