Entretien avec Dennis Vetter et Mathieu Li-Goyette
Les joies du débat
Dennis Vetter est critique de cinéma, modérateur et commissaire de films, ainsi que cofondateur de Woche der Kritik à Berlin, la Semaine de la critique berlinoise. Depuis 2020, il est directeur artistique et fait parti du collectif de commissaires du festival. Mathieu Li-Goyette est un critique de cinéma basé à Montréal, commissaire de films et rédacteur en chef du magazine de cinéma en ligne « Panorama-cinéma ».
De Tatiana Braun
2024 célèbre le 10e anniversaire de Woche der Kritik à Berlin. Comment le festival s'est-il développé ?
Dennis Vetter (DV) : Sur le plan structurel, le festival a été clairement défini dès le début et n'a pas beaucoup changé depuis. Nous n'avons jamais eu l'ambition de créer un festival basé sur la croissance. Pour nous, la concentration était le point le plus important. Notre objectif était de créer un espace où les gens se rencontrent, échangent et réfléchissent ensemble au cinéma, à la culture des festivals, à la Berlinale et à sa politique. Dès la première année de laWoche der Kritik, le festival et son concept ont été très bien acceptés, le public était au rendez-vous et y a participé à nos discussions.
Y a-t-il des choses que vous avez modifiées au fil des ans ?
DV : Au cours du temps, nous avons explorés de nouveaux formats pour parler du cinéma. Nous avons essayé de remettre en question les routines des questions-réponses classiques, qui sont souvent très standardisées, avec un temps de parole très court et qui se concentrent souvent sur le.la réalisateur.trice.
Tous les programmes de la Woche der Kritik sont suivis d'une discussion avec les réalisateurs.trices et/ou les invité.e.s, qui n'ont parfois rien à voir avec les films ou le cinéma en général. Comment votre approche de ces discussions a-t-elle évolué au fil des ans ?
DV : En invitant des personnes qui n'ont aucun lien avec les films, nous voulons remettre en question la façon dont les réalisateurs.trices sont positionné.e.s dans les discussions autour des films. C'est une manière d'établir la confiance avec les personnes qui participent à nos discussions. Pour cette raison, nous avons essayé de nous éloigner de l'idée de provoquer un combat pour remettre en question les positions de chacun.e. Désormais, nous basons nos discussions sur la confiance et sur l'intérêt mutuel pour les pensées et les perspectives de chacun.e sur les films. Pour ce faire, nous essayons de travailler nos invité.e.s dès le début de la concrétisation de notre programmation.
Quel est l'impact de ces principes sur votre commissariat du festival ?
DV : Nous choisissons des films avec l'idée de lancer une discussion avec nos invité.e.s et notre public. En rassemblant des films qui proviennent de différentes manières de réaliser des films ou qui apportent d'autres esthétiques à la discussion, nous cherchons à créer un dialogue entre les films eux-mêmes. Nous essayons de trouver des films qui ont une position esthétique forte, intéressante et engageante sur laquelle nous voulons réfléchir ensemble. Et cela peut aller jusqu'à s'y opposer.
Vous avez mentionné que, dans les premières années du festival, vous cherchiez le débat [ dans le sens d'un «combat» - éd ]. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
DV : Merci de poser la question, car c'est également très important pour nous ! Cela fait partie de l'autodéfinition de la Semaine de la critique. Accepter qu'il y ait des désaccords entre les invité.e.s sur scène et le public et qu'il puisse y avoir des réserves ou des doutes sur les films n'est pas quelque chose que les grands festivals ou les événements dirigés par l'industrie font habituellement. Cependant, nous voulons consciemment reconnaître les désaccords et favoriser des échanges honnêtes. Le terme « débat », du moins en Allemagne, n'est pas nécessairement positif et tend à rendre certains de nos invité.e.s un peu inquiets lorsqu'ielles l'entendent. Dans la culture cinématographique et festivalière en particulier, les réactions honnêtes sont plutôt retenues ; ce n'est pas un environnement dans lequel les artistes ont la possibilité de se développer. À la Woche der Kritik, nous encourageons activement les discussions avec le public, car de nombreux spectateurs.trices ne se sentent pas à l'aise lorsqu'il s'agit de parler de films.
