Chapitre 2
Révolution et bougies

Manifestation à Wittenberge le 15 janvier 1990
Manifestation à Wittenberge le 15 janvier 1990 | Photo: Horst Podiebrad © wir-waren-so-frei.de

« Nous ne sommes pas allés dans la rue à cause des bananes que nous n’avions pas mais à cause de ce sentiment permanent de peur, et aussi parce que nous voulions enfin pouvoir exprimer librement notre opinion », se souvient Katharina Steinhäuser de Iéna.

De Regine Hader et Dr. Andreas Ludwig

En clamant leur slogan, « Nous sommes le peuple », les gens s’adressaient directement au SED et aux porte-parole des gouvernants. Tous les 7 du mois, les manifestants arpentaient les rues afin de critiquer l’ « écrasante approbation » de la politique du SED qui obtint 98,85 % des voix lors des élections municipales truquées du 7 mai 1989.
                                                                
Tous les lundis, après les prières pour la paix qui étaient organisées dans les églises d'Allemagne de l'Est, il apparaît de plus en plus clairement que ces chiffres ne correspondent pas à la véritable atmosphère qui règne dans le pays. Lors des manifestations du lundi, les citoyens et les citoyennes défilent contre le régime. « Au début, l'atmosphère dégageait de la tension et de l'inquiétude », décrit cette témoin qui y participait à l'époque à Iéna. Tous ceux qui étaient là savaient très bien comment l’État réagissait en cas de doute avec ceux qui se montraient critiques envers le régime. Elle décrit ce sentiment comme ce qui était le fondement même de ce qu’on entendait en RDA : un bourdonnement, le bruit permanent de la peur qui perdure en arrière-plan au fil des années. « Nous avons bien sûr aussi été heureux, nous avons été jeunes, amoureux. Mais il fallait toujours se montrer enthousiaste, et même cela ne convenait pas toujours. Je me souviens d'un grand désespoir ». À toutes les situations de la vie quotidienne, à toutes les armes étaient liées « une peur et une incertitude permanente, diffuse, de faire quelque chose de mal, d'être emprisonné en étant dépourvu de droits et de se retrouver à la merci de l'État ». Katarina Steinhäuser se rappelle sa première manifestation : « Quand j'ai entendu que des dizaines de milliers de personnes défilaient à Leipzig, cela m’a donné beaucoup de courage. J’ai pensé que je ne pouvais plus rester à l’écart. C’était tout simplement stimulant de savoir qu’il y avait autant de gens".
C’est une atmosphère de renouveau qui domine quand ils se retrouvent les uns près des autres, se mettent en route et allument leurs bougies en s’entraidant. Bien qu’ils aient eu en tête les interventions brutales qui avaient eu lieu par le passé sur des manifestants ou qu’ils aient su ce que cela pouvait avoir comme conséquences sur leur carrière ou sur leur vie personnelle, les manifestants ressentaient non seulement du courage mais aussi du soulagement. Après une « longue période de dépression », chaque pas réalisé ensemble dans la rue avait un goût de liberté. « Le simple fait de manifester contre le régime et de dire : ‘maintenant, on y va ! Nous ne nous tairons plus sur tout ce qui nous pèse’, marquait déjà un changement soudain ».

Bannières originales de la Révolution pacifique
Bannières originales de la Révolution pacifique | Photo: Bernd Schmidt © wir-waren-so-frei.de
À Leipzig, les citoyens protestent deux jours après la répression de la contestation survenue à Berlin lors du 40è anniversaire de la RDA. « Pas de violence ! », demandent six citoyens célèbres de Leipzig aux fonctionnaires du SED et ils parviennent à leurs fins car effectivement, la police présente sur les lieux, les militaires ainsi que les "groupes de combat de la classe ouvrière" n’interviennent pas. Les 300 000 manifestants encerclent finalement tout le centre ville de Leipzig, et c’est un tournant. Le journaliste Siegbert Schefke a filmé l’événement en caméra cachée. Sa vidéo, qui répand la nouvelle de la révolution pacifique, a pu être emportée en Allemagne de l'Ouest à l'insu des autorités avant d’être diffusée sur les chaînes occidentales.

Comment les opposants réussissent-ils à organiser leur contestation ? Quelqu'un transmet clandestinement un morceau de papier, une autre personne recopie rapidement le texte, les paroles semblent "anodines" sur les écrans ; cela ressemble à la transcription d'un cours mais en vérité, le contenu est profondément politique. L'appel du "Neues Forum" s'est ainsi diffusé en quelques jours, au moyen de ces feuilles volantes. Pour la première fois dans l'histoire de la RDA, des opposants veulent être autorisés à exister en tant que groupe politique. Ces heures sont celles du positionnement ; des milliers de citoyens signèrent cet appel en quelques jours.

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