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Le féminisme aujourd'hui

Quels sont les sujets les plus importants qui préoccupent aujourd’hui les femmes au Canada et en Allemagne ? Qu’est-ce qui les motive ? Et que reste-t-il à faire ? Nous vous présentons des acteurs de la vie culturelle qui s’intéressent aux thèmes et aux débats féministes les plus brûlants.

We Are Better Than This!© Photo: Jerry Kiesewetter on Unsplash
Amandine Gay© Nathalie St-Pierre
Éxposition Hunger© La Centrale

Le Meilleur des mondes - comment voulons-nous vivre ensemble?

Le féminisme est arrivé depuis longtemps au milieu de la société, mais il y a encore du chemin à faire. Les rôles genrés traditionnels et les inégalités persistent dans tous les secteurs de la société. Que doit-on faire? Nous avons recueilli quelques exemples.

Avoir une vision monolithique du féminisme est étouffant.

Kimberle Williams Crenshaw


Dites donc, à qui appartient mon ventre ?

« Nous décidons seule d’avoir ou non des enfants » – la maîtrise de son propre corps fut pendant longtemps l’une des plus importantes exigences féministes. Cela n’a pas changé, mais les signaux sont différents. Aujourd’hui, des personnes qui n’auraient pas pu avoir d’enfants autrefois, réussissent à en avoir. En même temps, on peut détecter de façon précoce des anomalies génétiques. Quels sont les liens entre éthique de la reproduction et progrès technologique ? Six acteurs de la vie culturelle donnent leur point de vue personnel. Signé Kirsten Achtelik

  • Frl. Wunder AG Photo (détail): © Frl. Wunder AG

    FRL. WUNDER AG : « SUPPORTER LES CONTRARIÉTES ET OUVRIR DE NOUVELLES VOIES »

    Qu’il s’agisse d’avortement, de procréation artificielle ou de clonage, plus on est capable de faire des choses au niveau technique ou médical, plus il est difficile de prendre clairement position, même dans une perspective féministe. Ces débats qui sont souvent très chargés au plan émotionnel posent, au-delà d’exigences importantes, comme le droit pour la femme de disposer librement de son corps, des questions éthiques complexes tant au niveau de l’individu qu’au niveau de la société dans son ensemble. À l’aide du théâtre et des performances, nous pouvons créer des approches nouvelles, soumettre à la discussion des structures normatives et les rendre négociables. Elles peuvent être personnelles, toucher, provoquer et en même temps faire rire. Ainsi naît un espace utopique où nous pouvons développer, au-delà des évidences, quelque chose qui rend supportables les contrariétés et ouvre aussi des voies.

    Le collectif Théâtre et Performance Frl. Wunder AG est une équipe de sept personnes de genres différents qui a l’expérience des avortements ainsi que des débats sur l’infertilité, et qui a aussi, à ce jour, sept enfants qui ne sont pas seulement des enfants biologiques .
  • Ninia Binias Photo (détail): © Nina Binias

    Ninia Binias : « TROP PETITE POUR AVOIR UN ENFANT »

    « Pas de panique, il [l'enfant] ne sera pas comme vous », dit le responsable du diagnostic prénatal, le sourire aux lèvres. Pas comme pour moi. Pas aussi imparfait. Pas aussi petit. Pas aussi différent.
    « Est-ce qu’il restera aussi petit ? », demande l’inconnu dans la rue. Aussi petit que moi. Si petit. Trop petit. Encore faut-il qu’il grandisse avant d’avoir cette taille ! « Quelle taille fait donc son père ? L’enfant a-t-il encore une chance de s’en sortir ? Va-t-il être normal ? Va-t-il être grand ? » « Est-ce votre enfant ? », crie une femme étonnée. « Vous n’êtes vous-même encore qu’une enfant », ajoute-t-elle. À 34 ans, trop enfant pour avoir un enfant. « Pas d’anomalies », dit la généticienne. Pas d’anomalies. Pas de raison d’intervenir. Une raison de se tranquilliser. Tout se passe comme prévu. Tout est en ordre ? ?!

