Future Perfect
Un scénario de rêve

Joseph Bacsu, Lliam Hildebrand et Adam Cormier © Photo (Licence CC BY-SA): Iron & Earth
© Photo (Licence CC BY-SA): Iron & Earth

Les gens de métier travaillant dans les sables bitumineux canadiens demandent à suivre une formation en énergie renouvelable. Ainsi, ils se positionnent en première ligne d’une industrie en plein essor, tout en cherchant  à réaliser une vision pour un avenir plus durable.

Durant les six années pendant lesquelles Lliam Hildebrand a travaillé dans les sables bitumineux d’Alberta, il a régulièrement abordé, sur l’heure du midi, un sujet qu’il pensait être tabou : l’énergie renouvelable. Toutefois, Hildebrand, un ouvrier soudeur et aciériste basé à Victoria en Colombie-Britannique, s’est rendu compte que de nombreux travailleurs, dont lui-même, gardaient toujours ce sujet à l’esprit.
 
« J’ai toujours été soucieux de l’environnement. Ainsi, travailler dans les sables bitumineux et contribuer aux changements climatiques ont toujours été une sorte de lutte personnelle », déclare Hildebrand. « Dans les conversations que j’avais avec les gens du métier là-bas, j’ai réalisé que c’était une expérience partagée... ils sont intéressés par l’innovation ainsi que la technologie et ils se soucient de l’avenir de la planète pour leurs enfants. »
 
Hildebrand a d’abord travaillé dans un atelier de métallurgie de l’acier à Victoria où il construisait des appareils à pression pour les sables bitumineux et des chargeurs de bateaux pour les terminaux à charbon.  plus tard, alors qu’il occupait un poste dans  une station météorologique pour un parc éolien, il a visionné le documentaire Une vérité qui dérange. Il compris que les gens du métier pourraient jouer un rôle clé dans la construction des infrastructures d’énergie renouvelable « Je me suis lancé dans des recherches afin de trouver comment faire fonctionner ces choses de manière synchronisée », dit-il.
 
Les conversations tenues sur l’heure du midi, combinées à l’atmosphère en Alberta — la chute des prix du pétrole a mené à des pertes d’emplois massives, tandis que le gouvernement provincial a introduit une nouvelle politique climatique — ont encouragé Hildebrand à agir.
 
En mars 2016, il a officiellement lancé Iron & Earth, un projet dirigé par des travailleurs visant à former les gens du métier aux énergies renouvelables. L’organisation part du principe que les travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière ont des compétences transférables et souhaitent prendre part à la construction d’une industrie énergétique plus verte au Canada. Pourquoi donc ne pas les aider à obtenir des formations supplémentaires pour s’associer à ce secteur en plein essor?   
 
« Il est temps pour le Canada de commencer à diversifier son réseau électrique », déclare Hildebrand, maintenant directeur administratif d’Iron & Earth. « Nous pouvons construire des produits dont nous sommes fiers et contribuer à la prévention du réchauffement climatique — et fournir au Canada une meilleure sécurité économique et une meilleure stabilité énergétique. »
 

Une vision partagée

L’organisation est dirigée par Hildebrand et quatre directeurs — tous du métier — qui ont travaillé ou travaillent en Alberta. Plus de 450 membres de différents corps de métiers ont rejoint Iron & Earth et ont exprimé leur intérêt pour les programmes de formation, incluant des chaudronniers, des électriciens, des tuyauteurs, des ferronniers et des ouvriers. 
 
Joseph Bacsu, un chaudronnier de troisième génération en Alberta, a eu beaucoup de conversations avec Hildebrand pendant l’heure du midi, et a finalement adhéré à sa vision. Bacsu a aussi reconnu qu’une transition vers l’énergie verte pourrait combler un besoin inhérent aux emplois liés au pétrole. Les cycles expansion-récession des sables bitumineux signifient que les travailleurs aspirent à un emploi constant. « Les gens veulent du travail, ils veulent être formés, et ils veulent être appelés dès que ces emplois [dans l’énergie renouvelable] sont disponibles. Cela va de soi », dit Bacsu.
 
Il est à présent directeur chez Iron & Earth et a vu de nombreux travailleurs, dont son père, 35 ans de métier, rejoindre l’organisation. « Les pensées [de mon père] sont les mêmes que les miennes », dit Bacsu. « Si je pouvais être quelque part à faire ce que je fais maintenant, tout en sachant que je participe à améliorer la Terre, pourquoi ne le ferais-je pas? »
 

Reformer les électriciens à travailler sur des projets solaires

Lors du lancement officiel d’Iron & Earth à Edmonton, Alberta, en mars dernier, l’organisation a appelé le gouvernement provincial à soutenir sa campagne de qualifications en énergie solaire, reformant 1 000 anciens électriciens du secteur des sables bitumineux en installateurs de technologies solaires. Hildebrand affirme que l’organisation a depuis rencontré différents membres du ministère du Développement économique et du Commerce, du ministère du Travail, et du ministère de l’Environnement et des Parcs du gouvernement provincial ainsi que du ministère de l’Environnement et du Changement climatique du gouvernement fédéral. 
 
Il est attendu de ces réunions qu’elles stimulent le soutien et le financement pour le travail initial d’Iron & Earth : dix projets d’énergie solaire à mener à bien dans dix secondaires d’Alberta, incluant l’installation de photovoltaïques, de chauffage solaire, l’optimisation et la rénovation énergétique, et une borne de recharge pour des véhicules électriques. 
 
Les gens du métier acceptés dans le programme de formation en énergie solaire passeront trois semaines à installer les systèmes dans une école secondaire. « Cela fournira une meilleure expérience d’apprentissage aux travailleurs qualifiés, et aidera à subventionner le coût des installations », déclare Hildebrand. Les dix projets initiaux serviront de test, permettant ainsi à l’équipe de développer un modèle à répliquer sur les 90 autres projets solaires, afin de terminer plus rapidement. Iron & Earth se voit travailler à l’avenir dans d’autres domaines, dont l’énergie éolienne, géothermique et de biomasse.
 

Les travailleurs ont une voix

D’autres initiatives sont également enclenchées. Bacsu a rencontré des représentants de l’ambassade d’Allemagne et espère faire le tour des coopératives d’énergie renouvelable dans ce pays. Un autre directeur chez Iron & Earth, l’électricien Adam Cormier, s’est rendu dans sa province natale de Terre-Neuve et a suscité un fort intérêt parmi les travailleurs qui font l’aller-retour entre leur domicile sur la côte est, et leur emploi dans les sables bitumineux d’Alberta.
 
Hildebrand espère que l’organisation contribuera à son « scénario de rêve » d’un jour avoir une économie d’énergie renouvelable florissante en Alberta et à travers tout le Canada. Il va falloir des travailleurs expérimentés pour en arriver là, et c’est ce sur quoi Hildebrand se concentre en ce moment.
 
Depuis bien trop longtemps, dit Hildebrand, les conversations autour de l’énergie renouvelable ont été polarisées. « Il s’agit toujours des emplois vs l’environnement », déclare-t-il. « En tant que travailleurs, nous avons réalisé depuis longtemps qu’il s’agit d’une fausse dichotomie, et nous ne souhaitons plus attendre que quelqu’un d’autre mène la conversation. Les travailleurs sont très enthousiastes à l’idée de finalement se faire entendre. »