Nous voulons consciemment reconnaître les désaccords et favoriser des échanges honnêtes.
Dennis Vetter
Qu'en est-il de la culture du débat au Québec ?
Mathieu Li-Goyette (MLG) : Nous n'avons pas de culture du débat comparable au Québec. Nous aimons la façon anglo-saxonne de faire les choses en douceur sans être trop sévère. Je crois que je n'ai jamais vu de débat ou de questions-réponses plus agités sur un film au Québec.
Comme vous encouragez les débats autour des films que vous sélectionnez et que vous cherchez à confronter les différentes positions des films, mais aussi les cinéastes, les critiques et le public, je m'interroge sur votre processus de sélection. Comment se déroulent vos débats internes autour de la sélection des films à la Woche der Kritik ? Et comment vous assurez-vous que votre sélection est diversifiée et inclusive ?
DV : Oui, nous avons beaucoup de débats sur notre sélection au sein de notre équipe ! La sélection des films à la Semaine de la critique est effectuée par un comité de critiques de cinéma international. Mathieu est un ancien membre de cette commission, c'est ainsi que nous nous sommes connus. Nous essayons de faire appel à des critiques issus de différentes cultures cinématographiques afin de créer une sélection hétérogène qui représente différentes esthétiques ou conceptions du cinéma. Une sélection hétérogène n'est pas seulement liée à la politique, mais je l'envisage sous un angle intersectionnel. L'équilibre entre les genres est un aspect que nous prenons en compte lorsque nous créons notre programme, mais il y a aussi beaucoup d'autres aspects comme, bien sûr, l'origine culturelle des cinéastes ou les différents contextes de production. Les réalités dont sont issus les films. Oui, et les mêmes principes s'appliquent bien sûr aux invité.e.s que nous convions.
Nous ne choisissons pas les films en fonction de leur actualité. Nous réunissons des films qui entament un dialogue entre eux. Nous n'acceptons pas de soumissions, mais nous recherchons activement des films. Nous contactons des personnes issues de la culture cinématographique et d'ailleurs et leur demandons quels sont les films qui, selon elles, devraient être discutés en ce moment. C'est un système basé sur la recommandation et le dialogue. Ensuite, nous avons une équipe berlinoise de travailleurs culturels, d'organisateurs.trices de festivals et de modérateurs.trices qui réagissent face à cette sélection de films et qui créent des débats autour de ces films. Ensemble, nous créons des titres pour les programmes, qui - nous l'espérons - sont déjà des amorces de conversation.
Mathieu, vous avez fait partie du comité de sélection de la Woche der Kritik en 2018 : Comment cela s'est-il passé pour vous et comment les débats se sont-ils déroulés pour vous ?
MLG : C'était une expérience révolutionnaire pour moi ! En 2018, j'avais déjà été commissaire de quelques programmes, principalement des rétrospectives pour la Cinémathèque québécoise, mais seulement au niveau local. C'était la première fois que quelqu'un me remettait une liste de 150 films que je devais regarder pour écrire de petites bribes d'opinion à leur sujet, puis débattre, débattre, débattre de chaque film avec les autres membres du comité. Je pense que l'une des choses qui m'a vraiment séduite lors de la Woche der Kritik est cet entrelacement de différents styles de productions, de genres cinématographiques et de propositions esthétiques. Pour moi, c'est un excellent moyen, par le biais du débat, de se débarrasser des grands discours et de tout l'élitisme qui entoure les compétitions des grands festivals. C'est une façon de voir le cinéma comme quelque chose d'intrinsèquement hétérogène.
Il y a une sorte de vide dans la programmation à Montréal
Vous avez mentionné que vous aviez reçu une liste de films à visionner pour la sélection, mais en tant que membre du comité de sélection de la Woche der Kritik, aviez-vous la possibilité de proposer également des films ?MLG : J'ai proposé des films québécois parce que c'était le seul milieu cinématographique d'avant-garde que je connaissais assez bien. J'ai notamment proposé un film du cinéaste montréalais Olivier Godin. Son film avait été sélectionné et c'était une des premières fois qu'un de ses films était projeté en dehors du Québec. Je pense que cela a vraiment été bénéfique pour sa carrière à l'étranger mais aussi au Québec. Même pour moi, en tant que critique de cinéma, il y a eu un avant et un après avoir participé à la Woche der Kritik. Cette expérience m'a transformé et m'a donné confiance en moi.
