Divertissement politique à la télé
« Satire et journalisme peuvent se compléter de façon productive »
À la télévision allemande, les émissions satiriques se tournent de plus en plus vers des sujets politiques. Mais, pour l’expert des médias Benedikt Porzelt, il est très difficile de les comparer à leurs modèles américains.
Monsieur Porzelt, certaines émissions satiriques sur la politique attirent davantage de téléspectateurs en Allemagne que les magazines d’actualité. La comédie fait-elle de la concurrence au journalisme classique ?
Ces émissions satiriques sur la politique ne relèvent bien sûr pas du journalisme mais du divertissement, même si elles s’inspirent, comme par exemple le Heute-Show, des actualités. On peut toutefois constater que de nombreuses émissions satiriques imitent fortement aujourd’hui le reportage d'information. Il en va au fond du commentaire de l’actualité sur un ton humoristique. Je dirais donc plutôt que satire et journalisme peuvent se compléter de manière productive. Il a été prouvé que des émissions comme Heute Show sont très appréciées du jeune public, en général plutôt attiré par les médias en ligne. Il existe des enquêtes qui nous viennent des États-Unis montrant que les émissions satiriques représentent là-bas une importante source d’information. On ne peut néanmoins pas appliquer aisément cette observation à l’Allemagne.
LA SATIRE AUX états-unis ET EN ALLEMAGNE
Quelles sont les différences ?Tout d’abord dans les émissions elles-mêmes. En Allemagne, si l’on considère les émissions les plus en vue comme Heute-Show, Die Anstalt, Neo-Magazin Royale et Extra 3, il s’agit d’émissions qui ne correspondent pas tout à fait à celles qui sont diffusées aux États-Unis. Là-bas, des comiques, comme Jon Stewart, qui ont commencé leur carrière dès le milieu des années 1990, ont mêlé comédie et faits réels. Lorsque Heute-Show a repris ce concept à ses débuts en 2009, il était complètement nouveau en Allemagne. Ici, nous avons eu pendant longtemps une stricte séparation entre la satire politique de haut niveau, représentée par les cabarets, et la comédie qui ne sert apparemment qu’à divertir. Aujourd’hui, on mélange ces deux styles avec plus ou moins de succès. Mais on ne peut tout de même pas comparer cela aux présentations de John Oliver dans Last Week Tonight with John Oliver.
Qu’est-ce que cette émission a de particulier ?
John Oliver et son équipe, composée de scripts et de chercheurs, réussissent à associer des faits, qui ont fait l’objet de recherches approfondies, à des gags en faisant en sorte que les faits ne soient pas déformés, même si alors on doit parfois sacrifier le rire. Les émissions allemandes cherchent certes à faire la même chose, mais elles y parviennent avec un succès modéré. Dans Heute-Show par exemple, on retrouve toujours des informations qui ont un potentiel de gags mais qui, pour de bonnes raisons, n’ont pas réussi à s’intégrer dans les actualités classiques. Et un programme très progressiste comme Neo Magazin Royale, qui attire l’attention sur Internet avec des sketchs intelligents, ne peut maintenir cette qualité le long de toute une émission.
MÉTACRITIQUE DU JOURNALISME
Le contexte médiatique est toutefois très différent en Allemagne et aux États-Unis.C’est exact. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, nous pouvons compter en Allemagne sur les informations des chaînes de service public qui ne subissent pas de pression pour vendre des gros titres. Du fait d’un mode d’information très populiste actuellement aux États-Unis, la satire y est désormais considérée comme « information d’opposition ». Ce type de « contre-information » est véritablement devenu, pour de plus en plus de téléspectateurs, une alternative importante aux reportages d'information présentés par les chaînes proches du pouvoir, comme Fox, qui parfois falsifient grossièrement les faits.
Vous avez parlé au début d’un échange productif entre la satire et le journalisme à la télévision allemande. Est-ce que vous pourriez développer davantage ?
La satire politique telle que la pratique Heute-Show est absolument liée au journalisme professionnel d’investigation. Sans le travail des émissions d’actualité classiques, et c’est ce que ne cessent de souligner les responsables de toutes les émissions satiriques, leur travail ne fonctionnerait pas. En même temps, la satire permet de faire une métacritique de l’information dans les médias. C’est extrêmement important pour le débat public, à une époque où sont de plus en plus critiquées les émissions d’information. À cela s’ajoute le fait que la satire fonctionne particulièrement bien dans les nouveaux médias et pour les groupes cibles jeunes. Les programmes classiques peuvent bien sûr aussi profiter de cela. Les émissions satiriques ont la possibilité de se référer, sur le mode du divertissement, à des reportages existants et idéalement de générer une plus grande attention pour un sujet particulier.
UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE SUR FOND SATIRIQUE
Aux États-Unis, les élections présidentielles ont eu lieu en novembre 2016 ; en Allemagne, les élections au Bundestag ont eu lieu en 2017. Quel rôle jouent les émissions satiriques dans de tels contextes ?Aux États-Unis, elles jouent aujourd’hui incontestablement un très grand rôle. Lors des élections présidentielles précédentes, des émissions comme le Daily Show ou Colbert Report jusqu’en 2014 s’étaient déjà avérées des sources d’information importantes. Des personnalités politiques de haut niveau, dont Barack Obama, utilisent leurs apparitions dans ces shows à des fins électorales. Elles peuvent s’y présenter sous un aspect non conventionnel et surtout, elles touchent un public jeune.
Les hommes politiques allemands l’ont-ils aujourd’hui également compris ?
Oui, pour les hommes politiques allemands aussi, les apparitions, dans Heute-Show par exemple, prennent de l’importance. Dès les élections de 2013, de nombreuses personnalités politiques ont cherché à participer à des émissions satiriques. Nous avons étudié ce phénomène avec beaucoup d’attention dans le cadre d’un vaste projet de recherche. La particularité de ces émissions réside dans le fait qu’on déroge aux us et coutumes en matière de communication. Et c’est en particulier aux politiques qu’on reproche souvent d’être enfermés dans des routines langagières, de ne pas être sincèreset de se cacher derrière de belles paroles. Dans un show satirique, ils ont une chance de casser cette image et de faire preuve d’autodérision, d’être drôles. Néanmoins, cela peut aussi s’avérer contre-productif s’ils le font maladroitement.
Dr. Benedikt Porzelt fait des recherches depuis plusieurs années, en tant qu’expert des médias, sur la manière dont peut être mise en scène la politique de façon divertissante. En 2013, Benedikt Porzelt a soutenu sa thèse de doctorat qui a pour sujet l’étude empirique de la communication humoristique et son potentiel de force critique publique.