Entretien avec Winslow Porter
Champignons, réalité virtuelle et nature
Lorsqu’il s’agit d’explorer la nature, on s’imagine des balades en forêt, des randonnées en montagne ou des pauses à l’ombre d’un arbre. Mais Winslow Porter adopte une approche de l’exploration de la nature par l’art, notamment en faisant appel à la technologie pour en faire une expérience plus interactive, accessible à tous, y compris à ceux qui vivent en milieu urbain.
De Farah Qaiser
Nous espérons démystifier les champignons et faire en sorte que le projet soit une porte d’entrée pour que les gens comprennent tout le royaume qui est là
Winslow Porter
avec une pointe de curiosité
Porter s’est entretenu avec Massive Science sur les champignons, la réalité virtuelle et ses sources d’inspiration. La conversation a été condensée et éditée pour plus de clarté.Farah Qaiser : Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce monde de l’art, de la réalité virtuelle et de l’utilisation de la technologie pour créer des installations artistiques sur la nature?
Winslow Porter : Je crois que beaucoup des mêmes systèmes que nous observons dans la nature peuvent être reproduits ou observés différemment — qu’une nouvelle perspective peut être obtenue grâce à la technologie.
J’ai été ramené dans ce monde avec tout ce qui se passe maintenant avec la pandémie. Beaucoup de gens ont eu le temps de réfléchir à la vie, à leur existence, à leur but et, en fin de compte, à la façon dont ils peuvent se rapprocher, au lieu de rester assis sur une chaise et de recevoir les choses à sens unique. Il existe de nombreuses façons d’inclure le monde naturel dans notre espace. La technologie, en particulier, est un moyen pour nous d’éduquer les gens et d’exprimer comment l’expérience peut être gratifiante. Je me situe essentiellement du côté du divertissement ou de la narration, avec une pointe de curiosité pour le monde naturel et la façon dont nous pouvons l’observer dans la technologie.
Qu’est-ce qui vous a incité à lancer Forager?
Je viens d’une famille qui est très active en matière de croissance personnelle. Tout le monde dans ma famille a le pouce vert, à commencer par ma grand-mère du côté de mon père. En raison des restrictions de COVID-19, j’étais dans le Maine avec ma famille, et si nous voulions quelque chose de différent [en matière de champignons de nos magasins locaux], nous devions les cultiver nous-mêmes.
un passe-temps de confinement
J’ai pu me connecter avec North Spore, dans le Maine, et acheter leur kit. Je me suis construit un monotube. J’ai vu à quelle vitesse les champignons poussaient. Évidemment, il a fallu leur consacrer beaucoup d’attention, et le processus était très complexe. Mais une fois que vous avez tout bien fait, c’est comme si vous pouviez apporter cette création et ce processus étonnants de l’autre monde dans votre maison. En moins d’une semaine, vous pouvez faire un cycle de vie complet, de l’activation des spores à la sortie des fructifications du sol. Si vous ne les coupez pas tous, vous pouvez également assister à leur décomposition.Voir le cycle de vie complet dans un environnement contrôlé est étonnant, car non seulement les champignons sont délicieux, mais ils sont aussi magnifiques. Cela peut sembler abstrait ou étrange, car nous ne comprenons pas les champignons : beaucoup croient qu’ils s’apparentent aux animaux plus qu’aux plantes, c’est un monde que nous ne saisissons pas complètement. Qu’il s’agisse de leur beauté ou de leur goût, les champignons peuvent vous rendre accros et vous inciter à essayer d’en savoir plus sur eux ou à les propager pour les cultiver vous-mêmes.
Pour moi, tout a commencé comme une sorte de passion, comme un animal de compagnie ou un passe-temps de confinement. Puis je m’y suis vraiment intéressée, je voulais en savoir plus, je voulais comprendre le fourrageage et l’appliquer dans les parcs et les réserves de l’État autour de la région mi-côtière du Maine.
Ma passion s’est pratiquement transformée en réseau social. Tout comme les vastes réseaux mycéliens de champignons, ce genre d’intérêt se répand aux autres. Une fois que vous avez montré à quel point il est facile et économique de cultiver ses propres champignons, plusieurs commencent à construire des monotubes ou à mettre du foin dans leur jardin et à les cultiver eux-mêmes.
J’étais donc inspiré par Tree, le fait de cultiver des champignons moi-même et, finalement, l’œuvre de Louie Schwartzberg. Il était difficile de trouver de bonnes émissions cet été. Louie Schwartzberg est un photographe spécialisé en arrêt sur image, l’un des plus remarquables dans ce domaine. Il a créé Fantastic Fungi, un film qui montre différents champignons et leurs cycles de croissance, et qui, à travers l’avis des experts, souligne leur importance en matière de nutrition, de santé mentale et de régulation des différents écosystèmes de la planète.
