Exposition: A better Version of You
Voulez-vous mon job, Alexa ?
Les artistes vantent les produits du meilleur des mondes, lequel n’existe pas. Les frontières s’estompent entre les affaires, la technologie et l’art. À Séoul, l’exposition A Better Version of You s’interroge sur les conséquences sociales et politiques de l’intelligence artificielle et du progrès scientifique. L’exposition du Goethe-Institut se rendra à Pékin en mars.
De Liu Chuchu
L’année dernière, la version améliorée « Master » du programme AlphaGo a battu Ke Jie au jeu de go. Désormais, aucun joueur de go humain ne pourra vaincre l’intelligence artificielle (IA). D’après une étude récente de McKinsey, un tiers de la main-d’œuvre américaine devra changer de carrière au cours des dix prochaines années en raison de l’intelligence artificielle. Quelles seront les conséquences lorsque la science et la technologie évolueront dans ce sens?
C’EST TOUTE UNE PARTIE DE PLAISIR…
Cette question était à l’origine de l’exposition A Better Version of You, présentée par le Goethe-Institut et le Centre d’art Sonje à Séoul. En entrant dans le musée, j’ai d’abord eu l’impression d’être au mauvais endroit. Contrairement aux expositions d’art médiatique qui ont été si populaires ces dernières années et qui révèlent une variété d’effets inhabituels et cool, chaque exposition ici est très « propre » et ne contient presque pas d’art. Chacun des kiosques d’exposition, conçus comme des stands de foires commerciales, porte le nom d’une entreprise technologique.Les artistes portent des vêtements occidentaux comme ceux des hommes d’affaires, et s’enquièrent très sérieusement des intentions d’achat des visiteurs pour ensuite promouvoir un produit technologique qui n’existe pas. Il faut étudier très attentivement les descriptions des produits afin de décoder leur signification cachée. Ainsi, nous apprenons comment la science et la technologie nous aliènent d’une manière apparemment inoffensive, étape par étape de notre vie.
… TANT PIS POUR LA CONCILIATION TRAVAIL-VIE PRIVÉE!
Par exemple, le projet Play Station, développé en 2037 par la société de technologie fictive Farsight, utilise plus de 160 scanneurs de cerveau. On n’a qu’à mettre un casque de réalité virtuelle de type Mandala pour se retrouver dans un monde virtuel. Le projet prétend « pouvoir fournir aux élites une simulation fiable et complète du cerveau afin qu’elles puissent se faire de nouveaux amis et développer leurs capacités de superstar lors de leur promotion ». Play Station peut non seulement aider à se libérer du travail, mais aussi divertir : après tout, on y retrouve aussi un parc d’attractions et un casino. « C’est toute une partie de plaisir… Tant pis pour la conciliation travail-vie privée! »LE MEILLEUR DES MONDES?
« Nous sommes une entreprise de Dubaï et nous vous aidons à implanter une puce dans votre cerveau. Nous voulons exploiter le potentiel de l’humanité, augmenter votre compétitivité sociale et générer de nouvelles ressources qui proviennent de la relation personne-machine. » Du Yuqing présente une carte de visite l’identifiant comme « gestionnaire » et montre la « puce » sur son corps. « Grâce à cette puce, à l’âge de dix ans, vous apprendrez tout ce que vous n’apprendriez pas avant l’université, ce qui permet d’améliorer grandement la productivité au travail. »Du Yuqing croit que l’avenir de la technologie nous exposera principalement à des contrôles extrêmes auxquels personne ne pourra échapper. Son travail me rappelle le roman Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Et ce meilleur des mondes est effrayant.
LA TRINITÉ IMPIE DU MATÉRIEL, DES LOGICIELS ET DES CERVEAUX
Le spécialiste allemand des médias Friedrich Kittler a écrit : « Le monde dans lequel nous vivons depuis une quarantaine d’années n’est plus classé selon les roches, les plantes et les animaux, mais selon la trinité impie du matériel, des logiciels et des cerveaux. » À chaque époque, les artistes utilisent le contexte et les matériaux disponibles pour refléter leur temps.« La pensée de Kittler constitue la base théorique de cette exposition », affirment les conservateurs Christian von Borries et Nina Franz. De plus en plus d’artistes utilisent des méthodes scientifiques et technologiques dans leur travail, brouillant les frontières entre les affaires, la technologie et l’art. Les conservateurs veulent jouer avec ces « sentiments mitigés » et exposer les œuvres d’art dans des formats technologiques. « Nous essayons de prendre nos distances par rapport à des croyances banales telles que l’idée que l’IA va éradiquer l’humanité », soulignent Borries et Franz. On nous montre plutôt comment l’art numérique permet aux artistes de créer de nouvelles formes narratives dans lesquelles l’approbation et la critique coexistent.
L’article de Liu Chuchu est une version abrégée. Il a été publié en intégralité dans le magazine en ligne chinois LENS.