Dilek Güngör
Embouteillage de mots
Origine, famille, langue, identité : voici les thèmes de la journaliste et autrice Dilek Güngör. Dans son nouveau livre, elle parle de l’absence de parole entre père et fille. Mais le silence et la proximité ne doivent pas nécessairement s’exclure mutuellement.
De Holger Moos
Comme dans Ich bin Özlem (2019 Je suis Özlem), Güngör s’exprime dans son nouveau roman avec des phrases simples et claires sur la famille, mais cette fois-ci elle est axée sur une relation père-fille. L’intrigue est vite racontée : une fille rend visite à son père tandis que sa mère part en vacances de ressourcement d’une semaine avec des amis.
ALIÉNATION LINGUISTIQUE ET SOCIALE
La narratrice à la première personne, Ipek, lutte contre le mutisme entre elle et son père, qu’elle perçoit comme la cause et l’expression de la perte de leur proximité. Elle se demande, et souvent dans un dialogue silencieux avec son père, comment cela s’est passé, qui a fait ou n’a pas fait quoi et quand. La perte de cette proximité est comme une séparation pour Ipek : « Je n’ai compris que c’était fini entre nous que lorsque c’était déjà fini, j’ai manqué le moment lui-même. Je ne comprends beaucoup qu’après coup, ou pas du tout, même quand on me l’explique. »Ses parents sont originaires de Turquie et sont arrivés en Allemagne dans les années 1970. Ipek apprend l’anglais, puis le français et l’espagnol. Le turc est perdu pour elle, car il s’agit d’une « langue maternelle qui ne comptait pour rien, car tous ceux qui parlaient turc n’avaient pas appris l’allemand correctement et ne s’étaient pas adaptés correctement ». À l’aliénation linguistique s’ajoute l’aliénation sociale. Les parents vivent dans une petite ville souabe, la fille va étudier dans une autre ville, puis en Angleterre. En attendant, elle vit à Berlin. Dans tous ces mouvements, elle découvre de nouveaux modes de vie et d’expérience.
PROCHES, MAIS DIFFÉRENTS
Ipek se souvient des ébats de son enfance avec son père, des farces et attrapes qu’ils faisaient ensemble. Ces souvenirs contrastent avec le présent avec son « embouteillage de mots provenant de nombreuses langues différentes et ne servant à rien ». La familiarité non verbale, peut-être beaucoup plus profonde, a depuis longtemps fait place à des actes de parole toujours accompagnés de pensées critiques, des actes d’échec répété. L’aspiration à une compréhension sans paroles demeure : « Je me demande si nous pouvons être proches à nouveau, différents d’avant, mais suffisamment proches pour que je puisse t’apporter une couverture quand tu t’endors devant la télévision? »Güngör a réussi à écrire un livre sensible et touchant, sans pathos. À son départ, le père emmène sa fille à la gare. Comme d’habitude, il ne l’accompagne pas jusqu’au quai, mais la dépose simplement en voiture devant la gare. Dans ce simple geste, c’est toute l’attention du père qui se révèle, une attention qui se passe de mots.
Dilek Güngör: Vater und ich. Roman
Berlin: Verbrecher Verlag, 2021. 104 S.
ISBN: 978-3-95732-492-4
Ce livre est également disponible dans Onleihe.