Comment la Woche der Kritik a-t-elle changé votre approche de la critique de cinéma et de la programmation cinématographique à Montréal ?
MLG : C'était la première fois que je voyageais en dehors du Québec dans ma fonction de critique de cinéma et cela m'a fait sentir que je pouvais avoir une place dans le milieu et contribuer de manière durable. Cette expérience a eu un impact profond sur mon travail à Montréal et sur mon approche à notre magazine cinématographique Panorama-cinéma. Elle nous a aidés à devenir ambitieux et à demander des subventions publiques. Aujourd'hui, la revue est appuyée par des subventions, nous pouvons payer nos critiques, ce qui n'a pas été le cas pendant très longtemps.
Le concept de la Semaine de la critique n'a pas seulement été une expérience transformatrice pour moi personnellement, mais il m'a montré que nous pouvons forger quelque chose à partir des discours autour des films, que nous pouvons construire quelque chose à partir de l'échange intellectuel et culturel, ce qui est très inspirant !
Qu'est-ce qui vous motive, tous le deux, à organiser une Semaine de la critique ? Quelle était votre motivation au tout début de la Woche der Kritik et comment cela a-t-il évolué au fil des ans ? Et qu'est-ce qui vous pousse à créer une toute nouvelle Semaine de la Critique à Montréal ?
MLG : Après l'expérience de la Woche der Kritik en 2018, nous sommes allés à la Berlinale et au Festival international du film de Rotterdam (IFFR) et nous avons réalisé combien de films et de cinéastes intéressants nous n'avions jamais entendu parler parce qu'ils n'avaient jamais été montrés à Montréal ou au Québec. Nous avons pris conscience qu'il se passait tellement de choses à l'extérieur qu'on ne nous montrait jamais. Nous nous sommes donc interrogés : Pourquoi en est-il ainsi ? Il existe un grand écosystème cinématographique au Québec et à Montréal. Il est bien financé et l'industrie du cinéma québécois produit environ une cinquantaine de long-métrages par an, ce qui est beaucoup par rapport à la population du Québec [ 8,5 millions de personnes en 2021. éd.].
Nous avons une industrie cinématographique locale très vivante et au moins quatre ou cinq festivals de films bien financés à Montréal. Cependant, l'industrie des festivals semble de plus en plus réticente à prendre des risques et s'intéresse surtout à la vente de billets. Parallèlement, nous avons perdu de nombreux cinémas d'art et d'essai, ainsi que de nombreux distributeurs indépendants à Montréal et au Québec. De plus, les distributeurs locaux n’ont plus les reins qu’ils avaient avant. L'espace pour projeter des films indépendants, moins orientés vers le grand public est devenu de plus en plus étroit à Montréal et au Québec au cours des dix dernières années. En 2019, un de mes collègues a vu Mariano Llinás La Flor à Rotterdam. Le film était incroyable ! Nous voulions le présenter à Montréal, mais aucun festival ne l'a sélectionné. Je veux dire par là que c'est le travail d'un festival de programmer ce genre de film, même s'il s'agit d'un film de 14 heures ! On ne peut pas s'attendre à ce que les distributeurs misent sur ce genre de film. Mais les festivals locaux ne l'ont pas fait. Panorama-cinéma l'a finalement co-présenté en partenariat avec six ou sept organismes différents qui ont travaillé ensemble pour présenter le film et faire venir Mariano Llinás à Montréal pendant une semaine. Cela a demandé beaucoup d'efforts, mais le jeu en valait la chandelle et les salles étaient pleines, les gens étaient heureux. En fin de compte, cela m'a fait réaliser qu'il y avait un vide dans la programmation à Montréal. Avec la Semaine de la Critique, nous voulons élargir le milieu quelque peu traditionnel de la cinéphilie et du cinéma à Montréal. On souhaite répondre à des écueils qui sont systémiques, parce qu’on pense que les critiques de cinéma sont bien placés pour le faire.
