Walchensee Forever
Le journal intime de Janna

Walchensee Forever - Vorschaubild
©Flare Film

Comment traquer un fantôme? La cinéaste Janna Ji Wonders a passé plusieurs années à y songer, car elle sentait une présence diffuse au sein de son clan familial pas comme les autres, sans saisir l’importance symbolique de cet être disparu, et dont on parlait peu.

Von Andrè Lavoie

Ce n’était pourtant pas faute d’exister en images. Cette femme dont la beauté et le charisme attiraient tous les regards est devenue un temps une petite égérie de la musique traditionnelle bavaroise, dont au Mexique. Voilà qui en dit déjà beaucoup sur la personnalité de Frauke Werner, de même que sa trajectoire à la fois hors du commun et typique de la génération du baby-boom dans le monde occidental.

quatre générations de femmes

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L'affiche du film | © Flare Film
Walchensee Forever pourrait se résumer à un album de famille, mais il faut également lui accoler les mots « saga », « plongée », « exutoire » pour expliquer cette ambitieuse démarche d’introspection. Celle-ci s’écoule sur plus d’un siècle, et quatre générations de femmes, dont trois toujours vivantes au moment du tournage.
 
Au centre de leur existence, une maison, et un magnifique plan d’eau. En Bavière, dans le village de Walchensee et au bord du lac de Walchen, un café accueillant des randonneurs fut pour la famille Werner le théâtre de plusieurs vies tumultueuses marquées par la lâcheté des hommes et le désir de fuite de Frauke, de même que sa sœur aînée Anna. Ce fut d’abord vers Munich, et rapidement New York, San Francisco, le Mexique, et jusqu’en Inde, un itinéraire mené tambour battant pendant les années 1960-1970, avec tout ce que cela comporte de fleurs dans les cheveux, de nudité, et de drogues. Certaines plus dommageables que d’autres.
 
Anna semble avoir encaissé durement ces années d’errance à en juger par son physique frêle, mais surtout sa sensibilité à fleur de peau devant la caméra de sa fille Janna. Cette artiste écorchée, qui a consacré une bonne partie de sa vie à la photographie – et dont les images familiales constituent une part importante de Walchensee Forever -, revisite non seulement son passé, mais celui de celles qui l’ont précédée, à commencer par sa grand-mère Apa qui, en 1924, s’installe dans cette maison que sa descendance ne pourra jamais vraiment quitter.
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    Un souffle de liberté

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    En voyage

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    Walchensee Forever

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    Walchensee Forever

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    Loin de chez elle

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    En conversation

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    Walchensee Forever

Tenancière de café dans l’âme, Apa n’a pas su transmettre le même enthousiasme à sa fille Norma, rivée à cet établissement par nécessité, là où elle va élever ses deux enfants, Anna et Frauke, avec l’ombre menaçante d’un mari revenu de la Deuxième Guerre mondiale physiquement blessé, moralement meurtri. Et qui
La réalisatrice
La réalisatrice Janna Ji Wonders | © Michael Reusse
canalisera sa colère d’artiste frustré vers Norma, devant le regard horrifié de sa progéniture, un chapitre que l’aînée refuse de commenter.  
 
Cette pudeur ne manque pas de surprendre au milieu de ce grand déballage, et pas seulement parce qu’Anna et certains de ses amants ont pratiqué le naturisme, posture obligée dans la Californie des années 1960, ou encore sur l’île de Mykonos en Grèce, y reproduisant la version hippie du jardin d’Eden. Toutes les photos de famille, les coupures de presse, et les images prises à la volée par une caméra super 8 ou vidéo composent une exceptionnelle mosaïque aux textures diverses.

Un souffle de liberté

Car derrière ces sourires insouciants, ces artefacts de la contre-culture, et ces paysages de rêve se profile une multitude de drames, ceux qui ont créé ces fantômes, à commencer par Frauke. Sa santé mentale chancelante, fragilisée par ses penchants toxicomanes, vont la conduire au bord du gouffre en 1972, d’abord dans un hôpital psychiatrique, et plus tard dans un face à face tragique dont l’écho du choc résonne encore dans l’âme et le cœur de sa mère Norma, centenaire en apparence inébranlable, et d’Anna.
 
Janna Ji Wonders, née d’un père américain qui n’a jamais voulu quitter son pays pour celui d’Anna, veut en quelque sorte ramener Frauke à la vie, et sa famille sur des terrains glissants, convoquant aussi des camarades de ces années folles, dont Rainer Langhans, adapte de la méditation, de l’amour libre ou de l’abstinence, selon les jours. Son charme, celui d’hier comme d’aujourd’hui, rappelle un peu Daniel Cohn-Bendit, mais sans l’énergie débordante et l’éloquence révolutionnaire de cette figure emblématique de Mai '68.
 
Cette radiographie des enfants du baby-boom par une cinéaste étrangère à cette époque – adolescente, Janna a tenté la posture punk au sein d’adultes en constante rébellion ! – révèle surtout les fractures d’un clan que les tumultes de l’Histoire ont écorché, taisant toutefois les effets délétères de l’idéologie nazie. Mais le souffle de liberté qu’a entraîné la fin de la Deuxième Guerre mondiale a emporté ces deux sœurs, soudées par l’adversité, talentueuses, mais sans cesse rattrapées par leur démons intérieurs. Leur véritable victoire tient en une seule image, la toute dernière du film, d’une douceur infinie, prouvant que ce clan regarde vers l’avenir. Peu importe la lourdeur du passé. 
 

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