Les nouveaux acteurs allemands des médias
« Donner la parole à tout le monde »

Peu de journalistes sont issus de l’immigration.
Peu de journalistes sont issus de l’immigration. | Photo (extrait) : © agnormark - Fotolia.com

« L’Allemagne s’est diversifiée », dit la vidéo promotionnelle de l’association Les nouveaux acteurs allemands des médias, mais ce n’est pas encore perceptible dans les médias. C’est ce que voudrait changer cette association. Mais comment ? Un entretien avec son vice-président Chadi Bahouth.

Monsieur Bahouth, dans la vidéo qui présente Les nouveaux acteurs allemands des médias, il est dit : « L’Allemagne s’est diversifiée mais pas ses médias ». Votre association s’engage pour une plus forte présence des migrants dans les médias. Pourquoi est-ce si important ?
 
Notre société est devenue plurielle, une terre d’immigration. C’est pourquoi il est nécessaire que tous les groupes de la population, y compris bien sûr les personnes issues de l’immigration ou avec un handicap, aient voix au chapitre dans les médias et ainsi dans la société tout entière, donc autant ceux qui sont sous les projecteurs que ceux qui restent dans les coulisses, afin qu’ils puissent raconter leur version de leur propre histoire ou mettre au jour les stéréotypes. Notre société démocratique vit essentiellement de ce qui est rapporté dans les médias. Et il n’est pas rare que les migrants aient justement l’impression d’y être représentés par des clichés ou de façon négative.
 



Les nouveaux acteurs allemands des médias se sont constitués en 2009 pour représenter les intérêts des journalistes issus de l’immigration. Qui a lancé cette initiative ?
 
Des collègues ont fait il y a quelques années le constat suivant : « Ma position est difficile au sein de la rédaction à propos de certains sujets. » À partir de ce besoin de changer les choses tout en renforçant son propre rôle, l’idée est venue de fonder une association. Le nom même de celle-ci est un marqueur très clair pour indiquer que nous nous considérons comme des membres à part entière de la société. Nous sommes Allemands, avec un petit « quelque chose en plus », par exemple le bilinguisme et une bonne compréhension des autres cultures. L’allemand est notre langue de travail et beaucoup d’entre nous le parlent mieux que leur langue maternelle. C’est une caractéristique fondamentale qui nous distingue des associations, qui se positionnaient ethniquement, de la génération de nos parents.

Votre association veut être un interlocuteur en matière de journalisme interculturel. Comment encouragez-vous les journalistes issus de l’émigration ?

Dr Chadi Bahouth
Dr Chadi Bahouth | Photo (extrait) : © privée


En 2009, nous avons lancé à Berlin avec le Centre d’apprentissage Kreuzberg une formation de journalisme transmédia et biculturelle pour ce profil de personnes. J’ai moi-même fait partie de la première promotion. C’est un cursus intensif dans lequel on acquiert toutes les bases du journalisme, en travaillant dans un cadre très proche de la pratique. L’association fait en outre un travail de lobbying classique et s’engage à ce que davantage de postes dans les médias soient pourvus par des profils issus de l’immigration.

Pour une bonne raison : un cinquième de la population allemande est personnellement concerné par l’immigration mais un journaliste sur cinquante a des origines étrangères. Comment les journalistes issus de l’immigration sont-ils, selon votre expérience, accueillis dans les rédactions ?

Je pense que l’origine ne joue en général aucun rôle dans les grandes villes. Mais dans les petites rédactions locales, la situation n’est pas du tout la même. Il y a encore quelques années, 87% des rédactions de journaux locaux n’employaient pas un seul collaborateur avec un parcours migratoire. Aujourd’hui encore, il peut s’avérer beaucoup plus difficile pour ces personnes de faire accepter leur opinion et leurs points de vue, alors qu’ils seraient admis sans hésitation dans un grand journal de Berlin, Hambourg ou Munich.

« Nous ne sommes pas de meilleurs journalistes, mais nous ne sommes pas non plus moins bons », peut-on lire sur votre site. Quelle ‘plus-value’, quels atouts ont ces journalistes ?

Le bilinguisme est sans aucun doute un gros avantage, pas seulement sur le plan linguistique : une personne qui a grandi en Allemagne, dans un contexte étranger, a été presque nécessairement sensibilisée à des cultures différentes. Il est alors plus facile de comprendre la situation de certaines personnes et d’accéder à certaines communautés.

L’association s’engage dans de nombreuses manifestations, projets et initiatives pour une couverture médiatique équilibrée et s’oppose à la discrimination ainsi qu’à la haine sur le web. Une tâche qui, en raison de l’évolution toujours plus fulgurante de la toile, semble revenir à se battre contre des moulins à vent.

La haine est une autre forme de la peur. Notre société se trouve dans un processus de transformation qui fait peur à beaucoup de gens, et ceux-ci ne savent pas comment réagir. C’est alors qu’apparaît un parti populiste comme Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui déclare : « Les responsables, ce sont les réfugiés. » La colère et le dénigrement se trouvent ainsi exacerbés dans les réseaux sociaux. Voilà pourquoi notre association participe activement à la campagne « No Hate Speech » (Contre les discours haineux) du Conseil de l’Europe. C’est aussi avec humour que nous voulons sensibiliser les jeunes gens et les acteurs des médias sur la façon de parler des discriminations sur le web et les réseaux sociaux en leur montrant comment il est possible de se défendre. Nous voulons donner un signal contre la haine.

Vidéo de l’association Les Nouveaux acteurs allemands des médias : cours d’allemand de Jilet Ayse.
 

Dr. Chadi Bahouth est journaliste indépendant, professeur, politologue et vice-président de l’association Les Nouveaux acteurs allemands des médias. D’origine libano-palestinienne, il travaille notamment comme rédacteur et animateur pour la radio et le print/online. Il s’est spécialisé sur les sujets relatifs aux migrations, à l’intégration, aux relations internationales ainsi qu’aux conflits du Proche-Orient et à ceux qui sont liés aux ressources.