DV : En tant que critiques de cinéma, nous voulions non seulement réagir à la culture cinématographique telle qu'elle est, mais aussi créer activement des espaces alternatifs au seins desquels d'autres types de conversations sur le cinéma peuvent avoir lieu et dans lesquels les films peuvent être appréciés d'une manière différente. Nous voulions que les critiques deviennent visibles en tant qu'intervenant.e.s présentant leurs positions sur scène.
Avec le recul de ces dix dernières années, je pense que le maintien de ces espaces demande du temps, se soin et de l'énergie. Mais les réactions de nos invité.e.s nous ont montré à quel point ce type d'espace est apprécié. Cependant, nous avons dû apprendre beaucoup de choses lorsqu'il s'est agi de faciliter les discussions de différentes manières.
Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Quels sont les apprentisages les plus importants que vous avez tirés de la promotion d'une culture de débat différente ?
DV : Les retours du public et de nos collaborateurs.trices ainsi que l'expérience des dix dernières années nous encouragent à poursuivre ce projet et à le maintenir. Pour l'avenir, nous espérons continuer à apprendre avec nos invité.e.s et faire évoluer ce festival en tant que plateforme et à créer un espace sécuritaire dans lequel les échanges se font dans la confiance et l'honnêteté. Nous souhaitons montrer aux gens que remettre en question un film ne signifie pas saboter le.la cinéaste, mais plutôt soutenir son travail de manière honnête et lui permettre de grandir en ayant des conversations sincères. Il faut beaucoup de temps pour créer ce genre d'espace, car pour instaurer la confiance au sein de l'industrie, il faut investir beaucoup d'énergie et avoir des conversations parfois difficiles. Et, oui, certains de nos débats n'ont pas fonctionné et certain.e.s de nos invité.e.s ont été frustré.e.s ou déconcerté.e.s par le format. Mais nous avions besoin de tout ce temps pour apprendre, évoluer et mieux comprendre l'industrie, pour être en mesure de parler ouvertement - et d'une manière différente - de cinéma. Le milieu dans lequel évolue la Semaine de la critique de Berlin change constamment, tout comme nos motivations et nos perspectives. En ce sens, le simple fait d'organiser une Semaine de la critique à Berlin est significatif.
À Berlin, il y a la Berlinale et généralement,les Semaines de critiques les plus préstigieuses, comme à Cannes ou à Venise, sont liées à des festivals majeurs avec lesquels elles entretiennent une sorte de dialogue - plus ou moins critique. Mathieu, comme votre festival se déroulera à Montréal en janvier 2025...
MLG (rires) : C'est prévu !
- Quel est le festival monolithe local que vous essayez de remettre en question ou au moins de chatouiller un peu ?
MLG : Il n'y a pas un festival en particulier que nous voulons critiquer ou cibler. Nous sommes déterminés à montrer des documentaires, des films de genre, des films indépendants, tout ce qui peut s'intégrer dans un programme cohérent et susciter des discussions intéressantes. Nous voulons travailler pour les films et les cinéastes plutôt que d'imposer un agenda politique visé à ciritiquer les festivals de Montréal.
À part les tempêtes de neige en janvier et le fait que la Semaine de la Critique de Montréal ne sera pas liée à un festival, qu'est-ce qui la rendra spéciale ?
MLG : Je pense que l'une des grandes différences réside dans le fait qu'elle est initiée par un magazine de cinéma et non par une association de critiques. Forcément, cela se ressentira dans la programmation.[ Excepté la Semaine organisée par l’Association des critiques de cinéma de Chicago, qui opère sur un modèle différent et plus localisée, la Semaine de la critique de Montréal sera à peu près la seule Semaine de la critique en Amérique du Nord. éd. ]
Réseaux de solidarité et de collaboration
Comment l'idée de créer un festival de cinéma s'est-elle concrétisée ?MLG : Pendant de nombreuses années, nous avons établi des listes classiques des meilleurs films de l'année, et chaque année, c'était l'article le plus cliqué et le plus discuté de notre magazine. Ce n'était pas un top 10, mais un top 30 que nous faisions et contrairement à d'autres magazines de cinéma au Québec, nous y incluiont beaucoup de films qui n'avaient jamais été montrés ici. C'était juste pour dire à nos lecteurs.trices : voici 15 films extraordinaires, que vous pouvez voir dans les cinémas locaux, mais il y a aussi ces 15 autres films que vous devriez noter et mettre sur votre radar. Cela fait plus de dix ans que nous établissons ces listes et nous les avons toujours publiées en janvier. Je pense donc que le fait de fixer la date à janvier correspond assez bien à la façon dont nous structurons notre travail et dont nous réfléchissons aux films en tant qu'équipe éditoriale, en cherchant chaque fois la meilleure manière de cadrer notre vue d’ensemble sur l’année précédente.
