Olivia Vieweg
Littérature accidentelle
La dessinatrice de bande dessinée Olivia Vieweg veut divertir, aussi n’hésite-t-elle pas parfois à montrer ses personnages aux prises avec des zombies. Elle mise sur la femme forte, sur des décors de l’Allemagne de l’Est et sur la grande valeur de l’amitié. Et elle démontre que le divertissement n’est pas forcément apolitique.
De Viola Kiel
Derrière le canapé aux lignes arrondies baroquisantes du salon d’Olivia Vieweg sont accrochées, au mur couleur orange, des photos. L’une montre Spock, le Premier Officier à bord du vaisseau spatial Enterprise : Vieweg est une fan passionnée de Star Trek. C’est dans cette série télévisée qu’elle a trouvé le sujet qui est au coeur de son travail : l’amitié. Tout comme l’équipage d’Enterprise, ses personnages doivent affronter l’adversité de leur entourage : là c’est l’espace, ici c’est l’Allemagne de l’Est. La clef du succès, selon elle, est la solidarité. Mais avant tout, il faut que cela soit amusant.
La passion de Vieweg pour les bandes dessinées débute avec la collection des Lustige Taschenbücher (les BD Walt Disney). Plus tard elle est fascinée par le style des mangas japonais. Elle écrit très tôt des histoires de son cru qui paraîtront sous forme de recueils et qui seront éditées notamment par le Schwarzer Turm Verlag alors qu’elle est encore écolière. Parce qu’en Allemagne - à la différence de la France - on ne peut pas faire d’études de dessinateur de BD, elle opte, une fois l’école terminée, pour un cursus en communication visuelle à la Bauhaus-Universität de Weimar. Son style se serait à nouveau occidentalisé sans effacer pour autant son admiration pour la dynamique narrative des mangas. En 2012 elle remet son mémoire de fin d’études universitaires, la bande dessinée Endzeit (Fin des temps) : c’est l’histoire de deux jeunes femmes qui se voient confrontées à des adversaires bien particuliers.
Une fois ses études universitaires terminées, elle travaille comme illustratrice de livres d’enfants ou dessinatrice de publicités et ses aventures de jeunes héroïnes et jeunes héros font régulièrement parler d’elle sur la scène de la BD allemande. Vieweg appelle son genre des récits Coming-of-Age. En 2013 paraît l’adaptation en bande dessinée du grand classique de Mark Twain Huckleberry Finn : la graphiste transporte l’action du Mississippi à Halle-sur-Saale, l’esclave Jim devient Jin, une jeune Asiatique contrainte à la prostitution. Le Huck Finn de Vieweg et Jin échafaudent un plan : sur un radeau ils vont se laisser porter jusqu’à Hambourg par les courants de la Saale et de l’Elbe. Vieweg dessine en traits rapides, certains tableaux donnent l’impression d’esquisses. En très peu d’indices, elle parvient à saisir avec authenticité les émotions de ses personnages.
HORREUR ET DIVERTISSEMENT
Un an plus tard, Vieweg raconte dans Antoinette kehrt zurück (Le retour d’Antoinette) l’histoire d’une femme qui petite fille a été victime d’intimidation. Après de nombreuses années, elle retourne dans le Harz, berceau de son enfance, pour se venger de ses tortionnaires. Cette fois encore, Vieweg n’hésite pas à développer pour un jeune public des sujets sombres : ses livres évoquent avec nonchalance et sans détour le harcèlement, la dépression, le suicide, l’alcoolisme, la prostitution et la violence. Et puis après tout, on a bien le droit de revenir à des choses plus joyeuses : le roman graphique Bin ich blöd oder was?! (Est-ce que je suis idiot ou quoi?!) - qui suit Mari, une fille très sûre d’elle, dans une sortie scolaire - reste toujours, aux dires de Vieweg, un de ses livres préférés.
Le succès ne se fait pas attendre et à partir de 2014 Vieweg fait régulièrement des bandes dessinées pour le quotidien Der Tagesspiegel. Et puis elle s’ouvre de nouveaux horizons : la graphiste participe au célèbre atelier de formation de scénaristes de Munich où elle réalise une nouvelle version de son mémoire de fin d’études Endzeit (Fin des temps). Le scénario est adapté au cinéma en 2017 et le lancement cinématographique est prévu pour 2019. Et puis Vieweg fait paraître la version du scénario en roman graphique, un livre de presque 300 pages.
Endzeit est une saga apocalyptique de zombies : voilà deux ans que la terre a été envahie par des zombies; comment et pourquoi, Vieweg ne voit pas la nécessité de le dire aux lecteurs. Seules les villes de Weimar et Jena sont protégées de ces hordes meurtrières par une clôture de sécurité. Les deux jeunes femmes Vivi et Eva, qui, malencontreusement et par hasard, se retrouvent en dehors de ces zones sécuritaires, doivent se frayer un chemin à travers les paysages de jungles hautes en couleurs extravagantes de la Prairie est-allemande et affronter les frayeurs de leur passé. Il y est question de courage, de force intérieure et - bien sûr - d’amitié.
“IL RESTE TOUJOURS UNE CHANCE QUE TOUT S’ARRANGE”
En lisant Endzeit (Fin des temps), on est tenté de faire un rapprochement avec la catastrophe planétaire environnementale. Et même si Vieweg dit se méfier des “messages écolos terrifiants”, cette mise en garde est bien voulue : “Je trouve important que beaucoup plus de gens comprennent qu’il est minuit moins cinq. Mais je voulais aussi introduire une note positive : il reste toujours une chance que tout s’arrange. C’est entre nos mains.”
Peut-on avec un roman graphique et des zombies être prise au sérieux et considérée comme une auteure exigeante? Vieweg précise : ce n’est pas ce qui compte pour elle. « N’est-ce pas typiquement allemand de vouloir toujours se mesurer, décider qui est le plus intellectuel, qui ennuie le plus les gens. Si je parviens à divertir, je préfère cela à un art sérieux. Je n’ai pas besoin de statue qui 300 ans après ma mort fasse penser à moi. Je veux que les gens lisent mes histoires maintenant. Et si d’aventure cela devient quand même de la littérature, c’est tant mieux. »