Je voulais utiliser l’expertise que mes collègues et moi avons recherchée et mise en œuvre. Comment utiliser la technologie de capture pour donner vie à ces champignons, pour rapprocher les gens d’eux? Comment utiliser la technologie de capture pour voir le cycle de vie sous tous les angles?
capturer le monde naturel
Nous avons repris l’idée de la photographie en accéléré. Elle est incroyablement captivante, mais elle est aussi limitative, car il n’y a qu’un seul point de vue. J’ai donc constitué une équipe de personnes tout aussi fascinées par les champignons et qui ont une formation en moteurs de jeux vidéo, en technologie de l’art ainsi qu’en technologie de capture.Mon collaborateur et ami de longue date, Elie Zananiri, est un technologue primé aux Emmy en matière de technologie de capture et de logiciel de moteur de jeu vidéo. J’ai présenté l’idée de capturer des champignons à travers le temps, mais aussi de les capturer sous tous les angles. Nous avons ensuite commencé à réfléchir à un moyen de construire un appareil de capture.
Jusqu’à présent, d’après nos recherches, cette approche n’a jamais été appliquée. Les gens ont fait de la photographie en accéléré, c’est-à-dire qu’ils ont été témoins de quelque chose, ont pris des photos individuelles et les ont ensuite mises dans un fichier vidéo pour que l’on ait l’impression que la scène se passe sous nos yeux. Ils ont aussi fait de la capture volumétrique, c’est-à-dire capturer un objet sous tous les angles. Il peut s’agir de 100 photos ou d’une vidéo décomposées en images fixes. En étant capable de capturer chaque angle, on peut utiliser un logiciel pour les assembler en un objet 3D réaliste. Dans un moteur de jeu vidéo, on a l’impression que le résultat est vraiment vivant.
Je suis vraiment surprise d’apprendre que personne n’a encore jamais capturé de façon volumétrique (balayage 3D) le cycle de vie complet des champignons! Savez-vous pourquoi?
Les gens ont saisi le cycle de vie des champignons, mais à notre connaissance, personne ne l’a fait de manière volumétrique. Cette situation s’explique peut-être par le fait qu’il s’agit d’une opération qui prend beaucoup de temps et qu’il faut un certain niveau d’automatisation. D’un point de vue technologique, le problème est assez complexe au niveau de la capture et l’automatisation, mais aussi de l’animation des actifs 3D, du plus petit au plus grand, et du cycle de décomposition des champignons.
Notre objectif est d’abord de développer cette initiative, car il s’agit d’une initiative expérimentale qui, d’après nos recherches, n’a pas vraiment été explorée. Nous allons capturer l’hydne hérisson, la trompette de la mort, ainsi que le pleurote bleu.
Nous croyons que l’art volumétrique, la réalisation de films et la capture en général constitueront une autre vague de réalisation de films. Ce sera nouveau, car la technologie nous permettra de capturer le monde naturel d’une manière qui n’était pas possible auparavant. Ce sera aussi un produit convivial pour le consommateur. Il suffit d’un simple appareil photo compact et d’un capteur de profondeur de Microsoft qui coûte un peu plus de 300 dollars.
Le rôle des champignons dans le monde
Nous voulions vraiment saisir le cycle de vie complet d’une manière que les gens n’avaient jamais vue auparavant, et aussi utiliser cette technologie comme un moyen d’éduquer les gens : mettre ces ressources 3D à leur disposition, comme une encyclopédie, pour qu’ils les explorent, les découvrent ou les expérimentent. Il s’agit d’une sorte d’approche à deux volets, où nous créons un outil, mais à partir de cet outil, nous voulons aussi créer de l’art. Ce qui est fascinant, c’est que nous ignorons tant de choses, et c’est pourquoi nous documentons chaque étape de l’exploration afin de pouvoir éduquer les autres et d’ouvrir le tout à une communauté plus large.Qu’espérez-vous que les spectateurs retirent de « Forager »?
J’espère qu’il y aura un émerveillement ou une reconnexion avec la nature, comme chez les enfants, en voyant à quel point elle est diverse, puissante et globale. Même si nous nous reléguons dans nos foyers en milieu urbain, la nature est toujours là. Elle est tout autour de nous. Selon nous, même s’il s’agit d’un champignon virtuel présenté par le biais d’un téléphone intelligent ou de lunettes de réalité augmentée ou virtuelle, nous aurons cette connexion.
Un autre objectif est de développer certaines normes en matière de capture volumétrique et d’accéléré à une échelle plus scientifique ou technique. Voir comment les deux se rejoignent, c’est vraiment là que se situera la merveille du projet.
J’ai lu un article récent sur un étudiant du Nebraska qui a construit un canoë entièrement fonctionnel en mycélium, sur la façon dont les champignons peuvent consommer du plastique et sont même une solution pour l’emballage. Selon vous, quel est le rôle des champignons dans l’environnement, dans le monde, et potentiellement, dans le changement climatique?
Il y a tellement d’idées préconçues sur les champignons. Quand je parle du projet, les gens pensent que je fais un projet sur les psychédéliques, ce qui n’est pas le cas. Cela sème la confusion quant à la question et au rôle des champignons dans le monde. Plus nous menons de recherches et plus nous les démystifions, plus le public sera ouvert à l’idée qu’ils peuvent décomposer les combustibles fossiles, les composés biochimiques et les plastiques.
Nous espérons démystifier les champignons et faire en sorte que le projet soit une porte d’entrée pour que les gens comprennent tout le royaume qui est là, qui a toujours été là, et qui n’attend qu’à être exploré.