Dennis, est-ce que vous et/ou la Woche der Kritikêtes impliqués dans ce projet de création d'une nouvelle Semaine de la Critique à Montréal ? Et si oui, comment ?
DV : La décision revient à Mathieu et à son équipe ! Pour l'instant, nous échangeons des idées et je ne connais pas encore tous les détails de leur projet.
Nous venons d'assister à un rassemblement d'initiatives internationales de critiques de cinéma, qui était le premier rassemblement de ce genre dont j'ai entendu parler jusqu'à présent. Je pense que ces réseaux de solidarité, de collaboration et de passion partagée sont très importants, surtout lorsque le travail ne peut pas être financé comme il le devrait.
Mathieu, comment sélectionnez-vous les films pour votre première édition en janvier ? Allez-vous procéder comme pour la Semaine de la critique berlinoise ? Y a-t-il une équipe de base et allez-vous également inviter des commissaires externes ?
MLG : En fait, nous ne savions pas vraiment à quoi nous attendre, mais le fait de parler de nos projets de festival pour Montréal avec d'autres critiques de cinéma dans un bar de Berlin a rendu les choses un peu plus concrètes. Pour l'instant, nous prévoyons d'avoir un comité de programmation composé de cinq ou six personnes différentes. L'équipe de base sera composée de deux personnes, dont un membre de notre magazine et une autre personne qui changera chaque année. J'ai toujours voulu inviter des personnes de notre magazine ou d'autres magazines à s'occuper de la programmation, parce qu'il y a très peu d'occasions d'apprendre la programmation en tant que critique de cinéma. Et je pense que lorsque vous êtes critique de cinéma et que vous commencez à faire de la programmation, cela change totalement votre façon de voir les films. Vous comprenez beaucoup mieux comment l'industrie fonctionne, comment les films circulent. Enfin, je crois que cela fait de nous de meilleurs critiques de cinéma. J'aimerais également conserver un siège pour l'association des critiques de cinéma du Québec et deux autres sièges pour des personnes issues d'un contexte international, afin d'assurer une sélection hétérogène et diversifiée.
Avez-vous déjà en tête des personnes ou des régions spécifiques que vous aimeriez inviter ou examiner de plus près ?
MLG : Nous avons encore un peu de temps pour nous préparer, mais déjà on peut dire qu'Ariel Esteban Cayer, qui était auparavant programmateur au Festival Fantasia, et qui codirige l’étiquette Blu-ray Kani Releasing, va être le directeur de la programmation. Et, bien sûr, j'aimerais que Dennis participe d'une manière ou d'une autre...
Pour en revenir à ce que vous avez dit précédemment sur le fait que les Québécois sont un peu retenus et ne veulent pas trop débattre : Quel sera votre plan pour changer cela ? Avez-vous une idée sur la façon de les inciter à participer ?
MLG : Je veux que nos questions-réponses soient un espace ouvert, invitant tout le monde, même les gens qui ne sont pas nécessairement familiers avec le cinéma. Je veux absolument éviter d'avoir un événement élitiste, et je pense qu'il y a de nombreuses façons d'ouvrir une discussion. L'une des idées que nous avons eues était de faire des questions-réponses prospectives. Vous distribuez un petit morceau de papier à tous ceux qui entrent dans la salle de projection, et vous leur demandez d'écrire une question, leurs attentes ou leurs espoirs à propos du film sur le papier, puis vous prenez tous les papiers, vous les mettez dans un sac, et après le film, vous faites votre débat uniquement sur la base de ces petits bouts de papier.
Dennis, avez-vous déjà essayé cette méthode avec les petites notes à Woche der Kritik?
DV : Non, c'est nouveau pour moi !
C'est une excellente idée d'abaisser la barre, d'autant plus que les gens associent la critique cinématographique à une sorte d'élite culturelle qui semble très éloquente mais en même temps difficile et inaccessible.
