Au moment où les deux femmes composant le duo de garage rock Cava grandissaient à Berlin, le mouvement Riot Grrrl aux États-Unisrévolutionnait la structure des genres dans la musique rock des années 90: la domination du patriarcat était affaiblie et une sous-culture féministe commençait à s'établir dans les scènes musicales et artistiques du monde entier. Avec leur deuxième album, Powertrip , la guitariste et chanteuse Peppi Ahrens et la batteuse Mela Schulz poursuivent sur cette voie de manière conséquente, tant au niveau du contenu que de la musique. Habilement, avec rage et le regard tourné vers l'avenir, elles tissent les éléments rétro de leur musique dans un habit actuel de rock brutal et d'énergie combative. Absolument insatisfaites du résultat au départ, elles ont ramené l'album achevé en studio peu avant sa sortie pour le remixer - il était devenu trop pop à leur goût. Maintenant qu'elles ont trouvé le juste équilibre entre une production de grande classe et une énergie live brute, on ne peut qu'être d'accord : c'est fun le garage rock, même en 2025 !
Pour beaucoup de gens en dehors de l'Allemagne, le groupe berlinois Spliff est connu tout au plus comme le groupe accompagnant Nina Hagen. Après avoir fui la RDA en 1976 (elle a suivi son beau-père Wolf Biermann, voir plus bas), la chanteuse, alors âgée de 21 ans, a dû chercher un nouveau groupe à Berlin-Ouest et a trouvé dans le combo politrock Lokomotive Kreuzberg des compagnons de route appropriés. En 1978, le groupe a sorti l'album classique Nina Hagen Band, mais l'association n'a duré qu'un an : le groupe a continué sous le nom de Spliff et publié quatre albums par la suite. Marquée par les influences extrêmement diverses des membres du groupe, par l'utilisation systématique de la batterie (purement électronique) Simmons par Herwig Mitteregger et par desbêtisesparfois un peu étranges sur les albums ultérieurs,ce travail estpar momentsdifficile à écouter, mais d'un autre côté, et surtout sur le deuxième album, 85555,sorti en1982, il offre quelques sommets de la musique pop allemande (Déjà Vu, Carbonara), qui ont connu un grand succès commercial et font partie encore aujourd'hui des canons de la musique pop de ce pays. Après ce deuxième album, sur lequel le groupe semblait s'être trouvé et avoir réussi à développer un son qui lui était propre, ils se sont ensuite embourbés dans des expériences de plus en plus bizarres et ont fini par se séparer. L'intégralité de leur œuvre vient d'être rééditée par leur maison de disques.
La biographie de Wolf Biermann est exceptionnelle, même pour la génération d'après-guerre en Allemagne. Né en 1953 à Hambourg, fils d'un ouvrier juif assassiné à Ausschwitz, l'artiste, alors un communiste convaincu, décide à 16 ans de s'installer en RDA. Il étudie la philosophie et les mathématiques, commence à écrire des poèmes et des chansons et se fait connaître peu après, au début des années soixante, comme auteur de théâtre. En raison de ses positions critiques à l'égard du régime dictatorial de l'État est-allemand, ilestinterdit descènequelques années plus tard et finalement expatrié en 1976 pour poursuivre sa carrière d'auteur-compositeur-interprète à Hambourg. Son riche catalogue d'environ 300 chansons a maintenant été racheté par l'artiste et producteur hambourgeois Johann Scheerer (The Mars Volta, Pete Doherty). En collaboration avec Wolf Biermann lui-même, l'album Wolf Biermann Re:Imagined - Lieder für Jetzt ! regroupe 22 reprises de ses chansons par les artistes les plus diver.e.s, notamment le vétéran du rap Torch, l'icône de la trap Haiyti, la légende du rock allemand Wolfgang Niedecken ou l'actrice Meret Becker. Les chansons, qui traitent de thèmes tels que la justice sociale, la critique de la RDA et des dictatures en général, la liberté, la démocratie, l'environnement et la paix, mais aussi d'introspections très personnelles, résonnent de manière étrangement actuelle dans leurs interprétations modernes. Ce projet d'envergure, élaboré avec beaucoup d'amour, rappelle à la mémoire contemporaine l'un des artistes politiques les plus importants de l'Allemagne de l'après-guerre et évoque l'un des catalogues d'art politique les plus précieux et les plus pertinents dans ce pays depuis Bert Brecht.
La grande accumulation, une collaboration pop ludique entre Anadol aka Gözen Atila et Marie Klock, deux artistes de Paris et d'Istanbul qui semblent se pousser mutuellement vers des sommets de bizarrerie toujours plus hauts, vient de paraître sur le formidable label hambourgeois Pingipung, géré avec amour par son propriétaire. Les frontières entre les instruments analogiques et électroniques sont systématiquement brouillées, quelle importance qu'un piano ou un vieil orgue, un synthétiseur logiciel ou un doux sifflement accompagne les petites histoires en français d'un monde lointain et fantastique. Même le vent peut apporter une mélodie lorsque Marie Klock parle de collectionneuses, de jambons et d'excursions nocturnes, et la magie de ses petits bijoux pop agit encore longtemps.
Songs to Go sera le dernier album de Funny van Dannen. L'auteur de livres, artiste plasticien et chansonnier, ancien membre fondateur des Lassie Singers, quitte la scène l'esprit tranquille, comme il le dit lui-même. Ses histoires pleines d'ironie douce-amère et d'absurdités incroyables, toujours remplies d'humour et de poésie, ont marqué le paysage musical allemand depuis 1995 et laissent un vide qui ne pourra probablement pas être comblé. Comme sur ce dernier album enregistré principalement en live, Funny van Dannen ne s'est le plus souvent accompagné qu'à la guitare, un maître des notes douces, un « génie de l’ordinaire », comme l'a un jour qualifié l’hebdomadaire Die Zeit, mais il a aussi été beaucoup cité et notamment repris par des groupes punk comme Dackelblut ou Rantanplan. Une profonde amitié le lie aux Toten Hosen, l'un des plus grands groupes de rock allemand, sur le label duquel il a publié la plupart de ses albums. Songs to Go montre un artiste au sommet de son art qui, en raison du « penchant ridicule de ma génération pour l'autodétermination, ou peut-être de l'impression que la production excessive a quelque chose de la folie ou de l'hystérie », s'en va la tête bien haute.