    Ninia LaGrande vit et travaille à Hanovre, notamment en tant que slameuse. Depuis 34 ans, elle perçoit le monde selon une autre perspective et écrit sur ce thème pour ne pas avoir à se frapper la tête contre les murs.
  • Sookee Photo (détail): © Sookee

    SOOKEE : « JE TRAVAILLE À LA PRISE DE CONSCIENCE D’UN PROBLEME »

    Je suis particulièrement familière des sujets relatifs à la transsexualité et aux droits liés à la procréation, ils jouent un rôle essentiel dans ma musique aussi. Je suis moi-même heureuse, en tant que femme pan*-cis*, d’avoir pu facilement créer une famille [précision du rédacteur : pan* caractérise une personne qui est attirée par des individus indépendamment de leur sexe ; cis* est une personne en accord avec le sexe qu’on lui attribue]. Il est insupportable de constater que fonder une famille est une chose beaucoup plus compliquée pour les individus non binaires, homosexuels et transsexuels. J’évoque ce sujet dans la chanson Queere Tiere (Animaux tordus) avec l’hippocampe comme symbole de la grossesse (trans)masculine, et j’en parle aussi dans les interviews. Cela marche très bien, j’ai eu d’excellentes retombées après bon nombre d’entretiens. Je n’ai pas vraiment de solutions toute faites mais je travaille à la prise de conscience du problème.

    Sookee vit en tant que rappeuse et féministe à Berlin, ville à partir de laquelle elle sème son idéalisme et ses analyses critiques sur des scènes ou des podiums, et dans la vie de beaucoup de gens.
  • Milo Rau Photo (détail): © IIPM/Thomas Müller

    Milo Rau : « MIS AU BAN PENDANT LA GROSSESSE, CELÉBRES DANS L’ART. »

    Pour Les 120 journées de Sodome que j’ai mis en scène à Zurich au Schauspielhaus avec des actrices et des acteurs du théâtre HORA, qui vivent presque tous avec la trisomie 21, je me suis intéressé au diagnostic prénatal, c’est-à-dire à la possibilité d’examiner l’état du fœtus. En soi c’est une bonne chose (comme tout ce qui augmente la liberté de décision des femmes enceintes ou des couples), mais cela conduit en Suisse à l’élimination de neuf fœtus sur dix touchés par la trisomie 21. Une découverte paradoxale : le droit à la contraception acquis de dure lutte se transforme dans la pratique en une forme de sélection. Ce paradoxe est d’autant plus insupportable que la troupe HORA remporte les plus grands prix de la scène théâtrale européenne. Mis au ban pendant la grossesse, célébrés dans l’art. Nous avons fait de cette contradiction (ou de la dialectique de la liberté) le thème des Les 120 journées de Sodome .

    Milo Rau est metteur en scène de théâtre et de cinéma. Il est aussi directeur artistique de l’IIPM (International Institute of Political Murder).
  • Anne Zohra Berrached Photo (détail): © Anne Zohra Berrached

    ANNE ZOHRA BERRACHED : « BEAUCOUP DE PERSONNES CONCERNEES ONT HONTE ET SE TAISENT »

    Avortements tardifs, gestation pour autrui, dons d’ovules : peu de branches de la médecine se sont développées de façon aussi fulgurante ces dernières années que celle de la procréation. Il est aujourd’hui possible de déplacer le lieu de la grossesse et de faire porter par une autre un ovule déjà fécondé. Les femmes peuvent mettre au monde des enfants qui leur sont inconnus sur le plan biologique. De la même façon que pour l’avortement tardif, ces sujets sont à peine discutés dans l’opinion publique allemande. Beaucoup de personnes concernées éprouvent de la honte et se taisent. Je souhaiterais que les gens s’intéressent ensemble à ces thèmes, sans jugement, et qu’ils se demandent au contraire quelles peurs, quels soucis et quels souhaits se cachent derrière cela. Dans mes propres travaux, j’essaie, sans moraliser, de rendre ces individus et leurs histoires plus proches de nous.

    Anne Zohra Berrached est metteuse en scène et auteure des scénarios des films 24 semaines et Deux mères.
  • Moira Zoitl Photo (détail): © Moira Zoitl

    MOIRA ZOITL : « LE REGARD SUR LE FŒTUS A CHANGE »

    Mon travail intitulé Misplaced Concreteness fait référence à la « concrétion en un lieu différent, dé-placé », évoquée par l’historienne de la médecine Barbara Duden ; c’est aussi une allusion aux photographies de Lennart Nilsson sur la naissance de la vie. Ses photos du fœtus dans l’utérus ont été publiées en 1965 dans le magazine Life : avec des moyens photographiques, il n’était alors pas possible de reproduire un fœtus et il créa par le biais du montage une représentation interprétative de la réalité. Le fœtus « en portrait » est ainsi transformé dès le stade prénatal en un être vivant qu’il faut protéger. Ce regard en évolution sur le fœtus a légitimé le fait de contrôler toujours plus la grossesse au niveau étatique. La propre responsabilité de chaque femme et sa propre perception des changements survenant dans son corps ont ainsi disparu de plus en plus.

    Moira Zoitl est artiste. Dans ses vidéos, elle s’intéresse aux objets rituels, aux images et aux représentations de la fertilité. Elle les a mis en relation avec le rapport au corps humain dans le domaine médical.