MLG : J'imagine que ce petit jeu avec les papiers pourrait adoucir un peu les choses, il pourrait faire disparaître la peur de poser des questions même difficiles et les invité.s ne le prendront pas personnellement, parce que toute la configuration rend ces questions préliminaires en quelque sorte innocentes. C'est un exemple, mais nous voulons essayer des choses pour offrir une entrée en douceur dans la culture du débat autour du film, mais sans la rendre inintéressante ou trop facile en même temps.
J'adore ça !
MLG : L'on efface, en quelque sorte, la peur de poser une question stupide, parce que toutes les questions sont potentiellement stupides dans ce scénario, puisque personne n'a encore regardé le film.
Je pense que c'est une chose amusante à faire, qui permette de creuser des questions comme le hype autour d’un film. Cela contrecarre la tendance actuelle á écrire sur les films - que ce soit dans un contexte professionnel ou sur Letterboxd [Letterboxd est un service de catalogage social en ligne - éd. ] - en se basant uniquement sur nos attentes et en alimentant l'intérêt médiatique autour d'un film. Honnêtement, la machine à faire du hype est quelque chose que je crains et que je déteste, mais que je trouve aussi très fascinant parce qu'il existe à l'intersection du marketing cinématographique, de l'auteurisme, de l'économie de l'attention et des médias sociaux. C'est comme un gros nuage autour d'un film et je me demande comment nous pouvons le déconstruire pour mieux en discuter.
Comment choisirez-vous vos invité.e.s pour vos discussions sur les films ?
MLG : C'est une bonne question ! Je ne sais pas comment ils font à la Semaine de la critique de Berlin, car la programmation est toujours très fascinante et originale, mais nous voulons absolument des invité.e.s intéressant.e.s pour stimuler des discussions passionnantes. L'un des intervenants de la conférence sur les questions-réponses d'il y a quelques jours, Jens Geiger, je crois, du Filmfest Hamburg, fait cette chose...
DV : Cinephiles Quartett. - Cinephile Quartett.
MLG : Oui, c'est ça ! L'idée derrière ce projet est d'inviter quatre personnes différentes qui ne viennent pas du tout du domaine du cinéma, mais qui sont des spécialistes ou des personnes connues dans leurs domaines respectifs, que ce soit des musiciens, des poètes...
DV : ...ou des professeur.e.s de sport ! Je crois qu'il a parlé d'un entraîneur de football.
MLG : Oui, c'est une bonne idée de mélanger avec les sports ! Je rêve en couleurs, mais imaginez que nous fassions un programme sur la compétitivité et que nous invitions un joueur de l'équipe de hockey des Canadiens de Montréal à participer à une des discussion - la salle serait pleine et le public tellement différent. Ce serait intéressant de croiser ces expériences, ces idées et ces pensées au cours d'une discussion !
Pourriez-vous nous parler un peu de l'importance du commissariat et de l'acte d'ouvrir des espaces et de faciliter les discussions qui peuvent aider un public à se forger une opinion sur les films, sur la culture visuelle et sur les images en mouvement en général ? Surtout à notre époque où nous sommes entourés d'images en mouvement en permanence.
DV : Le travail de commissaire est souvent mesuré à l'aune de ses résultats, mais je pense que la plateforme que nous essayons de créer à la Woche der Kritik va au-delà du programme et considère la culture cinématographique comme un écosystème dans lequel il y a beaucoup de travail - invisible. Je pense qu'il est très important de rendre compte de ce travail. Cependant, il est compliqué de résumer la manière d'aborder la culture visuelle de nos jours, car je pense qu'il s'agit d'une question de différentes générations de publics, de commissaires et de cinéastes avec leurs différentes politiques qui s'affrontent ici. Dans ce contexte, il devient très difficile de parler de notre relation aux images. Je pense aussi que l'inclusion de différentes générations dans les dialogues est quelque chose de très rare actuellement. Mathieu, tu parlais de créer un espace qui soit inclusif, et qui invite des publics qui ne sont pas nécessairement familiers avec le cinéma. En fait, je crois que l'espace cinématographique est s'y prête facilement aux conversations inclusives. Sa logique est très différente de celle des espaces d'art et des galeries, par exemple, qui sont souvent très classistes et exclusifs et semblent inaccessibles à de nombreuses personnes. Un cinéma est un espace qui rassemble de nombreux publics différents et présente également une grande variété de politiques à l'écran. Je crois fermement que le cinéma est un espace de rassemblement dans nos sociétés et un espace très démocratique de surcroît !
MLG : Il est difficile d'ajouter quelque chose à cela, mais je vais essayer. Je pense que nous avons parfois l'impression qu'il n'y a qu'une seule conversation principale sur le cinéma au cours d'une année ou autour d'un film spécifique. L'une des premières étapes pour ouvrir le discours autour du cinéma et pour faciliter les débats est de briser cette illusion qu'il n'existe qu'une seule conversation ou qu'un seul discours sur un film.
DV : Je suis tout à fait d'accord !
MLG : Nous l'avons vu l'année passée, par exemple avec des films comme Barbie et Oppenheimer, qui étaient si polarisants de nombreuses façons - intéressantes. Pendant toute une année, nous n'avons parlé que de ces deux films et il fallait choisir un camp. On le voit souvent sur Letterboxd, l'application a participé à cette polarisation. Letterboxd est devenu, au courant de ces deux dernières années, de moins en moins un espace d'échange, de découvertes cinématographiques et de listes, mais de plus en plus une sorte d'espace Twitter bizarre où l'on se contente d'une phrase lapidaire pour dénigrer le film ou dire que c'est un chef-d'œuvre. Je suppose que cette évolution suit le même schéma que notre société, où le discours politique est de plus en plus axé sur la polarisation et la création d'un public. Dans notre dernier dossier en ligne, il y a un super texte sur l'art du débat et la salsa queer...
DV : C'est de Heidi Salaverrìa !
[ Heidi Salaverrìa : Le courage de s'adresser à l'inconnu ou ce que la Salsa queer peut apporter à la culture du débat. - éd. ].
MLG : Oui, c'est un excellent article sur l'importance de ne pas rester au milieu et dans l'indifférence, mais d'apprendre à discuter et à débattre, tout en reconnaissant l'autre, en montrant de l'empathie pour son opinion, puis en suivant une ligne floue entre les deux points de vues opposant, sans vouloir gagner la guerre ou humilier l'autre. - Je pense que les discours en ligne et surtout surLetterboxd sont moins des forums d'échange qu'ils auraient pu l'être ou qu'ils l'ont été auparavant. L'une des principales raisons de se concentrer sur les conversations en direct avec de vraies personnes dans une même pièce et de ne pas se cacher derrière des pseudonymes est de reconnaître la nécessité d'essayer de maintenir ces débats nuancés.
-
À propos de la Woche der Kritik (Semaine de la critique) de Berlin
La Woche der Kritik est un festival de cinéma avec un programme de soutien qui se tient chaque année à Berlin depuis 2015 et qui coïncide avec le Festival International du Film de Berlin - la Berlinale. Pendant sept jours consécutifs, un film principal est projeté, qui est lié à un sujet esthétique ou politico-culturel et donne l'occasion d'une discussion ultérieure.
Le festival a été fondé par des représentants de l'Association des critiques de cinéma allemands (VDFK).
Page d'accueil : wochederkritik.de
À propos de « Panorama-cinéma »
Panorama-cinéma est un magazine en ligne dédié à la promotion de la culture cinématographique et des nouveaux médias à travers une approche critique et essayiste. Sa ligne éditoriale est alimentée par une variété de sujets et s'efforce de saisir la nature des expériences et des points de vue cinématographiques à travers une écriture sensible et articulée. Ses activités éditoriales se concentrent sur les questions liées aux modalités changeantes du langage cinématographique et aux réalités intermédiatiques qui bouleversent les conceptions les plus conventionnelles du cinéma. La revue assure également la production et la publication d'ouvrages collectifs sur le cinéma, qu'elle distribue et vend. À l'affût des nouveaux enjeux de l'image en mouvement, Panorama-cinéma contribue activement à l'environnement cinématographique montréalais en organisant des projections de films indépendants et des rétrospectives avec des partenaires locaux tels que la Cinémathèque québécoise ou le Goethe-Institut.
Page d'accueil : panorama-cinema.com